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Je finirois si vous ne m'aviez obligé à lire votre épître du Duc d'Ossonne : vous nous y renvoyez pour y voir votre modestie qui est si grande, que dès le titre vous traitez le procureur général de votre parlement comme vous feriez un procureur fiscal de quelqu'une de vos hautes justices 1. Cette arrogante familiarité avec un des principaux magistrats de votre pays débutoit assez bien, et vous eût fait passer pour homme de marque, si dans votre épître la bassesse de votre inclination n'eût découvert celle de votre naissance. Ce souhait famélique d'être reçu au Louvre avec des hécatombes de Poissy, tient fort de votre pauvreté originelle; et puisque vous êtes si affamé, vous serez aisé à accorder sur ce point avec M. Corneille, qui se contentera toujours de ces honorables fumées du cabinet dont vous êtes si dégoûté, cependant qu'on vous envoyera dans les offices vous soûler de cette viande délicate pour qui vous avez tant d'appétit.

Le reste de cette épître n'est que vanité : vous vous perdez dans la réflexion de vos grandes productions, et vous vantez d'avoir été l'idée universelle des grands génies que vous nommez, comme s'il étoit à croire qu'ils vous eussent considéré3.

1. Cette dédicace est intitulée : « A tres-docte et tres-ingenieur Anthoine Brun, procureur general au Parlement de Dole, epitre dedicatoire, comique et familiere, » et elle commence par ces mots : « Monsieur mon tres-cher ami. »

2. « Il est vrai qu'on nous fait au Louvre des sacrifices de louanges et de fumées, comme si nous étions les dieux de l'antiquité les plus délicats, où nous aurions besoin qu'on nous traitât plus grossièrement, et qu'on nous offrit plutôt de bonnes hécatombes de Poissy, avec une large effusion de vin d'Arbois, de Beaune et de Coindrieux. »

3. « Il est très-vrai que si mes premiers ouvrages ne furent guère bons, au moins ne peut-on nier qu'ils n'ayent été l'heureuse semence de beaucoup d'autres meilleurs, produits par les fécondes plumes de MM. de Rotrou, de Scudéry, Corneille et du Ryer, que je nomme ici suivant l'ordre du temps qu'ils ont commencé d'écrire après moi, et de quelques autres, dont la réputation ira quelque jour jusques à vous; particulièrement de deux jeunes auteurs des tragédies de Cléopatre et de Mithridate, de qui l'apprentissage est un demi-chef-d'œuvre qui donne de merveilleuses espérances des belles choses qu'ils pourrent faire à l'avenir. »

Mais n'avez-vous pas bonne grâce un peu après de traiter d'inférieurs, et quasi de petits garçons, les auteurs de Cléopatre1 et de Mithridate', pour qui vous faites une classe à part? Vous ne sauriez nier que cette Cléopatre a enseveli la vôtre, que le Mithridate a paru sur le théâtre autant qu'aucune de vos pièces, et que l'une et l'autre à la lecture l'emportent bien haut sur tout ce que vous avez fait. Votre style n'est qu'une jolie prose rimée, foible et basse presque partout, et bien éloignée de la vigueur des vers de ces Messieurs, sur qui M. Corneille seroit bien marri de prétendre aucune prééminence.

Cet acte de la pastorale héroïque qui vous fut donné à faire il y a quelque temps, est la preuve indubitable de la foiblesse de style que je vous reproche : votre or (pour user de vos termes) y fut trouvé de si bas aloi et votre poésie si chétive, que même on ne vous jugea pas capable de la corriger. La commission en fut donnée à trois Messieurs de l'Académie, qui n'y laissèrent que vingt-cinq de vos vers. C'est un préjugé fort désavantageux pour vous, et qui vous doit empêcher, si vous êtes sage, d'exposer vos fureurs divines au jugement de cette illustre compagnie.

Je ne parlerai point de l'irrévérence avec laquelle vous dé-· clamez dans cette épître contre les grands du siècle, qui ne reconnoissent pas assez votre mérite, ni du repentir que vous témoignez de leur avoir dédié vos chefs-d'œuvre; le mal que je vous veux ne va pas jusqu'à vous faire criminel. Je vous donnerai seulement un mot d'avis avant que d'achever, qui est de ne mêler plus d'impiétés dans les prostitutions de vos héroïnes; les signes de croix de votre Flavie et les anges de

1. Cléopatre, tragédie de Benserade, représentée en 1635. 2. La Mort de Mithridate, tragédie de la Calprenède, représentée en 1635.

3. Nous ne savons de quel ouvrage il s'agit ici. Serait-cé de la Grande Pastorale qui, suivant Pellisson, renfermait cinq cents vers de la façon du Cardinal, et à l'impression de laquelle il renonça après avoir pris connaissance des observations de Chapelain, que lui communiqua Boisrobert (voyez la Relation contenant l'histoire de l'Académie françoise, p. 179 et suivantes)? C'est probable; remarquons toutefois que Pellisson ne dit mot de la collaboration de Mairet.

lumière de votre Duc1 sont des profanations qui font horreur à tout le monde.

Adieu, beau lyrique, et souvenez-vous que M. Corneille montrera toujours par véritables effets sur le théâtre, qu'il en sait mieux les règles et la bienséance que ceux qui lui en veulent faire leçon; que malgré vos impostures le Cid sera toujours le Cid, et que tant qu'on fera des pièces de cette force, vous ne serez prophète que parmi vos Allemands 2.

1. Voici le passage des Galanteries du duc d'Ossonne auquel il est fait allusion ici :

FLAVIE.

O ma sœur! sous quelle étrange forme
Abusez-vous mes yeux et mes sens à la fois?

LE DUC.

Madame, réservez tous ces signes de croix
Pour l'apparition de ces mauvais fantômes,
Qui meuvent, ce dit-on, des corps d'air et d'atomes.

FLAVIE.

Dieu! c'est bien un démon véritable et trompeur,
Puisqu'il m'ôte la voix.

LE DUC.

Non, n'ayez point de peur.

Si j'étois un esprit de l'infernale suite,

Tant de signes de croix m'eussent donné la fuite,
Et puis étant vous-même un ange de clarté,

Votre divin aspect m'eût-il pas écarté?

(Acte III, scène n.)

2. On sait que Besançon, patrie de Mairet, et la Franche-Comté tout entière n'étaient pas encore françaises : elles avaient appartenu à l'empire d'Allemagne et faisaient alors partie des possessions de la ligne espagnole de la maison d'Autriche.

A MADAME DE COMBALET1.

MADAME,

Ce portrait vivant que je vous offre représente un héros assez reconnoissable aux lauriers dont il est couvert. Sa vie a été une suite continuelle de victoires; son corps, porté dans son armée, a gagné des batailles après sa mort; et son nom, au bout de six cents ans, vient encore de triompher en France'. Il y a trouvé une réception trop favorable pour se repentir d'être sorti de son pays, et d'avoir appris à parler une autre langue que la sienne. Ce succès a passé mes plus ambitieuses espérances, et m'a surpris d'abord; mais il a cessé de m'étonner depuis que j'ai vu la satisfaction que vous avez témoignée quand il a paru devant vous. Alors j'ai osé me promettre de lui tout ce qui en est arrivé3, et j'ai cru qu'après les éloges dont vous l'avez honoré, cet applaudissement universel ne lui pouvoit manquer. Et véritablement, Madame, on ne

1. L'épître dédicatoire est adressée : A MADAME LA DUCHESSE D'AIGUILLON, dans les éditions de 1648-56. Marie-Madeleine de Vignerot, nièce de Richelieu, avait épousé Antoine de Beauvoir, marquis du Roure, seigneur de Combalet, qui fut tué en 1621 devant Montauban. Le Cardinal la plaça près de la Reine, en qualité de dame d'honneur, et fit revivre pour elle en 1638 le duché d'Aiguillon. Toutefois ces mots : A Madame de Combalet, subsistèrent en tête de la présente dédicace, dans les éditions du Cid, jusqu'en 1644 inclusivement. On y substitua plus tard, comme nous venons de le dire : A Madame la duchesse d'Aiguillon, dans les recueils des OEuvres, jusqu'en 1660, époque à laquelle Corneille supprima les dédicaces et les avertissements. La duchesse mourut en 1675. Voyez ci-dessus, p. 18 et 19.

2. VAR. (édit. de 1654 et 56): vient encore triompher.

3. Ce membre de phrase manque dans l'édition de 1637 in-12, qui porte simplement : « alors j'ai cru qu'après les éloges, etc. »

peut douter avec raison de ce que vaut une chose qui a le bonheur de vous plaire : le jugement que vous en faites est la marque assurée de son prix; et comme vous donnez toujours libéralement aux véritables beautés l'estime qu'elles méritent, les fausses n'ont jamais le pouvoir de vous éblouir. Mais votre générosité ne s'arrête pas à des louanges stériles pour les ouvrages qui vous agréent; elle prend plaisir à s'étendre utilement sur ceux qui les produisent, et ne dédaigne point d'employer en leur faveur ce grand crédit que votre qualité et vos vertus vous ont acquis. J'en ai ressenti des effets qui me sont trop avantageux pour m'en taire, et je ne vous dois pas moins de remercîments le Cid. C'est une reconpour moi noissance qui m'est glorieuse, puisqu'il m'est impossible de publier que je vous ai de grandes obligations, sans publier en même temps que vous m'avez assez estimé pour vouloir que je vous en eusse. Aussi, Madame, si je souhaite quelque durée pour cet heureux effort de ma plume, ce n'est point pour apprendre mon nom à la postérité, mais seulement pour laisser des marques éternelles de ce que je vous dois, et faire lire à ceux qui naîtront dans les autres siècles la protestation que je fais d'être toute ma vie,

MADAME,

que pour

Votre très-humble, très-obéissant et très

obligé serviteur,

CORNEILLE.

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