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Cependant, comme il ne paroît personne avec qui elle aye plus d'ouverture de cœur qu'avec cette Charmion, il y a grande apparence que c'étoit elle-même dont cette reine se servoit pour introduire ces courriers, et qu'ainsi elle devoit savoir déjà tout ce commerce entre César et sa maîtresse. Du moins il falloit marquer quelque raison qui lui eut laissé ignorer2 jusque-là tout ce qu'elle lui apprend, et de quel autre ministère cette princesse s'étoit

pour recevoir ces courriers. Il n'en va pas de même ici. Pauline ne s'ouvre avec Stratonice que pour lui faire entendre le songe qui la trouble, et les sujets qu'elle a de s'en alarmer; et comme elle n'a fait ce songe que la nuit d'auparavant, et qu'elle ne lui eût jamais révélé son secret sans cette occasion qui l'y oblige, on peut dire qu'elle n'a point eu lieu de lui faire cette confidence plus tôt qu'elle ne l'a faite'.

Je n'ai point fait de narration de la mort de Polyeucte, parce que je n'avois personne pour la faire ni pour l'écouter, que des païens qui ne la pouvoient ni écouter ni faire, que comme ils avoient fait et écouté celle de Néarque, ce qui auroit été une répétition et marque de stérilité, et en outre n'auroit pas répondu à la dignité de l'action principale, qui est terminée par la. Ainsi j'ai mieux aimé la faire connoître par un saint emportement de Pauline', que cette mort a convertie, que par un récit qui n'eût point eu de grâce dans une bouche indigne de le prononcer'. Félix son père se convertit après elle; et ces deux conversions, quoique miraculeuses, sont si ordinaires dans les martyres, qu'elles

1. VAR. (édit. de 1660 et de 1663): dont elle se servoit.
2. VAR. (édit, de 1660 et de 1663) : qui l'eût laissée ignorer.
3. VAR. (édit. de 1660-1664) : plus tôt qu'elle ne la fait.

4. Voyez acte V, scène v.

5. VAR. (édit. de 1660-1664) : indigne de le faire.

ne sortent point de la vraisemblance, parce qu'elles ne sont pas de ces événements rares et singuliers qu'on ne peut tirer en exemple; et elles servent à remettre le calme dans les esprits de Félix, de Sévère et de Pauline, que sans cela j'aurois eu bien de la peine à retirer du théâtre dans un état qui rendît la pièce complète, en ne laissant rien à souhaiter à la curiosité de l'auditeur.

LISTE DES ÉDITIONS QUI ONT ÉTÉ COLLATIONNÉES

POUR LES VARIANTES DE POLYEUCTE.

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ACTEURS.

FELIX, sénateur romain, gouverneur d'Arménie.
POLYEUCTE, seigneur arménien1, gendre de Félix.
SÉVÈRE, chevalier romain, favori de l'empereur Décie.
NÉARQUE, seigneur arménien, ami de Polyeucte.
PAULINE, fille de Félix et femme de Polyeucte.

STRATONICE, confidente de Pauline.

ALBIN, confident de Félix.

FABIAN, domestique de Sévère.

CLÉON, domestique de Félix.

TROIS GARDES.

La scène est à Mélitène, capitale d'Arménie,
dans le palais de Félix.

1. VAR. (édit. de 1643-1663 et de 1664 in-12): seigneur d'Arménie.

2. VAR. (édit. de 1643-1664) : favori de l'Empereur.

POLYEUCTE, MARTYR.

TRAGÉDIE CHRÉTIENNE1.

ACTE I.

SCÈNE PREMIÈRE.

POLYEUCTE, NÉARQUE.

NÉARQUE.

Quoi? vous vous arrêtez aux songes d'une femme!
De si foibles sujets troublent cette grande âme!
Et ce cœur tant de fois dans la guerre éprouvé
S'alarme d'un péril qu'une femme a rêvé!

POLYEUCTE.

Je sais ce qu'est un songe,

et le

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peu de croyance Qu'un homme doit donner à son extravagance, Qui d'un amas confus des vapeurs de la nuit Forme de vains objets que le réveil détruit; Mais vous ne savez pas ce que c'est qu'une femme : Vous ignorez quels droits elle a sur toute l'âme2, Quand après un long temps qu'elle a su nous charmer, Les flambeaux de l'hymen viennent de s'allumer. Pauline, sans raison dans la douleur plongée,

ΙΟ

1. Le mot chrétienne ne se trouve pas dans les deux éditions in-4° (1643 et 1648).

2. Var. Ni le juste pouvoir qu'elle prend sur une âme. (1643-56)

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Craint et croit déjà voir ma mort qu'elle a songée ;
Elle oppose ses pleurs au dessein que je fais,
Et tâche à m'empêcher de sortir du palais.
Je méprise sa crainte, et je cède à ses larmes;
Elle me fait pitié sans me donner d'alarmes;
Et mon cœur, attendri sans être intimidé,
N'ose déplaire aux yeux dont il est possédé.
L'occasion, Néarque, est-elle si pressante

Qu'il faille être insensible aux soupirs d'une amante1?
Par un peu de remise épargnons son ennui,

Pour faire en plein repos ce qu'il trouble aujourd'hui.
NÉARQUE.

Avez-vous cependant une pleine assurance

D'avoir assez de vie ou de persévérance?

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Et Dieu, qui tient votre âme et vos jours dans sa main3,
Promet-il à vos vœux de le pouvoir demain1?

Il est toujours tout juste et tout bon; mais sa grâce
Ne descend pas toujours avec même efficace;
Après certains moments que perdent nos longueurs,
Elle quitte ces traits qui pénètrent les cœurs;
Le nôtre s'endurcit, la repousse, l'égare *:
Le bras qui la versoit en devient plus avare,
Et cette sainte ardeur qui doit porter au bien
Tombe plus rarement, ou n'opère plus rien.
Celle qui vous pressoit de courir au baptême,

1. Var. Pour ne rien déférer aux soupirs d'une amante?
Remettons ce dessein qui l'accable d'ennui;

Nous le pourrons demain aussi bien qu'aujourd'hui.

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NÉARQUE. Oui, mais où prenez-vous l'infaillible assurance. (1643-56) 2. Var. Ce Dieu, qui tient votre âme et vos jours dans sa main. (1643-56)

3. Var. Vous a-t-il assuré du pouvoir de demain ? (1643)

Var. Vous a-t-il assuré de le pouvoir demain? (1648-56)

4. Var. Le bras qui la versoit s'arrête et se courrouce;
Notre cœur s'endurcit, et sa pointe s'émousse,
Et cette sainte ardeur qui nous emporte au bien

Tombe sur un rocher, et n'opère plus rien. (1643-56)

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