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quippe imperio alteri aucti, alteri ditionis alienæ facti. Sepulcra exstant, quo quisque loco cecidit : duo romana uno loco propius Albam, tria albana Romam versus; sed distantia locis, et ut pugnatum est..

(XXVI.) Priusquam inde digrederentur, roganti Metio ex fœdere icto quid imperaret, imperat Tullus uti juventutem in armis habeat usurum se eorum opera, si bellum cum Veïentibus foret. Ita exercitus inde domos abducti. Princeps Horatius ibat, tergemina spolia præ se gerens, cui soror virgo, quæ desponsata uni ex Curiatiis fuerat, obviam ante portam Capenam fuit; cognitoque super humeros fratris paludamento sponsi, quod ipsa confecerat, solvit crines, et flebiliter nomine sponsum mortuum appellat. Movet feroci juveni animum comploratio sororis in victoria sua tantoque gaudio publico. Stricto itaque gladio, simul verbis increpans, transfigit puellam. «< Abi

comme ceux dont les uns avoient accru leur domination, et les autres se voyoient réduits sous la subjection et pouvoir d'autrui. Les sépultures en sont encore debout au même endroit où chacun d'eux vint à rendre l'âme : des deux Romains en un seul tombeau en tirant vers Albane, et des trois Albaniens du côté de Rome, mais à la même distance et selon qu'ils finèrent leurs jours.

(XXVI.) < Avant que déloger de ce lieu, Métius, suivant l'accord fait, demande à Tullus ce qu'il lui vouloit commander; il lui ordonne de tenir la jeunesse en armes, parce qu'il se serviroit d'eux s'il avoit la guerre contre les Veïentes. Et là-dessus les deux armées se retirèrent chacune chez soi. Mais Horace marchoit le premier, portant devant soi la dépouille des trois jumeaux; lequel sa sœur, fille encore, qui avoit été accordée à l'un d'eux, vint rencontrer hors de la porte Capène; et ayant reconnu sur les épaules de son frère la cotte d'armes de son fiancé, qu'elle avoit ouvrée de ses propres mains, se prend à déchirer le visage et arracher ses cheveux, appelant lamentablement le défunt par son nom. De quoi le jouvenceau, tout fier et superbe encore de sa victoire, irrité en son cœur de voir ainsi les pleurs et criailleries de sa sœur troubler une si grande joie publique, mettant la main à l'épée, la lui passe à travers le corps d'outre en outre, en disant ces aigres et piquantes paroles : « Va-t'en doncques trouver

hinc cum immaturo amore ad sponsum, inquit, oblita fratrum mortuorum vivique, oblita patriæ. Sic eat quæcumque Romana lugebit hostem. » Atrox visum id facinus patribus plebique, sed recens meritum facto obstahat: tamen raptus in jus ad Regem. Rex, ne ipse tam tristis ingratique ad vulgus judicii, aut secundum judicium supplicii auctor esset, concilio populi advocato : « Duumviros, inquit, qui Horatio perduellionem judicent secundum legem, facio. » Lex horrendi carminis erat : « Duumviri perduellionem judicent. Si a duumviris provocarit, provocatione certato; si vincent, caput obnubito, infelici arbori reste suspendito, verberato, vel intra pomoerium, vel extra pomorium. » Hac lege duumviri creati, qui se absolvere non rebantur ea lege, ne innoxium quidem, posse. Quum condemnassent, tum alter ex his : « P. Horati, tibi perduellionem judico, inquit. I, lictor, colliga

« ton époux avec ce hâtif et inconsidéré amourachement; oublieuse a que tu es de tes frères morts et de celui qui reste en vie; oublieuse de << la gloire de ton pays : qu'ainsi en puisse-t-il prendre à quelconque « Romaine qui fera dueil pour l'ennemi ! » Cet acte-là sembla inhumain et par trop cruel, tant aux patriciens qu'au commun peuple. Mais ses mérites tous récents supportoient aucunement le forfait. Si ne laissa il pas toutefois d'en être appelé devant le Roi, lequel pour non être auteur d'un si piteux jugement, désagréable à tout le peuple, ensemble de l'exécution qui s'en ensuivroit, ayant fait assembler l'audience : « Je commets (ce dit-il) deux hommes pour faire le pro«< cès à Horace selon la loi du crime de perduellion. » Cette loi étoit d'une teneur fort horrible pour lui: «Que les duumvirs jugent « Horace avoir commis perduellion et crime de félonie : s'il en ap« pelle, qu'il relève son appel, et le soutienne le mieux qu'il pourra. « Si la sentence des duumvirs obtient et l'emporte, qu'on lui bande « le chef, et soit pendu et étrangle d'un cordeau à un arbre malen« contreux, l'ayant auparavant fouetté au dedans des remparts ou « dehors. Par cette loi les duumvirs ayant été premièrement établis, parce qu'ils ne voyoient pas que suivant icelle ils eussent pouvoir d'absoudre, même un innocent, le condannèrent. Et alors l'un d'eux prononçant la sentence : « Horace, dit-il, je te déclare per« duellion et condamne pour tel. Va, licteur, et lui lie les mains. »

manus. » Accesserat lictor, injiciebatque laqueum : tum Horatius, auctore Tullo, clemente legis interprete: « Provoco,» inquit. Ita de provocatione certatum ad populum est. Moti homines sunt in eo judicio, maxime P. Horatio patre proclamante se filiam jure cæsam judicare: ni ita esset, patrio jure in filium animadversurum fuisse. Orabat deinde, ne se, quem paulo ante cum egregia stirpe conspexissent, orbum liberis facerent. Inter hæc senex, juvenem amplexus, spolia Curiatiorum fixa eo loco, qui nunc Pila Horatia appellatur, ostentans : Hunccine, aiebat, quem modo decoratum ovantemque victoria incedentem vidistis, Quirites, eum sub furca vinctum inter verbera et cruciatus videre potestis? quod vix Albanorum oculi tam deforme spectaculum ferre possent. I, lictor, colliga manus, quæ paulo ante armatæ imperium populo romano pepererunt. I, caput obnube liberatoris urbis hujus; arbori infelici suspende; verbera, vel intra po

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Le licteur s'étoit déjà approché pour lui mettre la hart au col, quand Horace par l'admonestement de Tullus, favorable et benin interprétateur de la loi : « J'en appelle, » dit-il, et relève quand et quand son appel devant le peuple, où la cause fut de nouveau plaidée. Mais ce qui mut le plus les gens en ce jugement, fut Horace le père du criminel, criant à haute voix qu'il déclaroit sa fille avoir été justement mise à mort; et si ainsi n'étoit, qu'il châtieroit son fils selon le droit et autorité paternelle qu'il avoit sur lui. Requéroit puis après de ne le vouloir point du tout priver d'enfants, lui que naguères on avoit vu avec une si florissante lignée. Et là-dessus le pauvre vieillard embrassant son fils, montroit les dépouilles des Curiatiens, élevées en cet endroit que maintenant on appelle la Pile Horatienne, avec telles autres paroles pleines d'une grand'véhémence : « Pourrez-vous donc, seigneurs Quirites, souffrir de voir celui-là lié, garrotté sous les fourches, expirer parmi les coups de fouet et tourments, que vous ⚫ avez vu tout présentement marcher en un tel triomphe et hon«neur de victoire? lequel si horrible et hideux spectacle à grand'< peine les yeux des Albaniens sauroient comporter. Va, licteur, et « lui lie les mains, qui naguères avec les armes ont acquis la domi<nation au peuple romain. Va lui bander le chef, qui a délivré cette

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morium, modo inter illam pilam et spolia hostium, vel extra pomoerium, modo inter sepulcra Curiatiorum. Quo enim ducere hunc juvenem potestis, ubi non sua decora eum a tanta fœditate supplicii vindicent?» Non tulit populus nec patris lacrimas, nec ipsius parem in omni periculo animum; absolveruntque admiratione magis virtutis quam jure causæ. Itaque, ut cædes manifesta aliquo tamen piaculo lueretur, imperatum patri, ut filium expiaret pecunia publica. Is, quibusdam piacularibus sacrificiis factis, quæ deinde genti Horatiæ tradita sunt, transmisso per viam tigillo, capite adoperto, velut sub jugum misit juvenem. Id hodie quoque publice semper refectum manet sororium tigillum vocant. Horatia sepulcrum, quo loco corruerat icta, constructum est saxo quadrato1.

« cité de servitude; pends-le par le col et étrangle à un arbre ma« lencontreux; bats-le à coups de verges au dedans des remparts, a pourvu que ce soit entre ces dards et dépouille ennemie, ou « dehors, pourvu que ce soit entre les sépultures des Curiatiens. « Car où pourroit-on mener ce jeune homme que les enseignes de sa « gloire, que les marques de son honneur ne le garantissent d'un si « cruel et honteux supplice? Le peuple ne put supporter ne les larmes du père, ne le courage du fils, se montrant égal en l'un et l'autre péril, et l'absolurent plus par admiration de sa vaillance, que pour le mérite et droit de la cause. Mais à ce qu'un meurtre si manifeste fût au moins réparé par quelque forme d'amende et punition, le père eut commandement de purger son fils des deniers publics: lequel après certains sacrifices propitiatoires, dont la charge fut depuis commise à la famille horatienne, ayant tendu une perche au travers de la rue, fit passer le jeune homme dessous, la tête bouchée, tout ainsi que sous un gibet. On l'a toujours maintenu et refait depuis au dépens du public jusqu'à l'heure présente, et s'appelle encore pour le jourd'hui la perche ou chevron de la sœur ; à qui l'on dressa une sépulture de pierre de taille au propre lieu où elle expira. (Les Décades qui se trouvent de Tite Live mises en françois; la première par Blaise de Vigenère, Bourbonnois.... A Paris, chez Nicolas Chesneau, M.D.LXXXIII, in-fol., p. 19-23.)

1. Corneille n'a pas suivi, pour ces quatre chapitres, le texte, fort amélioré, de son contemporain Gruter, dont le Tite Live avait paru

EXAMEN.

C'EST une croyance assez générale que cette pièce pourroit passer pour la plus belle des miennes, si les derniers actes répondoient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gåte la fin, et j'en demeure d'accord; mais je ne sais si tous en savent la raison. On l'attribue communément à ce qu'on voit cette mort sur la scène; ce qui seroit plutôt la faute de l'actrice que la mienne, parce que quand elle voit son frère mettre l'épée à la main, la frayeur, si naturelle au sexe, lui doit faire prendre la fuite, et recevoir le coup derrière le théâtre, comme je le marque dans cette impression1. D'ailleurs2, si c'est une règle de ne le point ensanglanter, elle n'est pas du temps d'Aristote, qui nous apprend que pour émouvoir puissamment il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle'. Horace ne veut pas que nous y hasardions les événements trop dénaturės, comme de Médée qui tue ses enfants'; mais je ne vois pas qu'il en fasse une règle générale pour toutes

en 1608 et avait été réimprimé en 1619 et en 1628, c'est-à-dire à la veille de la représentation et de l'impression d'Horace. Attachant naturellement peu d'importance, pour l'objet qu'il avait en vue, aux détails de critique et de philologie, il a pris comme au hasard un texte plus ancien, qui se rapproche beaucoup de celui de Badius (Paris, 1537), et où se trouve mainte leçon rejetée depuis ; entre autres, vers la fin du chapitre xxIII, l'inintelligible Volscis, que Vigenère n'a pas traduit.

1. Et dans les précédentes et les suivantes. Voyez les indications qui accompagnent les noms des personnages à la fin de la scène v du IVe acte, p. 340.

2. D'ailleurs est omis dans les éditions de 1660 et de 1663.

3. Voyez la Poetique, fin du chapitre XI.

4.

Ne pueros coram populo Medea trucidet.

CORNEILLE. III

(Art poétique, vers 185.)

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