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Les orages, les vents, les cieux te sont soumis.
Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.

RACINE.

Scène VII. du 2d Acte d'Esther.

ASSUÉRUS, ESTHER, ELISE, THAMAR.

(Esther entre s'appuyant sur Elise; quatre Israelites soutiennent sa robe.)

Assuérus. Sans mon ordre on porte ici ses pas! Quel mortel insolent vient chercher le trépas! Gardes. . . C'est vous, Esther? Quoi! sans être attendue?

Esther. Mes filles, soutenez votre reine éperdue Je me meurs.

[Elle tombe évanouie. Assuérus. Dieux puissants! quelle étrange pâleur De son teint tout à coup efface la couleur ! Esther, que craignez-vous? suis-je pas votre frère? Est-ce pour vous qu'est fait un ordre si sévère? Vivez le sceptre d'or que vous tend cette main, Pour vous de ma clémence est un gage certain.

:

Esther. Quelle voix salutaire ordonne que je vive, Et rappelle en mon sein mon âme fugitive?

Assuérus. Ne connaissez-vous pas la voix de votre époux ?

Encore un coup vivez, et revenez à vous,

Esther. Seigneur, je n'ai jamais contemplé qu'avec crainte

L'auguste majesté sur votre front empreinte.
Jugez combien ce front irrité contre moi,
Dans mon âme troublée a dû jeter d'effroi :
Sur ce trône sacré qu'environne la foudre,
J'ai cru vous voir tout prêt à me réduire en poudre.
Hélas! sans frissonner, quel cœur audacieux
Soutiendrait les éclairs qui partaient de vos yeux?
Ainsi du Dieu vivant la colère étincelle . . .

Assuérus. O soleil! ô flambeaux de lumière immortelle !

Je me trouble moi-même; et sans frémissement

Je ne puis voir sa peine et son saisissement.

Calmez, reine, calmez la frayeur qui vous presse;
Du cœur d'Assuérus souveraine maîtresse,

Eprouvez seulement son ardente amitié.
Faut-il de mes états vous donner la moitié ?

Esther. Eh! se peut-il qu'un roi craint de la terre entière,

Devant qui tout fléchit et baise la poussière,

Jette sur son esclave un regard si serein,
Et m'offre sur son cœur un pouvoir souverain?
Assuérus. Croyez-moi, chère Esther, ce sceptre, cet
empire,

Et ces profonds respects que la terreur inspire,
A leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grâce
Qui me charme toujours et jamais ne me lasse.
De l'aimable vertu doux et puissants attraits!
Tout respire en Esther l'innocence et la paix.
Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,
Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.
Que dis-je? sur ce trône assis auprès de vous,
Des astres ennemis j'en crains moins le courroux,
Et crois que votre front prête à mon diadème
Un éclat qui le rend respectable aux dieux même.
Osez donc me répondre, et ne me cachez pas
Quel sujet important conduit ici vos pas.

Quel intérêt, quels soins vous agitent, vous pressent ?
Je vois qu'en m'écoutant vos yeux au ciel s'adressent.
Parlez: de vos désirs le succès est certain,

Si ce succès dépend d'une mortelle main.

Esther. O bonté qui m'assure autant qu'elle m'honore! Un intérêt pressant veut que je vous implore. J'attends où mon malheur ou ma félicité,

Et tout dépend, seigneur, de votre volonté.

Un mot de votre bouche, en terminant mes peines,
Peut rendre Esther heureuse entre toutes les reines.
Assuérus. Ah! que vous enflammez mon désir curieux !
Esther. Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux,
Si jamais à mes vœux vous fûtes favorable,
Permettez, avant tout, qu'Esther puisse à sa table
Recevoir aujourd'hui son souverain seigneur,
Et qu'Aman soit admis à cet excès d'honneur.
J'oserai devant lui rompre ce grand silence,
Et j'ai pour m'expliquer besoin de sa présence.

Assuérus. Dans quelle inquiétude, Esther, vous me jetez!

Toutefois qu'il soit fait comme vous souhaitez.

[A ceux de sa suite. Vous, que l'on cherche Aman, et qu'on lui fasse entendre Qu'invité par la reine il ait soin de s'y rendre.

Songe d'Athalie.

ATHALIE, MATHAN, ABNER.

RACINE.

Athalie. Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive. Je ne veux point ici rappeler le passé,

Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé :

Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire,

Je ne prends point pour juge un peuple téméraire :
Quoi que son insolence ait osé publier,
Le ciel même a pris soin de me justifier.
Sur d'éclatants succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie;
Par moi Jérusalem goûte un calme profond;
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages,
Comme au temps de nos rois, désoler ses rivages;
Le Syrien me traite et de reine et de sœur ;
Enfin, de ma maison le perfide, oppresseur,
Qui devait jusqu'à moi pousser sa barbarie,
Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie:
De toutes parts pressé par un puissant voisin,
Que j'ai su soulever contre cet assassin,
Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;
Mais un trouble importun vient depuis quelques jours
De mes prospérités interrompre le cours.

Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe!)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge :
Je l'évite partout: partout il me poursuit.

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit ;
Ma mère Jésabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée;
Ses malheurs n'avaieut point abattu sa fierté;
Même elle avait encor cet éclat emprunté,

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Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, Pour réparer des ans l'irréparable outrage:

Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.

'Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi. 'Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, Ma fille.' En achevant ces mots épouvantables,

Son ombre vers mon lit a paru se baisser,

Et moi je lui tendais les mains pour l'embrasser ;
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

Dans ce désordre à mes yeux se présente
Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante,
Tel qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
Sa vue a ranimé mes esprits abattus:

Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste,
J'admirais sa douceur, son air noble et modeste,
J'ai senti tout à coup un homicide acier.
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
De tant d'objets divers le bizarre assemblage
Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage;
Moi-même, quelque temps, honteuse de ma peur,
Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur;
Mais de ce souvenir mon âme possédée

A deux fois, en dormant, revu la même idée ;
Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
Lasse enfin des horreurs dont j'étais poursuivie,
J'allais prier Baal de veiller sur ma vie ;
Et chercher du repos aux pieds de ses autels;
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels!
Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée,
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée :
J'ai cru que des présents calmeraient son courroux,
Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux.
Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.

J'entre le peuple fuit; le sacrifice cesse.
Le grand prêtre vers moi s'élance avec fureur;
Pendant qu'il me parlait, ô surprise! ô terreur!

J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée;
Je l'ai vu son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux et tous ses traits enfin.
C'est lui-même: il marchait à côté du grand-prêtre.
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître.
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable?

RACINE.

Le Combat du Chrétien.

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi:
L'un veut que, plein d'amour pour toi,
Mon cœur te soit toujours fidèle;
L'autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre ta loi.

L'un, tout esprit et tout céleste,
Veut qu'au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste;
Et l'autre, par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché.
Hélas! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix?
Je veux, et n'accomplis jamais.
Je veux; mais, ô misère extrême!
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais.

O grâce, ô rayon salutaire,
Viens me mettre avec moi d'accord;
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui t'est si contraire,
Fais ton esclave volontaire,
De cet esclave de la mort.

RACINE.

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