Page images
PDF
EPUB

Voltaire à qui on demandait de faire la critique des œuvres de Racine s'écria: elle est toute faite, il n'y a qu'a écrire au bas de chaque page: beau, pathétique, harmonieux, admirable, sublime.

Boileau orna le portrait de son ami de ces quatre beaux

vers:

Du théâtre français l'honneur et la merveille,
Il sut ressusciter Sophocle en ses écrits,

Et dans l'art d'enchanter les cœurs et les esprits
Surpasser Euripide et balancer Corneille.

C. LOMBARD DE LUC.

Monologue.

Scène tirée des Plaideurs.'

Petit Jean (traînant un gros sac de procès). Ma foi! sur l'avenir bien fou qui se fîra.

Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

Un juge, l'an passé, me prit à son service;

Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse.
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.
Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,

Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros messieurs me parlaient chapeau bas;
Monsieur de Petit Jean, ah! gros comme le bras.
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi! j'étais un franc portier de comédie :
On avait beau heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entrait point chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de suisse; et ma porte était close.
Il est vrai qu'à monsieur j'en rendais quelque chose:
Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin:
Mais je n'y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurais sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage: il avait le cœur trop au métier;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier ;

1 Comédie imitée des Guêpes d'Aristophane.

Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire,
Il s'y serait couché sans manger et sans boire.
Je lui disais parfois : Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.
Qui veut voyager loin ménage sa monture:
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure.
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire;
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire allait mal
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près;
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allégre.
Pour moi, je ne dors plus: aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller,
Mais, veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi! pour cette nuit il faut que je m'en donne.
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons.

[Il se couche par terre.

RACINE.

Discours de, Mithridate.

Mithridate. Approchez, mes enfants. Enfin l'heure est

venue

Qu'il faut que mon secret éclate à votre vue!

A mes nobles projets je vois tout conspirer;
Il ne me reste plus qu'à vous les déclarer.

Je fuis: ainsi le veut la fortune ennemie.
Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie
Pour croire que longtemps, soigneux de me cacher,
J'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher.
La guerre a ses faveurs, ainsi que ses disgrâces:
Déjà plus d'une fois, retournant sur mes traces,

Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
Tenait après son char un vain peuple occupé,
Et, gravant en airain ses frêles avantages,
De mes Etats conquis enchaînait les images,
Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts,
Ramener la terreur du fond de ses marais,
Et, chassant les Romains de l'Asie étonnée,
Renverser en un jour l'ouvrage d'une année.
D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé
Ne peut plus soutenir leur effort redoublé :
Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravisseurs altérés,

Le bruit de nos trésors les a tous attirés;
Ils y courent en foule, et, jaloux l'un de l'autre,
Désertent leur pays pour inonder le nôtre.
Moi seul je leur résiste: ou lassés, ou soumis,
Ma funeste amitié pèse à tous mes amis;
Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête.
Le grand nom de Pompée assure sa conquête;
C'est l'effroi de l'Asie; et, loin de l'y chercher,
C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher.

Ce dessein vous surprend; et vous croyez peut-être
Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître.
J'excuse votre erreur: et, pour être approuvés,
De semblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que de cette contrée
Par d'éternels remparts Rome soit séparée:
Je sais tous les chemins par où je dois passer;
Et, si la mort bientôt ne me vient traverser,
Sans reculer plus loin l'effet de ma parole,

Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y vient finir son cours?
Que du Scythe avec moi l'alliance jurée

De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?
Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,
Nous verrons notre camp grossir à chaque pas.
Daces, Pannoniens, la fière Germanie,

Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu l'Espagne, et surtout les Gaulois,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois

Exciter ma vengeance, et, jusque dans la Grèce,
Par des ambassadeurs accuser ma paresse:
Ils savent que, sur eux prêt à se déborder,
Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder;
Et vous les verrez tous, prévenant son ravage,
Guider dans l'Italie et suivre mon passage.

C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin,
Vous trouverez partout l'horreur du nom romain,
Et la triste Italie encor toute fumante

Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante.
Non, princes, ce n'est point au bout de l'univers
Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers:
Et, de près inspirant les haines les plus fortes,
Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur;

S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent,
De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent
Sous les drapeaux d'un roi longtemps victorieux,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux ?
Que dis-je! en quel état croyez-vous la surprendre?
Vide de légions qui la puissent défendre,
Tandis que tout s'occupe à me persécuter,
Leurs femmes, leurs enfants pourront-ils m'arrêter?
Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre
Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre ;
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers;
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme:
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome.
Noyons-la dans son sang justement répandu;
Brûlons ce Capitole où j'étais attendu;
Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître
La honte de cent rois, et la mienne peut-être ;
Et, la flamme à la main, effaçons tous ces noms
Que Rome y consacrait à d'éternels affronts.

Voilà l'ambition dont mon âme est saisie.

Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Asie
J'en laisse les Romains tranquilles possesseurs:
Je sais où je lui dois trouver des défenseurs;
Je veux que, d'ennemis partout enveloppée,
Rome rappelle en vain le secours de Pompée.

Le Parthe, des Romains comme moi la terreur,
Consent de succéder à ma juste fureur;
Prêt d'unir avec moi sa haine et sa famille,
Il me demande un fils pour époux à sa fille.
Cet honneur vous regarde, et j'ai fait choix de vous,
Pharnace allez, soyez ce bienheureux époux.
Demain, sans différer, je prétends que l'aurore
Découvre mes vaisseaux déjà loin du Bosphore:
Vous, que rien n'y retient, partez dès ce moment,
Et méritez mon choix par votre empressement;
Achevez cet hymen; et, repassant l'Euphrate,
Faites voir à l'Asie un autre Mithridate.
Que nos tyrans communs en pâlissent d'effroi;
Et que le bruit à Rome en vienne jusqu'à moi.

Athalie interroge Joas.

SCENE D'ATHALIE.

Joas, JosABET, ATHALIE, ABNER.

RACINE.

Josabet (aux deux lévites). O vous, sur ces enfants si chers, si précieux,

Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.

Abner (à Josabet). Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.

Athalie. O ciel! plus j'examine, et plus je le regarde... C'est lui! D'horreur encor tous mes sens sont saisis. [Montrant Joas.

Epouse de Joad, est-ce là votre fils?

Josabet. Qui? lui, Madame?

Athalie. Lui.

Josabet. Je ne suis point sa mère.

Voilà mon fils.

[Montrant Zacharie.

Athalie (à Joas). Et vous? quel est donc votre père? Jeune enfant, répondez.

Josabet. Le ciel jusqu'aujourd'hui....

Athalie (à Josabet). Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ?

C'est à lui de parler.

Josabet. Dans un âge si tendre

Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ?

« PreviousContinue »