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Jupiter et Minos.

Mon fils, disait un jour, Jupiter à Minos,
Toi qui juges la race humaine,
Explique-moi pourquoi l'enfer suffit à peine
Aux nombreux criminels que t'envoie Atropos.
Quel est de la vertu le fatal adversaire
Qui corrompt à ce point la faible humanité ?
C'est, je crois, l'intérêt.-L'intérêt? Non, mon père.
-Et qu'est-ce donc ?-L'oisiveté.

FLORIAN.

L'Aveugle et le Paralytique.

Aidons-nous mutuellement,

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère,
Pour le mal que l'on souffre est un soulagement;
Confucius l'a dit: suivons tous sa doctrine.
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant:

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au ciel de terminer leur vie ;
Mais leurs vœux étaient superflus:
Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint: il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.

Un certain jour il arriva

Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva;

Il entendit ses cris, son âme en fut émue.
Il n'est tels que les malheureux
Pour se plaindre les uns les autres.
J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres,
Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux.

-Hélas! dit le perclus, vous ignorez, mon frère,
Que je ne puis faire un seul pas;
Vous-même vous n'y voyez pas :

A quoi! nous servirait d'unir notre misère?
-A quoi! répond l'aveugle; écoutez à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire;
J'ai des jambes et vous des yeux;

Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide;
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés ;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.

Le Perroquet Confiant.

Cela ne sera rien, disent certaines gens,
Lorsque la tempête est prochaine ;

FLORIAN.

Pourquoi nous affliger avant que le mal vienne?
Pourquoi ? Pour l'éviter, s'il en est encore temps,
Un capitaine de navire,

Fort brave homme, mais peu prudent,
Se mit en mer malgré le vent.

Le pilote avait beau lui dire

Qu'il risquait sa vie et son bien,

Notre homme ne faisait qu'en rire,

Et répétait toujours: Cela ne sera rien.
Un perroquet de l'équipage,

A force d'entendre ces mots

Les retint, et les dit pendant tout le voyage,
Le navire égaré voguait au gré des flots,
Quand un calme plat vous l'arrête.

Les vivres tiraient à leur fin;

Point de terre voisine, et bientôt plus de pain.
Chacun des passagers s'attriste, s'inquiète;
Notre capitaine se tait.

Cela ne sera rien, criait le perroquet.
Le calme continue; ou vit vaille que vaille;
Il ne reste plus de volaille;

On mange les oiseaux, triste et dernier

moyen

Perruches, cardinaux, catakois, tout y passe;
Le perroquet la tête basse,

Disait plus doucement: Cela ne sera rien.
Il pouvait encore fuir, sa cage était trouée;
Il attendit, il fut étranglé bel et bien;
Et, mourant, il criait d'une voix enrouée :
Cela. cela ne sera rien.

Le Miroir de la Vérité.

FLORIAN.

Dans le beau siècle d'or, quand les premiers humains,
Au milieu d'une paix profonde,
Coulaient des jours purs et sereins,

La vérité courait le monde

Avec son miroir dans les mains. Chacun s'y regardait, et le miroir sincère Retraçait à chacun son plus secret désir Sans jamais le faire rougir;

Temps heureux, qui ne dura guère !
L'homme devint bientôt méchant et criminel.
La vérité s'enfuit au ciel

En jetant de dépit son miroir sur la terre.
Le pauvre miroir se cassa.

Ses débris qu'au hasard la chute dispersa,
Furent perdus pour le vulgaire.

Plusieurs siècles après on en connut le prix;
Et c'est depuis ce temps que l'on voit plus d'un sage
Chercher avec soin ces débris,

Les retrouver parfois; mais ils sont si petits,
Que personne n'en fait usage.
Hélas, le sage le premier
Ne s'y voit jamais tout entier.

Le Savant et le Fermier.

Que j'aime les héros dont je conte l'histoire!
Et qu'à m'occuper d'eux je trouve de douceur!
J'ignore s'ils pourront m'acquérir de la gloire,
Mais je sais qu'ils font mon bonheur.
Avec les animaux je veux passer ma vie ;
Ils sont si bonne compagnie!

FLORIAN.

Je conviens cependant, et c'est avec douleur,
Que tous n'ont pas le même cœur

Plusieurs que l'on connaît, sans qu'ici je les nomme,
De nos vices ont bonne part:

Mais je les trouve encore moins dangereux que l'homme
Et, fripon pour fripon, je préfère un renard.
C'est ainsi que pensait un sage,
Un bon fermier de mon pays.

Depuis quatre-vingts ans, de tout le voisinage
On venait écouter ses avis.

Chaque mot qu'il disait était une sentence.
Son exemple surtout aidait son éloquence;
Et lorsqu'environné de ses quarante enfants,
Fils, petits-fils, brus, gendres, filles,

Il jugeait les procès ou réglait les familles,
Nul n'eut osé mentir devant ses cheveux blancs.
Je me souviens qu'un jour dans son champêtre asile
Il vint un savant de la ville

Qui dit au bon vieillard: mon père, enseignez-moi
Dans quel auteur, dans quel ouvrage,
Vous apprîtes l'art d'être sage.
Chez quelle nation, à la cour de quel roi,
Avez vous été, comme Ulysse,
Prendre des leçons de justice?
Suivez-vous de Zénon la rigoureuse loi ?
Avez-vous embrassé la secte d'Epicure,
Celle de Pythagore, ou du divin Platon ?
De tous ces messieurs-là je ne sais pas le nom,
Répondit le vieillard: mon livre est la nature;
Et mon unique précepteur,

C'est mon cœur.

Je vois les animaux, j'y trouve le modèle
Des vertus que je dois chérir:

La colombe m'apprit à devenir fidèle ;
En voyant la fourmi, j'amassai pour jouir;
Mes bœufs m'enseignent la constance,

Mes brebis la douceur, mes chiens la vigilance;
Et si j'avais besoin d'avis

Pour aimer mes filles, mes fils,

La poule et ses poussins me serviraient d'exemple.
Ainsi dans l'univers tout ce que je contemple
M'avertit d'un devoir qu'il m'est doux de remplir.

Je fais souvent du bien pour avoir du plaisir;
J'aime et je suis aimé; mon âme est tendre et pure;
Et, toujours selon ma mesure

Ma raison sait régler mes vœux,
J'observe et je suis la nature,
C'est mon secret pour être heureux.

FLORIAN.

Le Combat de Taureaux.

Au milieu du champ est un vaste cirque, environné de nombreux gradins; c'est là que l'auguste Reine, habile dans cet art si doux de gagner les cœurs de son peuple en s'occupant de ses plaisirs, invite souvent ses guerriers au spectacle le plus chéri des Espagnols. Là les jeunes chefs, sans cuirasse, vêtus d'un simple habit de soie, armés seulement d'une lance, viennent sur de rapides coursiers attaquer et vaincre des taureaux sauvages. Des soldats à pied, plus légers encore, les cheveux enveloppés dans des réseaux, tiennent d'une main un voile de pourpre, de l'autre des lances aiguës. L'alcade proclame la loi de ne secourir aucun combattant, de ne leur laisser d'autres armes que la lance pour immoler, le voile de pourpre pour se défendre. Les rois, entourés de leur cour, président à ces jeux sanglants; et l'armée entière, occupant les immenses amphithéâtres, témoigne par des cris de joie, par des transports de plaisir et d'ivresse, quel est son amour effréné pour ces antiques combats.

Le signal se donne, la barrière s'ouvre, le taureau s'élance au milieu du cirque; mais au bruit de mille fanfares, aux cris, à la vue des spectateurs il s'arrête inquiet et troublé ses naseaux fument; ses regards brûlants errent sur les amphithéâtres: il semble également en proie à la surprise, à la fureur. Tout à coup il se précipite sur un cavalier qui le blesse et fuit rapidement à l'autre bout: le taureau s'irrite, le poursuit de près, frappe à coups redoublés la terre, et fond sur le voile éclatant que lui présente un combattant à pied. L'adroit Espagnol, dans le même instant, évite à la fois sa rencontre, suspend à ses cornes le voile léger, et lui darde une flèche aiguë, qui de nouveau fait couler son sang.

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