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Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avait attrappé,
Semblait un forçat échappé.

Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiraient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile, et tirant le pied,
Demi-morte, et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager;
Que ce soit aux rives prochaines.

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau.
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois aimé: je n'aurais pas alors,
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère

Pour qui, sous le fils de Cythère,

Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! quand reviendront de semblables moments!
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète!
Ah! si mon cœur osait encore se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?
Ai-je passé le temps d'aimer?

LAFONTAINE.

Le Paysan du Danube.

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon; mais il n'est pas nouveau.
Jadis l'erreur du souriceau

Me servit à prouver le discours que j'avance :
J'ai, pour le fonder à présent,

Le bon Socrate, Esope, et certain paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
Nous fait un portrait fort fidèle.

On connaît les premiers; quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci :

Son menton nourrissait une barbe touffue;
Toute sa personne velue

Représentait un ours, mais un ours mal léché :
Sous un sourcil épais il avait l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portait sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins.

Cet homme ainsi bâti fut député des villes
Que lave le Danube. Il n'était point d'asiles

Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors et ne portât les mains.
Le député vint donc, et fit cette harangue :
Romains, et vous sénat assis pour m'écouter.
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris!
Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir on viole leurs lois.

Témoin nous que punit la romaine avarice :
Rome est, par nos forfaits plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et, mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,
Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Etaient

Nous cultivions en paix d'heureux champs, et nos mains, propres aux arts ainsi qu'au labourage. Qu'avez-vous appris aux Germains?

Ils ont l'adresse et le courage :

S'ils avaient eu l'avidité

Comme vous, et la violence,

Peut-être en votre place ils auraient la puissance,
Et sauraient en user sans inhumanité.

Celle

que

vos préteurs ont sur nous exercée
N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous.

Grâces à vos exemples,

Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,

D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome.
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.

Retirez-les on ne veut plus

:

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes;
Nous laissons nos chères compagnes ;

Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés :
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les ils ne nous apprendront

:

Que la mollesse et que le vice;

Les Germains, comme eux, deviendront
Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord :

N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner, c'est en vain qu'on espère

Quelque refuge aux lois : encore leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère.

A ces mots, il se couche; et chacun, étonné,
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritait.
D'autres préteurs; et par écrit

On choisit

Le sénat demanda ce qu'avait dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas longtemps à Rome
Cette éloquence entretenir.

LAFONTAINE.

Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes.

Un octogénaire plantait.

Passe encore de bâtir; mais planter à cet âge!
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage :
Assurément il radotait.

Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir.
A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-mêmes,
Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:
Hé bien! défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore;
Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique ;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république ;
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre
Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

LAFONTAINE.

Maximes extraites des Fables de Florian.

Soyons contents du nécessaire,

Sans jamais souhaiter de trésors superflus,
Il faut les redouter autant que la misère,
Comme elle, ils chassent la vertu.

Nous convenons de nos défauts,

Mais c'est pour que l'on nous démente.

Souvenez vous que, dans la vie,

Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.

Oh! que faut-il pour le bonheur ?
La paix, la douce paix du cœur,
Le désir vrai qu'on nous oublie ;
Le travail qui sait éloigner
Tous les fléaux de notre vie;
Assez de bien pour en donner,

Et

pas assez pour faire envie.

Qui ne songe qu'à soi quand la fortune est bonne,

Dans le malheur n'a point d'amis.

La beauté, ce présent céleste

Ne peut, sans les talents, échapper à l'ennui :

La beauté passe, un talent reste;

On en jouit même en autrui.

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