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La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie

Retourne sur son auteur.

Toute puissance est faible, à moins d'être unie.

Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras; L'un est sur, l'autre ne l'est pas.

Travaillez, prenez de la peine;

C'est le fonds qui manque le moins.

Il ne se faut jamais moquer des misérables:
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir.
Aide-toi, le ciel t'aidera.

Le Chêne et le Roseau.

Les petits échappent aux malheurs qui ruinent les grands.
Le chêne un jour dit au roseau:
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;
Cependant que mon front, au Caucase pareil
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encore si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:
Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel: mais quittez ce souci:
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos :

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon, le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

La Mort et le Bûcheron.

LAFONTAINE.

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que
des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR,

C'est la devise des hommes.

Le Lièvre et la Tortue.'

LAFONTAINE.

Rien ne sert de courir; il faut partir à point:
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

1 On ne saurait répéter trop souvent à la pétulante jeunesse la morale de cette fable en l'étayant de ce vieil adage, 'En toute chose hâtez vous lentement.'

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger :
Ma commère, il vous faut
purger
Avec quatre grains d'ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint,
Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,

Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue;

Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur

De partir tard. Il broute, il se repose;
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Hé bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?
Moi l'emporter! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?

LAFONTAINE.

Le Lion et le Moucheron.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre :

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie?

Un bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevait ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle :
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée ;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre qu'aux grands périls tel a pu se soustraire.
Qui périt pour la moindre affaire.

Les Deux Pigeons.

Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre:
L'un deux, s'ennuyant au logis,

LAFONTAINE.

Fut assez fou pour entreprendre Un voyage en lointain pays. L'autre lui dit: Qu'allez-vous faire? Voulez-vous quitter votre frère ? L'absence est le plus grand des maux: Non pas pour vous, cruel! Au moins que les travaux, Les dangers, les soins du voyage

Changent un peu votre courage. Encore, si la saison s'avançait davantage! Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau. Je ne songerai plus que rencontre funeste, Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il pleut : Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, Bon souper, bon gîte, et le reste ? Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur:

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit: Ne pleurez point;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite :
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère;

Je le désennuîrai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai; J'étais là; telle chose m'avint:
Vous y croirez être vous-même.

A ces mots, en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne: et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encore que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie ;
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès cela lui donne envie;
Il y vole: il est pris: ce blé couvrait d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs était usé; si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin :
Quelque plume y périt; et le pis du destin

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