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les fondements d'un temple,' dont l'immense portique laisse apercevoir les innombrables trésors qui doivent y être entassés, n'avait pas déjà marqué la place proéminente qu'occupera Bichat parmi les génies du XVIII. siècle, en appuyant ses assertions de preuves irréfragables, j'aurais presque eu peur même de mettre Bichat en parallèle avec Cuvier; en effet comme littérateur l'illustre médecin reste au-dessous du célébre naturaliste qui prenait des peines infinies pour soigner son style, tandis que Bichat jetait pour ainsi dire ses pensers sur le papier; mais en observant la profondeur de ses idées philosophiques, on découvre que la vaste intelligence de cet homme éminent a été un des plus puissants leviers qui aient servi à reculer les bornes qui arrêtaient l'esprit humain. Il faut donc donner la palme à Bichat dont la réputation s'accroît à mesure que nos connaissances augmentent.

Son traité d'Anatomie générale et ses Recherches physiologiques sur la Vie et la Mort l'ont certainement fait admettre au nombre des grands génies qui, depuis si longtemps, ont placé la France à la tête du monde civilisé.

Bichat (Marie-François-Xavier) naquit à Thoirette le 11 Novembre, 1771, et fut en 1795, nommé médecin de l'hotel-dieu de Paris; il fut l'élève et l'ami du célèbre Dessault qu'une maladie cruelle enleva à la fleur de l'âge; il laissait une veuve et un orphelin sans fortune, mais Bichat devint aussitôt le soutien du fils et de la femme de son ancien maître, et ne les abandonna jamais. Il mourut à l'âge de 32 ans ! entre les bras de cette femme à laquelle il avait payé une dette si touchante de gratitude, pleuré de tous ses amis, et de tous les hommes célèbres qui avaient goûté le charme de sa societé et de son esprit.

Bichat, qui était né d'un père médecin, et qui avait reçu les premières leçons de cet art au foyer paternel, avait déjà un avantage bien grand que vous possédez tous, mes chers élèves; mais, pour occuper un rang élevé dans une profession si utile et si honorable, sans laquelle nous ne pouvons ni commencer ni finir la vie, il n'est pas toujours nécessaire de vous trouver dans la position avantageuse dans laquelle la Providence a daigné vous placer, et, à l'appui de ce que j'avance, je vous citerai le nom d'un homme à qui vous vous devez tous de la recon

naissance, d'un homme qui, arrivé à Londres, pauvre d'argent, mais riche d'esprit, a su par son mérite, son travail et sa persévérance, conquérir une haute position dans le monde et dans sa profession; et qui de plus, a immortalisé son nom en le gravant dans vos cœurs et sur la pierre de votre collège.

N'ai-je pas nommé JOHN PROPErt, Founder of THE ROYAL MEDICAL BENEVOLENT COLLEGE?

C. LOMBARD DE LUC.

L'habitude perfectionne le Jugement.

Lorsque, pour la première fois la vue se promène sur une vaste campagne, l'oreille est frappée par une harmonie, le goût ou l'odorat sont affectés d'une saveur ou d'une odeur très composées, des idées confuses et inexactes naissent de ces sensations; nous nous représentons l'ensemble; les détails nous échappent. Mais que ces sensations se répètent, que l'habitude les ramène souvent, alors notre jugement devient précis, rigoureux: il embrasse tout, la connaissance de l'objet qui nous a frappés devient parfaite, d'irrégulière qu'elle était.

Voyez cet homme qui arrive à l'opéra, étranger à toute espèce de spectacle; il en rapporte des notions vagues, La danse, la musique, les décorations, le jeu des acteurs. l'éclat de l'assemblée, tout s'est confondu pour lui dans une espèce de chants qui l'a charmé. Qu'il assiste successivement à plusieurs représentations; ce qui, dans ce bel ensemble, appartient à chaque art commence à s'isoler dans son esprit, bientôt il saisit les détails: alors il peut juger, et il le fait d'autant plus sûrement, que l'habitude de voir lui en fournit des occasions plus fréquentes.

Cet exemple nous offre en abrégé le tableau de l'homme commençant à jouir du spectacle de la nature. L'enfaut qui vient de naître et pour qui tout est nouveau, ne sait encore percevoir dans ce qui frappe ses sens que les impressions générales. En émoussant peu à peu ces impressions qui retiennent d'abord toute l'attention de l'enfant, l'habitude lui permet de saisir les attributs particuliers des corps, elle lui apprend ainsi insensiblement

à voir, à toucher, en le faisant successivement descendre, dans chaque sensation, des notions confuses de l'ensemble aux idées précises des détails. Tel est en effet un des grands caractères de la vie animale, qu'elle a besoin d'une véritable éducation.

L'habitude, en émoussant le sentiment perfectionne donc constamment le jugement, et même ce second effet est inévitablement lié au premier. Un exemple rendra ceci évident: je parcours une prairie émaillée de fleurs; une odeur générale, assemblage confus de toutes celles que fournissent isolément ces fleurs, vient d'abord me frapper, distraite par elle, l'âme ne peut percevoir autre chose; mais l'habitude affaiblit ce premier sentiment; bientôt elle l'efface; alors l'odeur particulière de chaque plante se distingue, et je puis porter un jugement qui était primitivement impossible.

Ces deux modes opposés d'influence que l'habitude exerce sur le sentiment et le jugement tendent donc, comme on le voit, à un but commun; et ce but est la perfection de chaque acte de la vie animale.

Influence des Passions.

BICHAT.

Comparez l'homme dont la douleur marque toutes les heures, à celui dont les jours se passent dans la paix du cœur et la tranquillité de l'âme, vous verrez quelle différence distingue la nutrition de l'un d'avec celle de

l'autre.

Rapprochez les temps où toutes les passions sombres, la crainte, la tristesse, le désir de la vengeance, semblaient planer sur la France, de celui où la sûreté, l'abondance y appelaient les passions gaies, si naturelles aux Français; rappelez-vous comparativement l'habitude extérieure de tous les corps dans ces deux temps, et vous direz si la nutrition ne reçoit pas l'influence des passions. Ces expressions: sécher d'envie, être rongé de remords, être consumé par la tristesse, etc., n'annoncent-elles pas combien les passions modifient le travail nutritif ? BICHAT.

CHATEAUBRIAND.

Le malheur est un marche-pied pour s'élever vers le ciel. FRANÇOIS-AUGUSTE, Vicomte de Chateaubriand, naquit à St. Malo, en 1778, treize ans avant le célèbre abbé de Lamennais dont la maison était peu éloignée de celle de la noble famille de Chateaubriand.

Cet homme illustre traîna son grand nom, ses malheurs et ses grandeurs, avec un courage et une noblesse si admirables, qu'on ne peut s'empêcher de sentir que le Dieu des chrétiens, qu'il invoqua toujours, a pu seul le soutenir au milieu des tempêtes qui ont sans cesse secoué sa vie aventureuse. Son tombeau, creusé dans un roc qui domine les flots auxquels il a si souvent jeté ses plaintes, est surmonté d'une croix qui semblait faite pour éterniser sa mémoire; mais le temps a déjà rongé cette pierre qui menace ruine:

'Sic transit gloria mundi !'

Chateaubriand commence la vie sous le regard d'un père sévère, auprès d'une mère tendre et souffrante, et avec une sœur chérie, trop chérie, hélas! Il va faire ses études tant à Dol qu'à Rennes; il se destine à la marine, et se rend à Brest; il abandonne l'idée d'embrasser la profession de marin, et rentre dans sa famille qui vivait retirée dans les solitudes du château de Combourg; pour plaire à sa pieuse mère, il pense un instant à entrer dans le sacerdoce; il renonce à la vie religieuse, et devient sous-lieutenant dans le régiment de Navarre; arrivé à Paris il travaille; il voit la cour quelquefois, et des littérateurs souvent; il se marie à vingt ans. La mélancolie, qui l'accablait au château de ses pères, le suit même auprès de sa femme; il quitte l'Europe avec l'intention de parcourir l'Amérique et de découvrir le passage du nord-ouest; il écrit au milieu des forêts du NouveauMonde son admirable Atala, retouche René qu'il avait fait dans les bois de Combourg, et compose les Natchez; il abandonne les déserts, revient au milieu des établissements européens; il y apprend les malheurs qui accablent son roi et son pays, et se hâte de faire voile pour la France; preux chevalier, il court à Coblentz offrir son

épée et son sang; il est blessé au siége de Thionville où, le manuscrit d'Atala, qu'il portait sur son cœur, empêche une balle de trancher le fil de ses jours; cependant il prend la fièvre, il arrive malade à Bruxelles où il revoit son frère aîné; il apprend la mort de son père et l'emprisonnement de ses parents; il s'embarque pour Jersey où il est déposé presque mourant; il passe enfin en Angleterre; il s'y trouve dans la misère, se voit obligé d'habiter un grenier, et de faire des traductions pour un libraire afin de ne pas mourir de faim; il publie à Londres ses 6 Essais sur les Révolutions;' il tombe malade, et est abandonné des médecins; arraché aux bras de la mort, comme par miracle, il rentre en France, sous Napoléon, après avoir bu à la coupe du malheur et de la misère; il publie en 1802 le Génie du Christianisme, le plus beau fleuron de sa couronne immortelle; il est nommé secrétaire d'ambassade à Rome par Napoléon, donne bientôt sa démission, et part pour la Terre-Sainte; 'il descend sur la terre des prodiges, aux sources de la plus étonnante poésie, aux lieux, où, même humainement parlant, il s'est passé le plus grand événement qui ait changé la face du monde?' de retour en France, il est nommé ambassadeur en Suisse; il apprend la mort du duc d'Enghien; il donne sa démission en refusant de servir le gouvernement qui a permis ce meurtre politique ; il renonce à ses idées libérales, et fidèle à son roi et aux devoirs que sa naissance lui impose, il devient le champion des Bourbons; il revient à Paris après le désastre de Waterloo; il est nommé pair de France en 1815, académicien l'année suivante; il est envoyé à Berlin comme ministre plénipotentiaire; puis magnifique ambassadeur, il part pour Londres qui devient témoin de sa splendeur, après avoir caché sa misère; il est rappelé en France; il est nommé ministre des affaires étrangères; il est obligé de déposer son portefeuille, après avoir lutté en vain contre les anciens préjugés des hommes ignorants qui étaient au pouvoir; sa parole puissante tonne, et on le nomme ambassadeur à Rome pour l'éloigner.

En 1830 Chateaubriand quitte Rome, le ministère Polignac se forme, les ordonnances paraissent, et l'ancienne monarchie succombe et va mourir en exil!

G

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