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MONTESQUIEU.

MONTESQUIEU, qui fut compté parmi les hommes les plus illustres du dix-huitième siècle, était le fils de Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, et naquit au château de la Brède, près de Bordeaux, le 18 Janvier 1689. Sa gloire fut 'l'Esprit des lois,' et pour composer cet admirable ouvrage, il alla étudier les nations chez elles. Après avoir parcouru l'Autriche, la Hongrie, l'Allemagne, la Hollande, l'Italie et la Suisse, il résolut de passer en Angleterre, où il fit un séjour de deux ans ; il fut particulièrement recherché par les savants de ce pays; et la reine Anne, qui cultivait la philosophie sur le trône, l'honora d'une bienveillance particulière. Voici à ce sujet une anecdote racontée par lui-même: 'Je dînais chez le duc de Richmond; le gentilhomme ordinaire de la Boine, qui était un fat, quoique envoyé de France en Angleterre, soutint que l'Angleterre n'était pas plus grande que la Guienne: je tançai mon envoyé. Le soir la reine me dit: "je sais que vous nous avez défendus contre votre monsieur de la Boine." Madame je n'ai pu m'imaginer qu'un pays où vous régnez ne fût pas un grand pays.'

De retour de ses voyages, Montesquieu avait coutume de dire que l'Angleterre était faite pour y penser, l'Allemagne pour y voyager, l'Italie pour y séjourner, et la France pour y vivre.

Son tableau du gouvernement Anglais, que j'aurais voulu pouvoir donner en entier dans ce livre, est vraiment admirable, et son article d'Alexandre est écrit de main de maître.

Montesquieu épousa en 1715, demoiselle Jeanne de Lartigue. Il en a eu deux filles, et un fils qui s'est montré digne d'un tel père.

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Cet homme de bien, qui avait écrit pour le genre main en essayant de lui apprendre ce que c'était que la liberté, mourut à l'âge de soixante-six ans révolus, le 10 Février, 1755. Ses vertus ont fait honneur à la nature humaine, et ses écrits à la législation: son nom survivra

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aussi longtemps que la droite raison, les obligations morales et le vrai Esprit des lois,' seront entendus, respectés et conservés.

C. LOMBARD DE LUC.

Pensées et Maximes extraites de l'Esprit des Lois.

Aimer à lire, c'est faire un échange des heures d'ennui que l'on doit avoir en sa vie contre des heures délicieuses. Voici comme je définis le talent: un don que Dieu nous a fait en secret, et que nous révélons sans le savoir. Les grands seigneurs ont des plaisirs, le peuple a de la joie.

Quand on court après l'esprit, on attrape la sottise. L'attente est une chaîne qui lie tous nos plaisirs. J'aime les paysans; ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers.

Les gens qui ont beaucoup d'esprit tombent souvent dans le dédain de tout.

Une belle action est celle qui a de la bonté, et qui demande de la force pour la faire.

La plupart des hommes sont plus capables de grandes actions que de bonnes.

Le mérite console de tout.

La raillerie est un discours en faveur de son esprit. contre son bon naturel.

Tout homme doit être poli, mais aussi il doit être libre.

Les connaissances rendent les hommes doux; la raison porte à l'humanité: il n'y a que les préjugés qui y fassent

renoncer.

Des Anglais et des Français.

Les Français sont agréables, ils se communiquent, sont variés, se livrent dans leurs discours, se promènent, marchent, courent, et vont toujours jusqu'à ce qu'ils soient tombés. Les Anglais sont des génies singuliers, ils n'imite

ront pas même les anciens qu'ils admirent. Leurs pièces ressemblent bien moins à des productions régulières de la nature, qu'à ces jeux dans lesquels elle a suivi des hasards heureux.

A Paris on est étourdi par le monde; on ne connaît que les manières, et on n'a pas le temps de connaître les vices et les vertus.

Si l'on me demande quels préjugés ont les Anglais, en vérité je ne saurais le dire, ni la guerre, ni la naissance, ni les dignités, ni les hommes à bonnes fortunes, ni le délire de la faveur des ministres : ils veulent que les hommes soient hommes; ils n'estiment que deux choses: les richesses et le mérite.

J'appelle génie d'une nation les mœurs et le caractère d'esprit des différents peuples dirigés par l'influence d'une même cour et d'une même capitale. Un Anglais, un Français, un Italien, trois esprits.

MONTESQUIEU.

Ce que c'est que la Liberté.

Il faut se mettre dans l'esprit ce que c'est que l'indépendance, et ce que c'est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent; et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir.

Des Peuples des Iles.

MONTESQUIEU.

Les peuples des îles sont plus portés à la liberté que les peuples du continent. Les îles sont ordinairement d'une petite étendue; une partie du peuple ne peut pas être si bien employée à opprimer l'autre; la mer les sépare des grands empires, et la tyrannie ne peut s'y prêter la main; les conquérants sont arrêtés par la mer; les insulaires ne sont pas enveloppés par la conquête et ils conservent plus aisément leurs lois.

MONTESQUIEU.

Effets de l'Humeur Sociable.

Plus les peuples se communiquent plus ils changent aisément de manières, parce que chacun est plus un spectacle pour un autre; on voit mieux les singularités des individus. Le climat qui fait qu'une nation aime à se communiquer fait aussi qu'elle aime à changer; et ce qui fait qu'une nation aime à changer fait aussi qu'elle se forme le goût. MONTESQUIEU.

Opinion de Montesquieu sur le Peuple Anglais.

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En parlant des Anglais Montesquieu a dit: C'est le peuple du monde qui a le mieux su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses: la religion, le commerce et la liberté.'

MONTESQUIEU.

D'Alexandre. Sa Conquête.

Quatre événements arrivés sous Alexandre firent dans le commerce une grande révolution; la prise de Tyr, la conquête de l'Egypte, celle des Indes, et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L'Empire des Perses s'étendait jusqu'à l'Indus. Longtemps avant Alexandre, Darius avait envoyé des navigateurs qui descendirent ce fleuve, et allèrent jusqu'à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes ? Comment les Perses ne l'avaient-ils pas fait auparavant? Que leur servaient des mers qui étaient si proches d'eux, des mers qui baignaient leur empire? Il est vrai qu'Alexandre conquit les Indes: mais faut-il conquérir un pays pour y négocier ? J'examinerai ceci.

L'Ariane, qui s'étendait depuis le golfe Persique jusqu'à l'Indus, et de la mer du midi jusqu'aux. montagnes des Paropamisades, dépendait bien en quelque façon de l'empire des Perses: mais, dans sa partie méridionale, elle était aride, brûlée, inculte et barbare. La tradition portait que les armées de Sémiramis et de Cyrus avaient

péri dans ces déserts: et Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d'y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissaient toute la côte au pouvoir des Ichthyophages et autres peuples barbares. D'ailleurs, les Perses n'étaient pas navigateurs, et leur religion même leur ôtait toute idée de commerce maritime. La navigation que Darius fit faire sur l'Indus et la mer des Indes fut plutôt une fantaisie d'un prince qui veut montrer sa puissance que le projet réglé d'un monarque qui veut l'employer. Elle n'eut de suite ni pour le commerce ni pour la marine; et, si l'on sortit de l'ignorance, ce fut pour y retomber.

Il y a plus: il était reçu avant l'expédition d'Alexandre, que la partie méridionale des Indes était inhabitable: ce qui suivait de la tradition que Sémiramis n'en avait ramené que vingt hommes, et Cyrus que sept.

Alexandre entra par le nord. Son dessein était de marcher vers l'orient: mais, ayant trouvé la partie du midi pleine de grandes nations, de villes et de rivières, il en tenta la conquête et la fit.

Pour lors, il forma le dessein d'unir les Indes avec l'occident par un commerce maritime, comme il les avait unies par des colonies qu'il avait établies dans les terres.

Il fit construire une flotte sur l'Hydaspe descendit cette rivière, entra dans l'Indus, et navigua jusqu'à son embouchure. Il laissa son armée et sa flotte à Patale, alla lui-même avec quelques vaisseaux reconnaître la mer, marqua les lieux où il voulut que l'on construisît des ports, des havres, des arsenaux. De retour à Patale, il se sépara de sa flotte, et prit la route de terre pour lui donner du secours et en recevoir. La flotte suivit la côte depuis l'embouchure de l'Indus, le long du rivage des pays, des Ichthyophages, de la Caramanie, et de la Perse. Il fit creuser des puits, bâtir des villes; il défendit aux Ichthyophages de vivre de poisson; il voulait que les bords de cette mer fussent habités par des nations civilisées. Néarque et Onésicrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arrivèrent à Suse; ils y trouvèrent Alexandre qui donnait des fêtes à son armée.

Ce conquérant avait fondé Alexandrie dans la vue de

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