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Mais pour placer dans les Opera les inftructions dont il eft fufceptible, il faudroit choisir des fujets un peu plus mâles que plufieurs de ceux qu'on a pris depuis Mr Quinault: car la plufpart des Opera modernes ne font que des Idylles d'amours vuides de tout autre intereft & de tout autre exemple. De plus en juftifiant les Opera de Mr Quinault même, ou ceux qui leur reffemblent, je n'adreffe point cette juftification à des Auteurs qui par des principes tirez de la pieté chrêtienne ont écrit contre les fpetacles & les.Romans; je laiffe toutes leurs raifons dans leur entier : je parle feulement pour des Ecrivains qui ne font connus dans le monde que par des ouvrages profanes; & je dis d'abord qu'il ne me paroît point qu'il foit permis à de tels Ecrivains de fe fervir des armes de la Theologie Morale contre des ouvrages modernes infiniment plus modeftes que les ouvrages anciens dont ils confeillent éternellement la lecture, ou qu'ils mettent par leurs traductions entre les mains de tout le monde. Mr Def preaux, par exemple, a fait imprimer à la fin de fon Edition favorite de 170 1. la lettre que Mr A. avoit écrite à fon avantage, Mr A. qui de tout temps. avoir

décidé contre les fpectacles & les Romans dit: Ce qu'il y a de particulier dans l'Auteur de la Satyre, & en quoy il est le plus loüable; c'est d'avoir reprefenté avec tant d'efprit & de force le ravage que peuvent faire dans les bonnes mœurs les vers de 1 Opera qui roulent tous fur l'amour, chantez fur des airs qu'il a eu grande raifon d'appeller luxurieux ; puisqu'on ne sçauroit s'en imaginer de plus propres à enflammer les paffions, & à fai re entrer dans les cœurs la morale lubrique des vers. Et deux pages aprés il dit au fujet de Clelie: Il ne s'agit point du merite de la perfonne qui a compofé la Clelie, ni de l'estime qu'on a faite de cet ouvrage; il en a pû meriter pour l'efprit, pour la politeffe, pour l'agrément des inventions, pour les caracteres bien fuivis, & pour les autres chofes qui rendent agréable à tant de perfonnes la lecture des Romans; que ce Joit, fi vous voulez, le plus beau de tous les Romans, mais enfin c'est un Roman, c'est tout dire; le caractere de ces pieces eft de rouler fur l'amour, & d'en donner des leçons d'une maniere ingenienfe & qui foit d'autant mieux reçue qu' n en écarte plus en apparence tout ce qui pourroit paroître de trop groffierement contraire à la pureté.

a pag. 184. du vol, de M, Defpreaux.

C'est par là qu'on va infenfiblement jusqu'au bord du précipice. Sans toucher au fond de ces raifons, il eft certain que Mr Defpreaux ne pouvoit s'en prévaloir, & qu'on ne devoit point lui en faire honneur; parce que Mr Defpreaux eft un Auteur profane qui n'avoit jamais critiqué l'Opera & les Romans que par des principes profanes, jufques-là même que dans cet avertiffement que nous avons cité ailleurs, il dit qu'il ne sçauroit y avoir de bon Opera, parce qu'on ne fçauroit y reprefenter les paffions dans toute leur étendue. Afin que des raifons tirées de ce que les Opera & les Romans ne roulent que fur l'amour & enflamment les paffions, puffent fervir à Mr Defpreaux, il faudroit qu'il n'eût point dit, dans fon Art Poëtique, Chant 2.

D'un ton un peu plus haut, mais pourtant fans audace

La plaintive Elegie, en longs hab ts de deüil, Sçait, les cheveux épars, gémir fur un cercueil;

Elle peint des amans la joye & la trifteffe, Flate, menace, irrite, appaife une Maitreffe:

Mais pour bien exprimer ces caprices heu

C'est peu d'être Poëte, il faut être amoureux.

Fe hais ces vains Auteurs, dont la Muse forcée M'entretient de fes feux, toûjours froide & glacée,

Qui s'affligent par art, & fous de fens raffis, S'érigent, pour rimer, en amoureux tranfis. Ce n'étoit pas jadis, fur ce ton ridicule, Qu'Amour dictoit les vers, que foûpiroit Tibulle,

du tendre Ovide animant les doux

Qu que Sons,

Il donnoit de fon art les charmantes leçons.

Par où vous voyez que Mr Defpreaux loüe hardiment un ouvrage impudique dont un Empereur Payen avoit crû devoir bannir l'Auteur. En parlant de l'ode, il ajoûte :

Tantôt ; comme une abeille ardente à fon
ouvrage,

Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage,
Elle peint les feftins, les danfes, & les ris,
Vante un baifer cuëilli fur les lévres d'Iris,
Qui mollement refifte, & par un doux ca-
price,
Quelquefois le refufe, afin qu'on le raviffe.
Dans le Chant troifiéme où il s'agit de
la Tragedie, il parle encore plus net-

tement, car il y fait un précepte de ce que Mr A. condamne par fa lettre dans les ouvrages dont nous parlons.

Bien-tôt l'Amour fertile en tendres fen

timens,

S'empara du Théatre, ainfi que des Romans: De cette paffion la fenfible Peinture

Eft pour aller au cœur la route la plus fûre; Peignez donc, j'y confens, les Héros amon

reux,

Mais ne m'en formez pas des Bergers doucereux, &c.

Enfin ce qui découvre à plein fa penfée, directement oppofée à celle de Mr A. qui infinue que les leçons d'amour font d'autant plus dangereufes qu'on en écarte plus en apparence tout ce qui pourroit paroître de trop groffierement contraire à la pureté : voicy comme parle Mr Defpreaux, Chant 4.

Je ne fuis pas pourtant de ces triftes efprits, Qui, banniffant l'amour de tous chastes écrits, D'un fi riche ornement veulent priver la Scene,

Traitent d'empoisonneurs & Rodrigue & Chi

mene:

L'amour le moins honnête exprimé chaftement, N'excite point en nous de honteux mouve

mens;

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