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tôt persuadé que je n'étais pas un imposteur; sur quoi il me rendit mes marchandises en me témoignant bien de la joie de me revoir.

Je choisis ce qu'il y avait de plus précieux dans mes ballots, et j'en fis présent au roi Mihrage; après cela, je pris congé de lui, et me rembarquai sur le même vaisseau. Nous abordâmes heureusement à Bassora, d'où j'arrivai en cette ville avec la valeur d'environ cent mille sequins. J'achetai de belles terres, et je fis bâtir une grande maison, et je résolus d'oublier les maux que j'avais soufferts, et de jouir des plaisirs de la vie.

SECOND VOYAGE DE SINBAD.

I. J'avais résolu, après mon premier voyage, de passer tranquillement le reste de mes jours à Bagdad, mais je ne fus pas longtemps sans m'ennuyer d'une vie oisive; l'envie de voyager et de négocier par mer me reprit, et je partis une seconde fois avec d'autre marchands.

Un jour nous descendîmes dans une île couverte de plusieurs sortes d'arbres fruitiers, mais nous n'y découvrîmes ni maisons ni habitants. Pendant que les uns se divertissaient à cueillir des fleurs, et les autres des fruits, je pris mon vin et mes provisions, et je m'assis près d'un ruisseau entre deux grands arbres qui formaient un bel ombrage. Je fis un assez bon repas; après quoi je m'endormis.

Je ne dirai pas si je dormis longtemps, mais quand je me réveillai, non-seulement mes compagnons, mais le navire même était parti. Je pensai mourir de douleur. Je poussai des cris épouvantables, et je me reprochai cent fois de ne m'être pas contenté de mon premier voyage.

A la fin je devins plus résigné, et je montai au haut d'un grand arbre pour voir si je ne découvrirais rien qui pût me donner quelque espérance. En jetant les yeux sur la mer, je ne vis que de l'eau et le ciel; mais ayant aperçu du côté de la terre quelque chose de blanc, je descendis de l'arbre, et je marchai vers cet objet, qui était si éloigné, que je ne pouvais pas bien distinguer ce que c'était.

Lorsque j'en fus près, je vis que c'était une grande boule blanche; je la touchai et la trouvai fort douce elle pouvait avoir cinquante pas de circonférence.

II. Tout à coup l'air s'obscurcit, comme s'il eût été couvert d'un nuage épais. Mais si je fus étonné de cette obscurité, je le fus bien davantage, quand je m'aperçus que ce qui la causait, était un oiseau d'une grandeur extraordinaire, qui s'avançait de mon côté en volant.

Je me ressouvins d'un oiseau appelé roc, dont j'avais souvent entendu parler aux matelots, et je pensai que la grosse boule blanche devait être un œuf de cet oiseau. En effet, il s'abattit et se posa dessus. En le voyant venir, je m'étais serré fort près de l'œuf, de sorte que j'eus devant moi un des pieds de l'oiseau. Je m'y attachai fortement avec la toile de mon turban, dans l'espérance que le roc, lorsqu'il reprendrait son vol le lendemain, m'emporterait hors de cette île déserte. Effectivement, après avoir passé la nuit en cet état, d'abord qu'il fut jour, l'oiseau s'envola, et m'enleva si haut, que je ne voyais plus la terre; puis il descendit tout à coup avec rapidité.

Lorsque le roc fut posé, et que je me vis à terre, je déliai promptement le nœud qui me tenait attaché à son pied. J'avais à peine achevé de me détacher, qu'il donna du bec sur un serpent, avec lequel il s'envola aussitôt.

Le lieu où il me laissa était une vallée très profonde, environnée de toutes parts de hautes montagnes, et tellement escarpées, qu'il n'y avait aucun chemin par où l'on y pût monter. Ce fut un nouvel embarras pour moi.

En marchant par cette vallée, je remarquai qu'elle était parsemée de diamants d'une grosseur surprenante. A la fin, je m'assis, et comme je n'avais pas fermé l'œil de toute la nuit, je m'endormis; mais quelque chose qui tomba près de moi avec un grand bruit me réveilla: c'était une grosse pièce de viande fraîche; et dans le moment, j'en vis rouler plusieurs autres du haut des rochers en différents endroits.

III. J'avais entendu parler de la Vallée des Diamants et des stratagèmes dont on se sert pour en tirer ces pierres précieuses. Les marchands se rendent auprès de cette

vallée dans le temps que les aigles ont des petits. Ils découpent de la viande et la jettent par grosses pièces dans la vallée; les diamants sur la pointe desquels elles tombent, s'y attachent. Les aigles, qui sont en ce payslà plus forts qu'ailleurs, vont fondre sur ces pièces de viande, et les emportent dans leurs nids au haut des rochers. Alors les marchands accourent, et obligent, par leurs cris, les aigles à s'éloigner, et prennent les diamants qu'ils trouvent attachés aux pièces de viande.

Ce que je venais de voir, me donna l'espérance de pouvoir sortir de cet abîme. Je commençai par ramasser les plus gros diamants que je pus trouver, et j'en remplis un sac de cuir que je liai à ma ceinture. Je pris ensuite la pièce de viande qui me parut la plus longue; je l'attachai fortement autour de moi avec la toile de mon turban, et en cet état je me couchai contre terre.

Je ne fus pas plutôt en cette situation, que les aigles vinrent chacun se saisir d'une pièce de viande qu'ils emportèrent; et un des plus forts m'ayant enlevé de même avec le morceau de viande dont j'étais enveloppé, me porta dans son nid au haut de la montagne. Les marchands ne manquèrent point alors de crier pour épouvanter les aigles; et lorsqu'ils les eurent obligés à quitter leur proie, un d'entre eux s'approcha de moi; mais il fut saisi de crainte quand il m'aperçut. Il se rassura pourtant, et commença à me quereller, et m'accusa de lui voler son bien. "Vous me traiterez,” lui dis-je, "avec plus d'humanité, lorsque vous me connaîtrez mieux. Consolez-vous, j'ai des diamants pour vous et pour moi, plus que tous les autres marchands ensemble."

Je passai la nuit avec les marchands à qui je racontai mon histoire. Je ne pouvais modérer ma joie d'avoir échappé à un danger si imminent.

Il y avait déjà plusieurs jours que les marchands jetaient des pièces de viande dans la vallée; et comme chacun paraissait content des diamants qui lui étaient échus, nous partîmes le lendemain tous ensemble. Nous gagnâmes le premier port, où nous nous embarquâmes pour Bassora, et de là je revins en cette ville de Bagdad. J'y fis d'abord de grandes aumônes aux pauvres, et jɔ

jouis honorablement du reste de mes richesses que j'avais apportées et gagnées avec tant de fatigues.

TROISIEME ET DERNIER VOYAGE DE SINBAD LE MARIN.

I. J'eus bientôt perdu le souvenir des dangers que j'avais courus dans mes voyages précédents. Comme j'étais à la fleur de mon âge, je m'ennuyai de vivre dans le repos; et je partis de nouveau de Bagdad avec de riches marchandises du pays, que je fis transporter à Bassora. Là, je m'embarquai encore avec d'autres marchands. Au bout de quelques jours de navigation, notre vaisseau donna sur des récifs, et se brisa. J'eus le bonheur, de même que plusieurs autres marchands et matelots, de saisir une planche.

Nous fûmes emportés par un courant vers une île qui était devant nous. A notre arrivée, des noirs vinrent à nous en très grand nombre; ils nous environnèrent, et nous conduisirent ensuite dans leurs habitations. Ils nous offrirent des herbes à manger; mes camarades en mangèrent avec avidité. Pour moi, par un pressentiment de quelque supercherie, je ne voulus pas seulement en gouter, et je m'en trouvai bien; car peu de temps après, je m'aperçus que l'esprit avait tourné à mes compagnons, et qu'en me parlant, ils ne savaient ce qu'ils disaient.

Les noirs avaient d'abord présenté de cette herbe pour nous troubler l'esprit; et ils nous donnaient du riz pour nous engraisser. Comme ils étaient anthropophages, leur intention était de nous manger quand nous serions devenus gras; c'est ce qui arriva à mes camarades. Pour moi, au lieu d'engraisser comme les autres, je devins cncore plus maigre que je ne l'étais. Les noirs me voyant sec et malade, remirent ma mort à un autre temps.

Cependant j'avais beaucoup de liberté, et l'on ne prenait presque pas garde à mes actions. Je profitai de cette négligence des noirs, et me sauvai de leurs habitations. Je marchai pendant plusieurs jours, et j'arrivai enfin près de la mer, où je trouvai des gens blancs occupés à cueillir du poivre. Ils s'approchèrent de moi, et ine demandèrent en arabe qui j'étais, et d'où je venais.

Je

satisfis leur curiosité, en leur racontant mes aventures, qui les surprirent beaucoup. Ils me présentèrent à leur roi, qui me fit donner des habits, et commanda qu'on eût soin de moi.

II. Je faisais ma cour au roi très exactement; il me dit un jour: "Sinbad, je t'aime, je veux que tu te maries, et que tu t'établisses dans mes états."

Il me donna pour femme une dame de sa cour, noble, belle, riche, et sage.

J'avais contracté une amitié fort étroite avec un de mes voisins dont la femme tomba malade et mourut. J'allai chez lui pour le consoler, et le trouvai plongé dans la plus vive affliction. "Hélas!" me dit-il, “je n'ai plus qu'une heure à vivre; on m'enterre aujourd'hui avec ma femme. Telle est la coutume établie dans cette île: le mari vivant est enterré avec la femme morte, et la femme vivante avec le mari mort. Rien ne peut me sauver; tout le monde subit cette loi."

Dans le moment qu'il me parlait de cette étrange barbarie, dont la nouvelle m'effraya cruellement, les parents, les amis, et les voisins arrivèrent pour assister aux funérailles.

Je m'en retournai tristement chez moi. La crainte que ma femme ne mourût la première, et qu'on ne m'enterrât tout vivant avec elle, me tourmentait nuit et jour. Je tremblais à la moindre indisposition que je voyais à ma femme; mais, hélas! j'eus bientôt la frayeur tout entière ! Elle tomba véritablement malade, et mourut en peu de jours.

Jugez de ma douleur lorsque je vis les préparatifs de mes funérailles. Le roi, accompagné de toute sa cour, voulut honorer le convoi de sa présence; et les personnes les plus considérables de la ville me firent aussi l'honneur d'assister à mon enterrement.

III. On commença la marche. Je suivais immédiatement la bière de ma femme, les yeux baignés de larmes, et déplorant mon malheureux destin. On prit le chemin d'une haute montagne; et lorsqu'on y fut arrivé, on enleva une grosse pierre qui couvrait l'ouverture d'un puits profond. Je me jetai aux pieds du roi, et le suppliai

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