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du malheur qui était arrivé, et qu'ils ne pouvaient être heureux qu'après que ces deux blancs auraient adoré leur dieu. Aussitôt on décida qu'on ferait un sacrifice au nouveau singe qu'on venait de choisir; que les deux blancs y assisteraient, et qu'après la cérémonie, Marie épouserait le roi; que s'ils s'y refusaient, on les brûlerait tout vifs avec leurs livres, dont ils se servaient pour faire des enchantements.

Marie apprit cette résolution; et comme les prêtres lui disaient que c'était elle qui avait fait mourir le singe, elle leur répondit: "Si je l'avais fait mourir, n'est-il pas vrai que je serais plus puissante que lui? Je serais donc bien stupide d'adorer quelqu'un qui ne serait pas au-dessus de moi je mériterais plutôt les adorations du singe, que lui les mieunes: cependant, je ne veux pas vous tromper ce n'est pas moi qui lui ai ôté la vie, mais notre Dieu, qui est le maître de toutes les créatures."

Ce discours irrita les sauvages; ils attachèrent Marie et son frère à des poteaux, et se préparaient à les brûler lorsqu'on leur apprit qu'un grand nombre de leurs ennemis venaient d'aborder dans l'ile. Ils coururent pour les combattre, et furent vaincus. Les vainqueurs coupèrent les liens des deux enfants blancs, et les emmenèrent dans leur île, où ils devinrent esclaves du roi.

V. Ces nouveaux sauvages faisaient souvent la guerre ; et, comme leurs voisins, ils mangeaient leurs prisonniers. Un jour, ils en prirent un grand nombre, car ils étaient fort vaillants. Il se trouva parmi ces prisonniers un homme blanc, et comme il était fort maigre, les sauvages résolurent de l'engraisser avant de le manger. lls l'enchaînèrent dans une cabane, et chargèrent Marie de lui porter à manger. Comme elle savait qu'il devait être bientôt mis à mort, elle déplorait son sort, et le regardant tristement, elle dit : "Mon Dieu, ayez pitié de lui!"

Cet homme blanc, qui avait été fort étonné en voyant une fille de la même couleur que lui, le fut bien davantage quand il l'entendit prier un seul Dieu dans sa propre langue. "Qui vous a appris à parler français," lui dit-il, et à connaître le vrai Dieu ?"-" Je ne savais pas le nom de la langue que je parle," répondit Marie

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"c'était la langue de ma mère, et elle me l'a apprise; quant à Dieu, nous avons deux livres qui en parlent, et nous le prions tous les jours."-"Ah ciel!" s'écria cet homme, "voudriez-vous me montrer les livres dont vous me parlez ?"—"Je ne les ai pas," lui répondit-elle, "mais je vais chercher mon frère qui les garde, et il vous les montrera

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Marie sortit, et revint bientôt avec Jean, qui apportait les livres. L'homme blanc les ouvrit avec émotion, et

ayant lu sur le premier feuillet: "Ce livre appartient à

Jean Maurice," il s'écria: "Ah! mes chers enfants, est-ce vous que je revois ! Venez embrasser votre père, et puissiez-vous me donner des nouvelles de votre mère." Jean et Marie se jetèrent dans ses bras en versant des larmes de joie. A la fin, Jean reprenant la parole, lui dit: "Mon cœur me dit que vous êtes mon père, cependant je ne conçois pas comment cela peut être, car ma mère m'a dit que vous aviez péri dans notre naufrage.""Je tombai effectivement dans la mer, quand notre vaisseau s'entr'ouvrit," reprit Jean Maurice; "mais m'étant saisi d'une planche, j'abordai heureusement dans une île, et je vous crus perdus."

VI. Jean raconta alors tout ce dont il put se souvenir, et son père pleura beaucoup, quand il apprit la mort de sa femme. Marie pleurait aussi, mais c'était pour un autre sujet. "Hélas!" s'écria-t-elle, "à quoi sert que nous ayons retrouvé notre père, puisqu'il doit mourir dans peu de jours ?"—" Il faudra couper ses chaînes," dit Jean, "et nous nous sauverons tous les trois dans la forêt."-" Et qu'y ferons-nous, mes pauvres enfants?" répliqua Jean Maurice; "les sauvages nous rattraperont, ou bien il faudra mourir de faim."- "Laissez-moi faire," dit Marie, "je sais un moyen infaillible de vous sauver.'

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Elle sortit en finissant ces paroles, et alla trouver le roi, à qui elle dit: "Seigneur, jai une grande grâce à vous demander; voulez-vous me promettre de me l'accorder?"—" Je vous le promets," répondit le roi, "car je suis fort content de votre service."" Eh bien," reprit Marie, "apprenez que cet homme blanc dont vous m'avez donné le soin, est mon père et celui de Jean; vous avez

résolu de le manger, et je viens vous prier de le laisser vivre et de me manger à sa place: je ne vous demande que nuit jours, pour avoir le plaisir de le voir avant de mourir."" Non," dit le roi, "vous vivrez et votre père aussi je vous avertis même qu'il vient tous les ans ici un vaisseau européen; il arrivera bientôt, et je vous donnerai la permission de vous en aller."

Marie courut porter ces bonnes nouvelles à son père. Le vaisseau ne tarda pas à arriver: le roi tint sa promesse; Jean Maurice et ses deux enfants y furent embarqués. Ils abordèrent dans une île française, et furent présentés au gouverneur, qui, ayant appris l'histoire de Marie, et trouvant cette jeune personne charmante, demanda sa main. Maurice consentit à cette union, et s'établit dans cette ile. Jean épousa une sœur du gouverneur; en sorte qu'ils vécurent tous fort heureux dans cette île, admirant la sagesse de la Providence, qui n'avait permis que Marie fut esclave, que pour lui donner l'occasion de sauver la vie à son père. .

VOYAGES DE SINBAD LE MARIN.

PREMIER VOYAGE.

I. J'AVAIS hérité de ma famille des biens considérables: j'en dissipai la meilleure partie dans les follies de ma jeunesse; mais je revins de mon aveuglement, je reconnus que les richesses étaient périssables, et qu'on en voyait bientôt la fin quand on les ménageait aussi mal que je faisais. Je pensai de plus que je consumais malheureusement dans une vie déréglée, le temps, qui est la chose du monde la plus pré ieuse.

Frappé de tous ces réflexions, je ramassai les débris de mon patrimo e; je quittai Bagdad, et je me rendis à Bassora, où je m'embarquai avec plusieurs marchands sur un vaisseau que nous avions chargé et équipé à frais

communs.

Dans le cours de notre navigation, nous abordâmes à plusieurs îles, et nous y vendîmes ou échangeâmes nos

marchandises. Un jour, le calme nous prit vis-à-vis une petite île. Le capitaine permit de prendre terre aux personnes qui voulurent. Je fus du nombre de ceux qui y débarquèrent; mais dans le temps que nous nous divertissions à boire et à manger, autour d'un bon feu que nous avions allumé, l'île trembla tout à coup, et nous donna une rude secousse.

On s'aperçut du tremblement de l'île dans le vaisseau, d'où l'on nous cria de nous rembarquer promptement, ou que nous allions tous périr; que ce que nous prenions pour une île, était le dos d'une baleine. Les plus diligents se sauvèrent dans la chaloupe, d'autres se jetèrent à la nage. Pour moi, j'étais encore sur l'île, ou plutôt sur la baleine, lorsqu'elle se plongea dans la mer, et je n'eus que le temps de me prendre à une pièce de bois qu'on avait apportée du vaisseau pour servir de table. Je flottai sur cette pièce de bois; mais le courant m'emporta loin du vaisseau, et le capitaine concluant que j'avais péri, fit hisser les voiles, et continua son voyage.

II. Je demeurai donc à la merci des flots; je luttai contre eux tout le reste du jour et la nuit suivante. Je n'avais plus de force le lendemain, et je désespérais d'éviter le mort, lorsqu'une vague me jeta heureusement contre une île. Le rivage était haut et escarpé, et j'aurais eu beaucoup de peine à y monter, si quelques racines d'arbres ne m'en eussent donné le moyen. Je m'étendis sur la terre, où je demeurai à demi mort, jusqu'à ce qu'il fût grand jour et que le soleil parût.

Alors, quoique je fusse très faible, je me traînai pour chercher des herbes bonnes à manger. J'en trouvai quelques-unes, et j'eus le bonheur de rencontrer une source d'eau excellente. Les forces m'étant revenues, je m'avançai dans l'île, et j'entrai dans une belle plaine, où. j'aperçus de loin un cheval qui paissait. Je portai mes pas de ce côté-là et en approchant du cheval, j'entendis la voix d'un homme qui parlait sous terre. Un moment après, cet homme parut, vint à moi, et me demanda qui j'étais. Je lui racontai mon aventure; après quoi, me prenant par la main, il me fit entrer dans une grotte, où il y avait plusieurs autres personnes.

Je mangeai de quelques mets qu'ils me présentèrent; puis, leur ayant demandé ce qu'ils faisaient dans un lieu qui me paraissait si désert, ils répondirent qu'ils étaient palefreniers du roi Mihrage, souverain de cette île; que chaque année, dans la même saison, ils avaient coutume d'y amener paître leurs chevaux. Ils ajoutèrent qu'ils devaient partir le lendemain, et que si je fusse arrivé un jour plus tard, j'aurais péri infailliblement, parce que les habitations étaient éloignées, et qu'il m'eût été impossible d'y arriver sans guide.

Le lendemain, les palefreniers reprirent le chemin de la capitale de l'île avec leurs chevaux, et je les accom pagnai. A notre arrivée, le roi Mihrage, à qui je fus présenté, me demanda par quelle aventure je me trouvais dans ses états. Dès que j'eus pleinement satisfait sa curiosité, il me témoigna qu'il prenait beaucoup de part à mon malheur. Il me donna un appartement dans un de ses palais, et ordonna que l'on me fournît toutes les choses dont j'aurais besoin.

III. La capitale du roi Mihrage était située sur le bord de la mer, et avait un beau port, où il abordait des vaisseaux de différents endroits du monde. Comme j'étais un jour sur le port, je vis plusieurs matelots fort occupés à décharger les marchandises d'un vaisseau nouvellement arrivé. En jetant les yeux sur quelques ballots je les reconnus pour ceux que j'avais fait charger sur le vaisseau où je m'étais embarqué à Bassora. Je reconnus aussi le capitaine, et je lui demandai d'un air indifférent, à qui appartenaient les ballots que je voyais. "A un marchand de Bagdad," répondit-il, “ qui se nommait Sinbad, et qui a péri en mer."

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Capitaine," lui dis-je alors, "je suis ce Sinbad que vous croyez mort, et qui ne l'est pas ces ballots sont mon bien et ma marchandise."- -"Ciel," s'écria le capitaine, "à qui se fier aujourd'hui ! N'y a-t-il plus de bonne foi parmi les hommes ? J'ai vu de mes propres yeux périr Sinbad; plusieurs de mes passagers l'ont vu comme moi; et vous osez dire que vous êtes ce Sinbad!"

Mais il arriva dans ce moment des gens de son navire qui me reconnurent sur-le-champ, et le capitaine fut bien

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