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On cite les Illuminés, on parle des Carbonari, mais sont-ce des corps ou des fantômes? Quels sont les nœuds qui les rassemblent, quels sont leurs principes certains? quelle est leur force et leur valeur ?... ou mieux quelle n'est pas leur faiblesse !...

Tout va sans eux ou malgré eux. Qu'ils soient réels ou fantastiques, tous ces êtres me font pitié. Il y a au-dessus d'eux et de nous tous, une intelligence suprême qui règle la marche des siècles, dispose d'avance les événements, et ne tient compte (en bonne foi) pas plus des secours misérables que des frivoles résistances de notre race présomptueuse.

Mais au milieu de ces corporations vaines, qui s'imaginent avoir du crédit et exercer de l'influence sur les hauts intérêts de ce monde, il y en a une toute singulière, qui mérite, si je ne me trompe, d'être dépeinte et signalée.

A Paris, dans cette capitale, centre de toutes les erreurs comme de toutes les vérités, asile des vertus les plus nobles, et gouffre des plus viles passions, il est une classe de philosophes, une espèce d'académie composée de sages d'une école nouvelle, qui, à bon droit, ont pris le nom de parfaits équilibristes.

Ils s'entendent sans se réunir; ils n'ont point eu de loi écrite, leur code, c'est le sentiment; ils se comprennent à demi-mot; ils passent sans bruit, vivent sans scandale, et glissent sur les biens et les maux qui partagent leurs jours et leurs nuits.

L'équilibre est admis, par eux, au sens moral comme au sens physique. De tout un peu, et rien de trop, sont leurs maximes favorites. Ils prennent des

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leçons chez Franconi et au Gymnase de la plaine de Grenelle. Il résulte de leur système d'éducation qu'il faut savoir monter à cheval, assis et debout, et grimper au sommet des arbres comme des chats et des écureuils.

Du reste, ils n'en font point parade. Ils ne se donnent pas en spectacle comme le fit, dit-on, Helvétius (1). Ils réservent leurs tours d'adresse pour les occasions solennelles de l'incendie d'un hôpital ou de la prise d'une forteresse: ils sont braves, et non baladins.

A table, ils aiment le bon vin; au théâtre, les jolis pièces; en tête-à-tête, les femmes tendres. Mais ils en usent sans abuser, et ce qu'ils craignent par-dessus tout, ce sont les indigestions, les longs ouvrages, et les passions malheureuses.

On conçoit qu'un équilibriste est partisan né du gouvernement représentatif. Là, tout se balance d'une manière merveilleuse. S'il s'échappe d'un côté quelques propositions mal sonnantes, il n'en arrive pas d'autre part en moindre dose; il y a équilibre de folles saillies et d'éloquence, de petites tyrannies et de brillantes promesses: tient qui peut, se regimbe qui l'ose, ce n'est pas là du tout l'affaire. On demande grâce ou l'on chante victoire, selon le temps et la saison, ou selon la majorité. Les choses vont, et puis elles reviennent; c'est une perpétuelle bascule que

(1) L'auteur du livre de l'Esprit eut un goût si vif pour la danse, qu'il se montra dans un ballet, à l'Opéra, sous le masque de l'acteur Janville.

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l'on a voulu critiquer, mais qui est le mobile de l'univers, le nerf sympathique de la nature, et la divine clé de la voûte sans laquelle tout s'écroulerait.

On juge assez, par ce peu de mots, que j'ai l'honneur d'être de la confrérie. Je ne saurais en disconvenir, je suis un pur équilibriste; mais si je révèle les secrets de la secte, je n'encours pas pour cela le reproche odieux d'être un faux frère; je ne dis rien qu'on ne puisse avouer; je ne dépasse point ce ‘taines limites; je ne vais ni trop haut, ni trop bas; je ne suis ni hargneux, ni flatteur; je jouis de la liberté sans aller jusqu'à la licence; je ne suis ni trop habile, ni trop riche, ni trop modeste, ni trop franc, ni trop dissimulé, ni trop heureux, ni trop à plaindre, et je ne forme aujourd'hui qu'un vœu, je n'adresse au sort qu'une prière, c'est qu'il me laisse et m'entretienne dans ce bienfaisant équilibre, qui se fonde sur un espoir charmant, tempéré par une inquiétude légère, et qui a d'intimes douceurs.

ÉVARISTE.

Notice sur la belle Laure, par M. AudiFFRET.

Si tous les biographes de Laure sont d'accord sur la beauté de cette femme extraordinaire, ils sont loin de l'être sur son origine, sur le lieu de sa naissance, et sur ses relations avec Pétrarque. Quelques écrivains qui mettent en doute son existence,

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