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S 1. DISTINCTION DE LA FACULTÉ MOTRICE ET DE LA VOLONTÉ.
CONSCIENCE NOUS ATTESTE L'ACTION DE LA FACULTÉ MOTRICE.
MOUVEMENTS INSTINCTIFS.

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-S 4. LES MOUVEMENTS HABITUELS.

S 1. Distinction de la faculté motrice et de la volonté.

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La faculté motrice est celle qui se manifeste le plus tôt. A peine la créature humaine est-elle déposée sur sa première couche, qu'elle meut ses lèvres, agite ses membres et tend les muscles de la poitrine et de la gorge qui produisent la voix et le cri. Nous ignorons si à ce moment la créature connaît, jouit, souffre ou veut; nous pouvons le croire, mais nous savons très-certainement qu'elle produit des mouvements. C'est une première raison pour que nous fassions considérer d'abord la faculté motrice. De plus, l'action de cette faculté est la plus simple de toutes, et par conséquent la plus facile à étudier. Enfin, toutes les autres facultés agissent sur elle, tandis qu'elle n'agit sur aucune : elle n'a de pouvoir que sur le corps.

Presque tous les anciens ont reconnu cette faculté, presque tous les modernes l'ont méconnue. Ils l'ont confondue avec la volonté; c'est donc de la volonté que nous devons nous attacher à la distinguer d'abord.

Parmi les mouvements de mon corps, je m'attribue directement les uns, par la seule connaissance que j'ai de moi

même, et je ne m'attribue les autres que par figure, d'une manière détournée, après avoir pris connaissance d'autre chose que de moi-même. Il y a autant de différence entre ces deux propositions: je meus le bras et je digère, qu'entre cellesci: je pense et je grandis. J'exprime, d'une part, une action dont je me sais directement l'auteur; de l'autre, un phénomène qui se passe dans mon corps. On suppose que si je m'attribue le mouvement du bras, c'est que ce mouvement est volontaire, et que le moi n'a pas d'autre faculté motrice que la volonté. Sans entrer encore dans l'étude approfondie de la volonté, nous nous contenterons de ce que chacun connaît de cette faculté par le simple bon sens, pour montrer qu'elle ne peut pas s'appliquer aux actes du corps, mais seulement aux actes de l'âme. Le moi ne peut vouloir faire que ce qu'il a fait d'abord involontairement et par lui-même. Je ne puis vouloir user que d'un pouvoir que je me connais, et je ne puis le connaître que si je l'ai exercé d'abord sans le vouloir. Je veux entendre, parce que j'ai d'abord entendu sans le vouloir; je veux me souvenir, parce que je me suis souvenu involontairement. Si je n'avais pas entendu, si je ne m'étais pas souvenu, comment pourrais-je vouloir entendre et me souvenir? C'est ainsi que je veux mouvoir le bras, parce que je l'ai d'abord mis moi-même en mouvement sans le vouloir, par une faculté qui m'est propre et qui n'est pas la volonté. Si parmi les mouvements de mon corps, je veux les uns et ne veux pas les autres, c'est que les premiers ont été opérés par moi-même, d'abord involontairement, c'est-à-dire par la pure faculté motrice dont je dispose, et que les seconds ne sont que le résultat des propriétés de mon corps. Ma volonté ne peut s'appliquer à ces derniers. Je ne veux jamais la circulation du sang, la sécrétion des humeurs, etc.; si je veux le mouvement du bras, c'est que ce mouvement dépend d'une force à laquelle ma volonté peut s'appliquer, c'est-à-dire d'une force qui fait partie de moi-même.

Ma volonté fortifie mes autres facultés, mais elle ne les crée

1. Voy. plus haut, livre Ier, chap. rer, § 1.

pas, et ne les remplace pas. J'entends volontairement, je vois volontairement, je meus volontairement: le dernier terme de ces propositions peut se supprimer, et il reste ces mots : j'entends, je vois, je meus; c'est l'expression de l'acte de mes facultés, dépourvu du concours de la volonté. Celle-ci peut être présente ou absente; mais elle ne peut s'ajouter qu'à mes propres facultés. Je ne puis vouloir l'acte d'autrui; et pour l'âme, l'acte du corps est l'acte d'autrui. Quand je veux penser, je veux ma pensée, je ne veux pas la vôtre; je ne puis donc vouloir l'action de mon corps, pas plus que l'action du corps d'autrui; je ne puis vouloir que mon action. Si donc je veux certain mouvement, c'est qu'il est mon action et non l'action de mon corps, c'est que la faculté motrice dont il dépend fait partie de moi-même et non du corps. En résumé, ma volonté n'a de prise que sur mes propres actes: je ne veux jamais le mouvement du soleil et je veux le mouvement de mon bras: donc je connais en moi un pouvoir de mouvoir mon bras, distinct de ma volonté. Si le mouvement que je veux opérer dépendait d'une force motrice propre à mon corps, je pourrais vouloir tous les mouvements de celui-ci : la circulation du sang, la sécrétion des humeurs, l'absorption, etc., aussi bien que la locomotion du pied et de la main. Si je ne veux pas les premiers, c'est qu'ils résultent de la force motrice du corps; si je veux les seconds, c'est qu'ils dépendent de la force motrice de l'âme, la seule à laquelle puisse s'appliquer ma volonté.

$ 2. La conscience nous atteste l'action de la faculté motrice.

On objecte à tort que nous n'avons pas conscience de l'action de cette faculté motrice. Lorsque nous éprouvons la résistance d'un corps, nous avons conscience d'une action que nous exerçons contre ce corps: cette action est précisément celle de notre faculté motrice. Il ne faut pas dire que c'est l'action de notre volonté, car il arrive que, dans un mouvement involontaire, nous rencontrons un obstacle et que nous en percevons involontairement la résistance: ce n'est donc pas à l'aide de

la volonté que l'âme perçoit la résistance des corps, mais à l'aide de la faculté motrice.

Bien plus, nous sentons non-seulement la résistance du corps étranger contre notre corps, mais la résistance de notre propre corps contre nous-mêmes. Quand je soulève lentement le bras, je sens un poids contre lequel je lutte et auquel je dois céder, si je tiens le bras levé trop longtemps. Ce sentiment de la résistance des corps étrangers et de notre propre corps a lieu avec ou sans le concours de la volonté. Il est plus distinct avec la volonté, mais sans la volonté il existe encore; car, ainsi que nous l'avons dit, la volonté fortifie, mais ne remplace pas l'action des autres facultés. Ce n'est donc pas notre volonté qui meut directement notre corps, puisque ce n'est pas elle qui perçoit la résistance. L'effort musculaire n'est pas toujours un effort volontaire, quoi qu'on enait dit; il est nécessairement spontané avant d'être volontaire. L'effort involontaire qui nous donne le sentiment de la résistance est l'action de notre faculté motrice sur le nerf et sur le muscle, qui sont les instruments de cette faculté; nous avons conscience de cet effort, nous avons donc conscience de l'action de notre faculté motrice.

Ajoutons encore une remarque: nous nous souvenons du degré de résistance que nous a opposé un corps contre lequel nous avons agi même involontairement ; il faut pour cela nous souvenir du degré de force que nous avons déployé contre lui. Si nous nous souvenons de ce degré de force, nous en avons eu conscience, car on ne se souvient que des actes dont on a eu conscience, ainsi que nous le verrons par la suite 1.

Rappelons la règle dont nous nous servons pour attribuer à l'âme certains mouvements du corps. Nous ne rapportons à l'âme que les actions dont nous avons eu conscience au moins une fois, et que nous pouvons recommencer volontairement. C'est d'après ce principe que nous lui attribuons le mouvement des bras, des pieds, etc., et non la circulation du sang,

1. Voy. les Perceptions de la conscience et de la mémoire, plus loin, livre VI, sect. 1, chap. IV.

l'absorption, la sécrétion, etc. Les mouvements de la vie corporelle s'accomplissent à peu près périodiquement et se continuent pendant le sommeil; les mouvements causés par la faculté motrice de l'âme n'ont pas de retours périodiques et cessent dans le sommeil, excepté pendant le rêve.

Il faut reconnaître que les mouvements de la vie corporelle sont quelquefois troublés par l'âme à l'insu de celle-ci, et même contre sa volonté. La honte accélère la circulation du sang et le fait affluer au visage; la peur le retire des vaisseaux qui sont à la superficie du corps et le resserre vers le cœur; la colère donne aux membres un tremblement général; le chagrin trouble la digestion, le plaisir la facilite. Dans ces circonstances, l'âme produit probablement quelques mouvements insensibles, que pour cela même elle ne peut recommencer volontairement, et ce sont ces mouvements qui troublent ceux de la vie corporelle.

La faculté motrice de l'âme influe sciemment jusqu'à un certain degré sur quelques mouvements de la vie corporelle, comme par exemple, sur le mouvement de la respiration, que nous pouvons accélérer, ralentir et suspendre pendant quelques instants. Chez certains hommes, la faculté motrice est parvenue à mouvoir des parties du corps, qu'elle ne meut pas chez les autres : plusieurs personnes ont pu empêcher la rougeur ou la pâleur de paraître sur leur front; on en a vu d'autres qui rougissaient et pâlissaient par un emploi volontaire de leur faculté motrice; mais ces différences ne tiennent pas à l'essence même de la faculté. C'est ainsi que la faculté de voir et d'entendre n'est pas moins immatérielle pour être servie chez les uns par des organes moins efficaces ou moins nombreux que

chez les autres. En résumé, nous n'avons pas conscience des mouvements physiologiques : ils ne nous donnent pas le sentiment de la résistance, et nous n'essayons pas de les recommencer volontairement. Ces caractères suffisent pour les faire distinguer des mouvements que nous rapportons à la faculté motrice qui appartient à l'âme.

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