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préparation à une autre vie, et à une vie définitive et impérissable. Sans doute, ce n'est pas notre faible vertu qui nous donne droit à une vie immortelle; mais la bonté divine comble l'intervalle entre la petitesse du mérite et l'immensité de la récompense. Sans cette vie immortelle, la création n'a plus de but, elle ne nous semble pas digne de la perfection de Dieu; et, s'il est permis de le dire, Dieu se doit à lui-même notre immortalité. Il saura du sein de ce corps qui se dissout au tombeau susciter une âme qui lui survive, qui se connaisse, qui se souvienne d'elle-même, qui lie l'existence à venir à l'existence passée, en un mot, qui dure et se conserve. L'homme doué de raison ne peut être destiné à vivre moins que les éléments inanimés qui forment sa demeure en ce monde; et Dieu n'a pas fait sortir la création du néant pour l'y replonger tout entière. Mais, dira-t-on encore, si Dieu n'existait pas? Nous ne voulons pas entreprendre ici de prouver que Dieu existe; nous y reviendrons plus loin', et, en attendant, nous nous tiendrons pour satisfait, si l'on nous accorde que la distinction de l'âme et du corps est un dogme qui découle comme une conséquence nécessaire du dogme de l'existence de Dieu.

1. Voy. plus loin livre VI, sect. ш, chap. ш.

CHAPITRE II.

DES PRINCIPALES THÉORIES SUR LA DISTINCTION DE L'AME ET DU CORPS.

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S 1. DE L'EXISTENCE DE DEUX AMES DANS L'HOMME.
N'ACCORDE A L'AME QUE L'ENTENDEMENT PUR.
LUI ACCORDE QUE LA VOLONTÉ.

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§ 1. De l'existence de deux âmes dans l'homme.

Socrate avait porté la lumière de son admirable bon sens sur la distinction de l'âme et du corps; il faisait voir que c'est la première qui gouverne le second, comme c'est la sagesse invisible de Dieu qui gouverne le monde visible1. Xénophon s'était inspiré des leçons de Socrate, lorsqu'il disait dans son traité moral de la Cyropédie, que, si l'âme est cachée aux yeux, on connaît à ses actions qu'elle existe; que les hommes perçoivent directement la distinction de leur âme et de leur corps, que sans cela ils ne croiraient pas à la survivance de l'âme, ne rendraient pas de culte aux mânes des morts, et ne regarderaient pas les homicides comme tourmentés par les âmes de ceux qu'ils ont fait périr; que l'esprit, loin d'être constitué par le corps, est gêné et comme emprisonné par les enveloppes corporelles; qu'à la dissolution du corps, il redevient plus libre et plus intelligent; que pendant le sommeil, qui est le frère de la mort, l'âme est douée de facultés qui lui manquent pendant l'état de veille; qu'elle se souvient mieux du passé, qu'elle juge mieux du présent, qu'elle va jusqu'à pressentir l'avenir, parce qu'elle jouit d'une plus entière liberté 2.

Platon, qui a suivi aussi les leçons de Socrate, se laisse

1. Xénophon, Mémoires sur Socrate, livre Ier, chap. iv, § 8.

2. Cyropédie, livre VIII, chap. vII.

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quelquefois emporter aux caprices de sa propre imagination ; mais quand il reproduit les mêmes enseignements que son condisciple Xénophon, il leur donne plus d'étendue et de profondeur. « Celui qui se sert d'une chose, dit-il, ne peut être confondu avec elle: le cordonnier n'est pas la même chose que son alêne, ni que ses mains, ni que ses yeux, ni que tout son corps, car il se sert de tout cela. Qu'est-ce donc que l'homme? Ce qui se sert du corps. Le corps obéit, il ne commande pas il faut donc que quelque chose lui commande; ce quelque chose est ce que nous appelons l'âme, ou l'homme à proprement parler. C'est mon âme qui parle à la vôtre par l'intermédiaire du corps. Se connaître soi-même, c'est connaître son âme. Notre corps est à nous, mais n'est pas nous. Aimer le corps d'Alcibiade, ce n'est pas aimer Alcibiade lui-même 1. »

Socrate et Platon, en affirmant que l'âme est ce qui se sert du corps, la représentent comme le principe du mouvement, ou en d'autres termes ils lui attribuent une faculté motrice. Tout corps, dit Platon, dont le mouvement vient d'ailleurs est dit inanimé2; et tout corps dont le mouvement vient du dedans est dit animé ou portant une âme3.

Mais Platon distingue deux espèces d'âmes: l'une immortelle, à laquelle appartient l'intelligence et qui a son siége dans la tête; l'autre mortelle, dont la première moitié est le principe du courage et de la colère, et réside dans la poitrine; et dont la seconde moitié éprouve les appétits corporels et est placée au-dessous du diaphragme, là où les dieux, dit-il, ont établi comme une crèche pour la nourriture du corps. C'est cette ame mortelle qui, pour Platon, est le principe du mouvement. Il est vrai que le philosophe ne présente ces opi

1. Platon, Premier Alcibiade, édit. Henri Étienne, t. II, p. 129-130; édit. Tauchnitz, t. IV, p. 38, 39.

2. Ἄψυχον.

3. "Eufixov, Phèdre, èdit. H. E., t. III, p. 245; édit. Tauchnitź, t. VIII,

p. 27.

4. Platon, Timée, édit. H. E. t. III, p. 69-70; édit. Tauchnitz, t. VII, p. 72-74.

nions que pour les rêves de sa fantaisie, et qu'il ne les affirmerait, dit-il, comme certaines, que si Dieu lui-même les confirmait'.

Aristote, qui se laisse moins entraîner au souffle de l'imagination, a cependant aussi distingué deux espèces d'ames: l'une à laquelle il rapporte la locomotion, la sensation, les inclinations et les passions; qu'il appelle plus particulièrement l'àme2, et qui, distincte du corps, périt toutefois avec lui; l'autrė qu'il nomme l'intelligence, et qui est immortelle. Il prouve très-clairement que l'intelligence ne peut être le corps. « L'intelligence, dit-il, n'est ni une étendue ni un mouvement. Car si elle est une étendue, comment pensera-t-elle? Est-ce par le tout, ou par une partie? Si c'est par toutes ses parties, elle pensera donc plusieurs fois les mêmes choses. Si c'est par une partie, ou cette partie est une étendue et la même difficulté se présente, où elle n'est pas étendue et elle est l'âme ellemême; les autres parties sont inutiles. Si la pensée est un certain mouvement du corps, comment ce mouvement s'arrêterat-il? il ira à l'infini, car la matière est inerte et elle ne peut s'arrêter d'elle-même : or, nous voyons que notre pensée s'arrête et ne va pas à l'infini. La pensée pratique se propose un but et se terinine à ce but; la pensée théoriqué se limite dans une définition ou dans une démonstration: toute définition renferme uniquement un genre et une différence essentielle'; toute démonstration a un commencement et une fin, un principe et une conséquences. La pensée ressemble plutôt à un repos ou à un temps d'arrêt qu'à un mouvement. »

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On prétend, poursuit Aristote, que ce qui n'est pas étendu ne peut connaître l'étendue, et qu'un objet n'est connu que par son semblable; qu'en conséquence, l'âme doit être composée des mêmes éléments que le corps, afin de pouvoir le

1. Platon, Timée, édit. H. E. t. III, p. 72, édit. Tauchnitz, t. VII, p. 77. 2. Ἡ ψυχή.

3. Ὁ νοῦς.

4. Voy. plus loin, liv. VIII, chap. II.

5. Voy. plus loin, ibid.

6. Aristote, De l'Ame, livre I, chap. 1, § 12.

connaître. Mais nous ne voyons pas que les os connaissent les OS, ni que la chair connaisse la chair. D'après cette hypothèse, chaque être, ne pouvant connaître que son semblable, aurait une bien plus grande part d'ignorance que de connaissance, et, sur ce pied, Dieu, qui ne ressemble à aucun être, serait le plus ignorant de tous 1. »

« Ce qui ferait croire, continue-t-il, que l'âme intelligente périt avec le corps, ce serait surtout l'affaiblissement intellectuel qu'on remarque dans le temps de la vieillesse. Mais l'acte ou la manifestation de l'intelligence ne peut se faire qu'au moyen du corps; c'est le corps qui se flétrit chez le vieillard et qui gêne la pensée. Il arrive alors pour l'intelligence ce qui arrive pour la vue. Si le vieillard pouvait prendre les yeux de la jeunesse, il verrait aussi bien qu'elle. Changez le corps du vieillard, et la manifestation de sa pensée redeviendra ce qu'elle était; car la manifestation de la pensée est le résultat commun de l'âme et du corps. Quant au pouvoir de penser, il ne dépend point du corps, il est impassible et incorruptible". »

Il n'y a rien à répondre aux raisons par lesquelles Aristote prouve l'unité du principe intelligent; mais nous regrettons qu'il n'ait pas enseigné que le principe de l'intelligence est aussi celui de la sensation, de l'inclination et du mouvement. Il paraît croire, comme nous l'avons dit, que ce dernier peut se séparer du corps et qu'il périt avec lui. « Il y a, dit-il, trois sortes de substances: l'une qui est le fond et n'est déterminée en aucune façon, l'autre qui est la forme, la détermination, la troisième qui est composée des deux premières. La première est une puissance, la seconde est une manifestation, un acte. Tout corps naturel ayant la vie, c'està-dire la nutrition, l'accroissement, le dépérissement, etc., est une substance du troisième ordre ou une substance composée.

1. De l'Ame, livre fer, chap. v, § 4-10.

2. De l'Ame, livre Ier, chap. iv, § 12 et 13.

3. Ουσίαι.

4 Ὕλη.

5. Μορφὴ καὶ εἶδος.

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