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Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux,
C'est offenser les lois, c'est s'attaquer aux cieux.

Mais, bien que d'un faux zele ils masquent leur foi,

blesse,

Chacun voit qu'en effet la vérité les blesse:

En vain d'un lâche orgueil leur esprit revêtu
Se couvre du manteau d'une austere vertu;
Leur cœur qui se connoit, et qui fait la lumiere,
S'il se moque de Dieu, craint Tartuffe et Moliere.

Mais pourquoi sur ce point sans raison m'écarter?
GRAND ROI, c'est mon défaut, je ne saurois flatter:
Je ne sais point au ciel placer un ridicule,
D'un nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule,
Et, sans cesse en esclave à la suite des grands,
A des dieux sans vertu prodiguer mon encens :
On ne me verra point d'une veine forcée,
Même pour te louer, déguiser ma pensée;

Et, quelque grand que soit ton pouvoir souverain,
Si mon cœur en ces vers ne parloit par ma main,
Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui pût en ta faveur m'arracher unc rime.

Mais lorsque je te vois, d'une si noble ardeur,
T'appliquer sans relâche aux soins de ta grandeur,
Faire honte à ces rois que le travail étonne,
Et qui sont accablés du faix de leur couronne :
Quand je vois ta sagesse, en ses justes projets,
D'une heureuse abondance enrichir tes sujets,
Fouler aux pieds l'orgueil et du Tage et du Tibre,

Nous faire de la mer une campagne libre;

Et tes braves guerriers, secondant ton grand cœur,
Rendre à l'Aigle éperdu sa premiere vigueur (1);
La France sous tes lois maîtriser la Fortune;

Et nos vaisseaux, domtant l'un et l'autre Neptune,
Nous aller chercher l'or, malgré l'onde et le vent.
Aux lieux où le soleil le forme en se levant :
Alors, sans consulter si Phébus l'en avoue,
Ma muse tout en feu me prévient et te loue.
Mais bientôt la raison arrivant au secours
Vient d'un si beau projet interrompre le cours,
Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte,
Que je n'ai ni le ton, ni la voix assez forte.
Aussitôt je m'effraie ; et mon esprit troublé
Laisse là le fardeau dont il est accablé ;

finissant mon ouvrage,

Et, sans passer plus loin,
Comme un pilote en mer qu'épouvante l'orage,
Dès que le bord paroît, sans songer où je suis,
Je me sauve à la nage, et j'aborde où je puis.

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(1) Le roi se fit faire satisfaction dans ce temps-là des deux insultes faites à ses ambassadeurs à Rome et à Londres, et ses troupes envoyées au secours de l'empereur défirent les Turcs sur les bords du Raab.

SATIRE S.

SUR LA SATIRE (1).

QUAND je donnai la premiere fois mes satires au

public, je m'étois bien préparé au tumulte que l'impression de mon livre a excité sur le Parnasse. Je savois que la nation des poëtes, et sur-tout des mau= vais poëtes (2), est une nation farouche qui prend fen aisément, et que ces esprits avides de louanges ne digéreroient pas facilement une raillerie, quelque douce qu'elle pût être. Aussi oserai-je dire, à mon avantage, que j'ai regardé avec des yeux assez stoïs ques les libelles diffamatoires qu'on a publiés contre moi. Quelques calomnies dont on ait voulu me noircir, quelques faux bruits qu'on ait semés de ma pers sonne, j'ai pardonné sans peine ces petites vengeances au déplaisir d'un auteur irrité qui se voyoit attaqué par l'endroit le plus sensible d'un poëte, je veux dire par ses ouvrages.

Mais j'avoue que j'ai été un peu surpris du chagrin bizarre de certains lecteurs, qui, au lieu de se divertir d'une querelle du Parnasse dont ils pouvoient être spectateurs indifférents, ont mieux aimé prendre parti et s'affliger avec les ridicules, que de se réjouir avec

(1) Ce discours parut pour la premiere fois en 1666, avec la satire IX.

(2) Ceci regarde particulièrement Cotin, qui avoit pu blié une satire contre l'auteur.

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