Page images
PDF
EPUB

Va tirer désormais Phébus de l'hôpital (1).
On doit tout espérer d'un monarque si juste:
Mais, sans un Mécénas, à quoi sert un Auguste?
Et fait comme je suis, au siecle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaisser à me servir d'appui?
Et puis, comment percer cette foule effroyable
De rimeurs affamés dont le nombre l'accable;
Qui, dès que sa main s'ouvre, y courent les premiers,
Et ravissent un bien qu'on devoit aux derniers,
Comme on voit les frêlons, troupe lâche et stérile,
Aller piller le miel que l'abeille distille?
Cessons donc d'aspirer à ce prix tant vanté
Que donne la faveur à l'importunité.

Saint-Amand (2) n'eut du ciel que sa veine en partage:
L'habit qu'il eut sur lui fut son seul héritage;
Un lit et deux placets composoient tout son bien;
Ou, pour en mieux parler, Saint-Amand n'avoit rien.
Mais quoi! las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune,

Et, tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'an vain espoir, il parut à la cour (3).
Qu'arriva-t-il enfin de sa muse abusée?

Il en revint couvert de honte et de risée;
Et la fievre, au retour, terminant son destin,
Fit par avance en lui ce qu'auroit fait la faim.
Un poëte à la cour fut jadis à la mode;

Mais des fous aujourd'hui c'est le plus incommode :

(1) Le roi, en ce temps-là, à la sollicitation de M. Colbert, donna plusieurs pensions aux gens de lettres.

(2) On a plusieurs ouvrages de lui où il y a beaucou de génie. Il ne savoit pas le latin, et étoit fort pauvre.

(3) Le poëme qu'il y porta étoit intitulé le Poëme de le Lune; et il y louoit le roi, sur-tout de savoir bien nager.

Et l'esprit le plus beau, l'auteur le plus poli,
N'y parviendra jamais au sort de l'Angéli (1).
Faut-il donc désormais jouer un nouveau rôle ?
Dois-je, las d'Apollon, recourir à Barthole?
Et, feuilletant Louet alongé par Brodeau (2),
D'une robe à longs plis balayer le barreau?
Mais à ce seul penser je sens que je m'égare.
Moi! que j'aille crier dans ce pays barbare,
Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois
Errer dans les détours d'un dédale de lois,
Et, dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes;
Ou Patru gagne moins qu'Huot et le Mazier,
Et dont les Cicérons se font chez Pé-Fournier (3)!
Avant qu'un tel dessein m'entre dans la pensée,
pourra voir la Seine à la Saint-Jean glacée;
Arnaud à Charenton devenir huguenot,

On

Saint-Sorlin janséniste, et Saint-Pavin bigot.
Quittons donc pour jamais une ville importune
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune;
Où le vice orgueilleux s'érige en souverain,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main;
Où la science, triste, affreuse, délaissée,

Est par-tout des bons lieux comme infàme chassée;
Où le seul art en vogue est l'art de bien voler;
Où tout me choque; enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme si froid ne serait plein de bile

(1) Célebre fou que M. le Prince avoit amené avec lui des Pays-Bas, et qu'il donna au roi.

(2) Brodeau a commenté Louet.

(3) Célebre procureur. Il s'appeloit Pierre Fournier; mais les gens de palais, pour abréger, l'appeloient PXFournier.

[ocr errors]

A l'aspect odieux des mœurs de cette ville
Qui pourroit les souffrir? et qui, pour les blâmer,
Malgré Muse et Phébus n'apprendroit à rimer ?
Non, non, sur ce sujet pour écrire avec grace
Il ne faut point monter au sommet du Parnasse;
Et, sans aller rêver dans le double vallon,
La colere suffit, et vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie.
A quoi bon ces grands mots? doncement, je vous prie:
Ou bien montez en chaire; et là, comme un docteur,
Allez de vos sermons endormir l'auditeur :

C'est là que bien ou mal on a droit de tout dire.
Ainsi parle un esprit qu'irrite la satire,

Qui contre ses défauts croit être en sûreté
En raillant d'un censeur la triste austérité;

Qui fait l'homme intrépide, et, tremblant de foiblesse,
Attend pour
croire en Dieu que la fievre le presse;
Et, toujours dans l'orage au ciel levant les mains,
Dès que l'air est calmé, rit des foibles humains.
Car de penser alors qu'un Dieu tourne le monde,
Et regle les ressorts de la machine ronde,
Ou qu'il est une vie au-delà du trépas,
C'est là, tout haut dn moins, ce qu'il n'avouera pas.
Pour moi, qu'en santé même un autre monde étonne,
Qui crois l'ame immortelle, et que c'est Dieu qui tonne,
Il vaut mieux pour jamais me banni de ce lieu.
Je me retire donc. Adieu, Paris, adieu.

A M. DE MOLIER E.

RARE et fameux esprit, dont la fertile veine

Ignore en écrivant le travail et la peine;

Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers;
Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime,
Enseigne-moi, Moliere, où tu trouves la rime.

On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher :
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et, sans qu'un long détour t'arrête ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur,
Dans ce rude métier où mon esprit se tue,
En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.
Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au soir;
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir;
Sije veux d'un galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure;
Si je pense exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile, et la rime Quinaut:
Fafin, quoi que je fasse ou que je veuille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Triste, las et confus, je cesse d'y rêver;

Et, maudissant vingt fois le démon qui m'inspire,
Je fais mille serments de ne jamais écrire.

Mais, quand j'ai bien maudit et Muses et Phébus, Je la vois qui paroît quand je n'y pense plus : Aussitôt, malgré moi, tout mon feu se rallume;

Je reprends sur-le-champ le papier et la plume,
Et, de mes vains serments perdant le souvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor si pour rimer, dans sa verve indiscrete,
Ma muse au moins souffroit une froide épithete,
Je ferois comme un autre ; et, sans chercher si loin,
J'aurois toujours des mots pour les coudre au besoin:
Si je louois Philis EN MIRACLES FÉCONDE,

Je trouverois bientôt, A NULLE AUTRE SECONDE;
Si je voulois vanter un objet NOMPAREIL,

Je mettrois à l'instant, PLUS BEAU QUE LE SOLEIL;
Enfin, parlant toujours d'ASTRES et de MARVEILLES,
De CHEFS-D'OEuvre des cieux, de BEAUTÉS SANS PA=
REILLES;

Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,
Je pourrois aisément, sans génie et sans art,
Et transposant cent fois et le nom et le verbe,
Dans mes vers recousus mettre en pieces Malherbe.
Mais mon esprit, tremblant sur le choix de ses mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne sauroit souffrir qu'une phrase insipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide:
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers renferma sa pensée,
Et, donnant à ses mots une étroite prison,
Voulu avec la rime enchaîner la raison!
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,

Mes jours pleins de loisir couleroient sans envie :
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant,
Et, comme un gras chanoine, à mon aise et content,
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mon cœur exempt de soins, libre de passion,

« PreviousContinue »