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Des Editeurs qui nous ont précédés immédiatement.

L'EDITION

'EDITION que nous donnons de la tragédie des Scythes eft la plus ample & la plus correcte qu'on ait faite jufqu'à préfent. Nous pouvons affurer qu'elle eft entièrement conforme au manufcrit d'après lequel la pièce a été jouée fur le théâtre de Ferney, & fur celui de M. le marquis de Langallerie. Car nous favons qu'elle n'avait été compofée que comme un amusement de fociété, pour exercer les talens de quelques perfonnes de mérite, qui ont du goût pour le théâtre.

L'édition de Paris ne pouvait être aussi fidelle que la nôtre, puisqu'elle ne fut entreprise que fur la première édition de Genève, à laquelle l'auteur changea plus de cent vers, que le théâtre de Paris ni celui de Lyon n'eurent pas pas le temps de fe procurer. Pierre Pellet imprima depuis la pièce à Genève, mais il y manque quelques morceaux qui, jusqu'à présent, n'ont été qu'entre nos mains. D'ailleurs, il a omis l'épître dédicatoire, qui eft dans un goût auffi nouveau que la pièce ; & la préface, que les amateurs ne veulent pas perdre.

Pour l'édition de Hollande, on croira fans

peine qu'elle n'approche pas de la nôtre, les éditeurs hollandais n'étant pas à portée de confulter l'auteur.

Ceux qui ont fait l'édition de Bordeaux font dans le même cas; enfin de huit éditions qui ont paru, la nôtre est la plus complète.

Il faut de plus confidérer que dans prefque toutes les pièces nouvelles, il y a des vers qu'on ne récite point d'abord fur la scène, foit par des convenances qui n'ont qu'un temps, foit par crainte de fournir un prétexte à des allufions malignes. Nous trouvons, par exemple, dans notre exemplaire ces vers de Sozame à la troisième fcène du premier acte :

Ah! crois-moi, tous ces exploits affreux,
Ce grand art d'opprimer, trop indigne du brave,
D'être efclave d'un roi pour faire un peuple efclave,
De ramper par fierté pour fe faire obéir,
M'ont égaré long-temps, & font mon repentir.
Il y a dans l'édition de Paris :

Ah! crois-moi, tous ces lauriers affreux,
Les exploits des tyrans, des peuples les mifères,
Ces Etats dévaftés par des mains mercénaires,
Ces honneurs, cet éclat par le meurtre achetés,
Dans le fond de mon cœur je les ai détestés.

Ce n'est pas à nous à décider lefquels font les meilleurs; nous préfentons feulement ces deux leçons différentes aux amateurs qui font en état

E

d'en juger; mais furement il n'y a personne qui puisse avec raison faire la moindre application des conquêtes des Perses, & du despotisme de leurs rois, avec les monarchies & les mœurs de l'Europe telle qu'elle eft aujourd'hui.

L'auteur des Scythes nous apprend qu'on retrancha à Paris dans l'Orphelin de la Chine des vers de Gengis-Kan, que l'on récite aujourd'hui fur tous les théâtres.

On fait que ce fut bien pis à Mahomet, & ce qu'il fallut de peines, de temps & de foins pour rétablir fur la scène française cette tragédie unique en fon genre, dédiée à un des plus vertueux papes que l'Eglife ait eu jamais.

Ce qui occafionne quelquefois des variantes que les éditeurs ont peine à démêler, c'est la mauvaise humeur des critiques de profeffion qui s'attachent à des mots, furtout dans des pièces fimples, lefquelles exigent un flyle naturel, & banniffent cette pompe majeftueuse dont les efprits font fubjugués aux premières représentations dans des fujets plus importans.

C'est ainfi que la Bérénice de l'illuftre Racine essuya tant de reproches fur mille expreffions familières que fon fujet femblait permettre :

Belle Reine, & pourquoi vous offenseriez-vous?
Arzace, entrerons-nous ?... Et pourquoi donc partir?

A-t-on vu de ma part le roi de Comagène?
Il fuffit. Et que fait la reine Bérénice?

On fait qu'elle eft charmante, & de fi belles mains...
Cet amour eft ardent, il le faut confeffer.

Encore un coup, allons, il n'y faut plus penfer.
Comme vous je m'y perds d'autant plus que j'y pense.
Si Titus eft jaloux, Titus eft amoureux.

Adieu, ne quittez point ma princesse, ma reine.
Hé quoi, Seigneur, vous n'êtes point parti! (*)

Remettez-vous, Madame, & rentrez en vous-même;
Car enfin, ma Princeffe, il faut nous féparer.
Dites, parlez.... Hélas que vous me déchirez!
Pourquoi fuis-je empereur? pourquoi fuis-je amoureux?
Allons, Rome en dira ce qu'elle voudra dire.
Quoi! Seigneur... Je ne fais, Paulin, ce que je dis.

Environ cinquante vers dans ce goût furent les armes que les ennemis de Racine tournèrent contre lui. On les parodia à la farce italienne. Des gens qui n'avaient pu faire quatre vers supportables dans leur vie ne manquèrent pas de décider dans vingt brochures que le plus éloquent, le plus exact, le plus harmonieux de nos poëtes ne favait pas faire des vers tragiques. On ne voulait pas voir que ces petites négligences, ou plutôt ces naïvetés qu'on appelait négligences, étaient liées à des beautés réelles, à des fentimens vrais & délicats, que ce grand

(*) C'eft Bérénice qui dit ce vers à Antiochus: Vifé, qui était dans le parterre, cria: Qu'il parte.

homme

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homme favait feul exprimer. Auffi, quand il s'eft trouvé des actrices capables de jouer Bérénice, elle a toujours été repréfentée avec de grands applaudiffemens; elle a fait verfer des larmes ; mais la nature accorde presque auffi rarement les talens néceffaires pour bien déclamer, qu'elle accorde le don de faire des tragédies dignes d'être représentées. Les efprits justes & défintéreffés les jugent dans le cabinet, mais les acteurs feuls les font réuffir au théâtre.

Racine eut le courage de ne céder à aucune des critiques que l'on fit de Bérénice; il s'enveloppa dans la gloire d'avoir fait une pièce touchante d'un fujet dont aucun de fes rivaux, quel qu'il pût être, n'aurait pu tirer deux ou trois fcènes ; que dis-je ? une feule qui eût pu contenter la délicateffe de la cour de Louis XIV.

Ce qui fait bien connaître le cœur humain, c'est que perfonne n'écrivit contre la Bérénice de Corneille qu'on jouait en même temps, & que cent critiques fe déchaînaient contre la Bérénice de Racine. Quelle en était la raison? c'eft qu'on fentait dans le fond de fon cœur la fupériorité de ce ftyle naturel, auquel perfonne ne pouvait atteindre; on fentait que rien n'eft plus aifé que de coudre ensemble des fcènes ampoulées, & rien. de plus difficile que de bien parler le langage

du cœur.

Théâtre. Tom. V.

P

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