Page images
PDF
EPUB
[ocr errors][ocr errors]

undique tuti: c'était la coutume autrefois, mais c'était une mauvaise coutume, qui expofait l'encenfeur & l'encenfé aux méchantes langues.

Le bon vieillard fut affez heureux pour que ces deux illuftres babyloniens daignaffent lire fa tragédie perfane, intitulée les Scythes. Ils en furent affez contens. Ils dirent qu'avec le temps ce campagnard pourrait fe former; qu'il y avait dans fa rapfodie du naturel & de l'extraordinaire, & même de l'intérêt ; & que pour peu qu'on corrigeât feulement trois cents vers à chaque acte, la pièce pourrait être à l'abri de la cenfure des mal-intentionnés ; mais les malintentionnés prirent la chofe à la lettre.

Cette indulgence regaillardit le bon-homme, qui leur était bien refpectueusement dévoué, & qui avait le cœur bon, quoiqu'il fe permît de rire quelquefois aux dépens des méchans & des orgueilleux. Il prit la liberté de faire une épître dédicatoire à fes deux patrons en grand style, qui endormit toute la cour & toutes les académies de Babylone, & que je n'ai jamais pu retrouver dans les annales de la Perfe,

DE L'EDITION DE PARIS.

ON fait que chez des nations polies & ingé

nieuses, dans des grandes villes comme Paris & Londres, il faut abfolument des fpectacles dramatiques: on a peu besoin d'élégies, d'odes, d'églogues; mais les fpectacles étant devenus néceffaires, toute tragédie, quoique médiocre, porte fon excuse avec elle, parce qu'on en peut donner quelques représentations au public, qui fe délasse par des nouveautés paffagères des chefsd'œuvre immortels dont il eft raffafié.

La pièce qu'on préfente ici aux amateurs peut du moins avoir un caractère de nouveauté, en ce qu'elle peint des mœurs qu'on n'avait point encore exposées sur le théâtre tragique. Brumoy s'imaginait, comme on l'a déjà remarqué ailleurs, qu'on ne pouvait traiter que des fujets hiftoriques. Il cherchait les raifons pour lesquelles les fujets d'invention n'avaient point réussi; mais la véritable raifon eft que les pièces de Scuderi & de Bois-Robert, qui font dans ce goût, manquent en effet d'invention, & ne font que des fables infipides, fans mœurs & fans caractères. Brumoy ne pouvait deviner le génie.

Ce n'eft pas affez, nous l'avouons, d'inventer un fujet dans lequel fous des noms nouveaux

[ocr errors]
[ocr errors]

on traite des paffions ufées & des événemens communs. Omnia jam vulgata. Il eft vrai que les fpectateurs s'intéreffent toujours pour une amante abandonnée, pour une mère dont on immole le fils, pour un héros aimable en danger, pour une grande paffion malheureuse; mais s'il n'eft rien de neuf dans ces peintures, les auteurs alors ont le malheur de n'être regardés que comme des imitateurs. La place de Campiftron eft trifte; le lecteur dit : Je connaisfais tout cela, & je l'avais vu bien mieux exprimé.

Pour donner au public un peu de ce neuf qu'il demande toujours, & que bientôt il sera impoffible de trouver, un amateur du théâtre a été forcé de mettre fur la fcène l'ancienne chevalerie, le contrafte des Mahométans & des Chrétiens, celui des Américains & des Espagnols, celui des Chinois & des Tartares. Il a été forcé de joindre à des paffions si souvent traitées des mœurs que nous ne connaissions pas fur la fcène.

On hasarde aujourd'hui le tableau contrasté des anciens Scythes & des anciens Persans, qui, peut-être, eft la peinture de quelques nations. modernes. C'eft une entreprise un peu téméraire d'introduire des pasteurs, des laboureurs avec des princes, & de mêler les mœurs champêtres avec celles des cours. Mais enfin cette

invention théâtrale (heureuse ou non) eft puifée entièrement dans la nature. On peut même rendre héroïque cette nature fi fimple, on peut faire parler des pâtres guerriers & libres avec une fierté qui s'élève au-deffus de la basfesse que nous attribuons très-injuftement à leur état, pourvu que cette fierté ne foit jamais bourfouflée; car qui doit l'être? Le bourfouflé, l'ampoulé ne convient pas même à Cefar. Toute grandeur doit être fimple.

C'est ici en quelque forte l'état de nature mis en oppofition avec l'état de l'homme artificiel, tel qu'il eft dans les grandes villes. On peut enfin étaler dans des cabanes des sentimens auffi touchans que dans des palais.

On avait souvent traité en burlesque cette oppofition fi frappante des citoyens des grandes villes avec les habitans des campagnes; tant le burlesque eft aifé, tant les choses se présentent en ridicule à certaines nations.

On trouve beaucoup de peintres qui réuffiffent dans le grotefque, & peu dans le grand. Un homme de beaucoup d'efprit, & qui a un nom dans la littérature, s'étant fait expliquer le fujet d'Alzire, qui n'avait pas encore été représentée, dit à celui qui lui expofait ce plan: Fentends, c'eft Arlequin fauvage.

Il eft certain qu'Alzire n'aurait pas réussi, si

l'effet théâtral n'avait convaincu les spectateurs que ces fujets peuvent être auffi propres à la tragédie que les aventures des héros les plus connus & les plus impofans.

La tragédie des Scythes eft un plan beaucoup plus hafardé. Qui voit-on paraître d'abord fur la fcène? deux vieillards auprès de leurs cabanes, des bergers, des laboureurs. De qui parlet-on ? d'une fille qui prend foin de la vieillesse de fon père, & qui fait le fervice le plus pénible. Qui épouse-t-elle ? un pâtre, qui n'est jamais forti des champs paternels. Les deux vieillards s'affeyent fur un banc de gazon. Mais que des acteurs habiles pourraient faire valoir cette fimplicité !

Ceux qui fe connaiffent en déclamation & en expreffion de la nature sentiront furtout quel effet pourraient faire deux vieillards dont l'un tremble pour fon fils, & l'autre pour fon gendre, dans le temps que le jeune pasteur eft aux prifes avec la mort ; un père affaibli par l'âge & par la crainte, qui chancelle, qui tombe sur un fiége de mousse, qui se relève avec peine, 'qui crie d'une voix entre-coupée qu'on coure aux armes, qu'on vole au fecours de fon fils; un ami éperdu qui partage fes douleurs & fa faibleffe, qui l'aide d'une main tremblante à fe relever : ce même père qui, dans ces momens de faififfement &

« PreviousContinue »