Page images
PDF
EPUB

prérogative éminente des pauvres membres de Jésus-Christ!

Je pourrois encore, mes Frères, établir la prééminence des pauvres sur d'autres raisons convaincantes, par lesquelles vous reconnoîtriez qu'ils sont les vrais enfans de l'Eglise, et que c'est pour eux principalement que cette cité spirituelle a été bâtie. Mais il vaut mieux tirer quelque instruction, et recueillir quelque fruit de cette doctrine salutaire. Elle nous doit apprendre, Messieurs, à respecter les pauvres et les indigens, comme ceux qui sont nos aînés dans la famille de Jésus-Christ, et que son Père céleste a choisis pour être les citoyens de son Eglise; qui, portant ses marques les plus assurées, sont aussi ses membres les plus précieux. C'est de l'apôtre saint Jacques que j'ai appris cette excellente morale. «< Ecoutez, nous dit-il, mes très-chers Frères »; Audite, Fratres mei dilectissimi (1): sans doute il a dessein de nous proposer quelque chose de bien remarquable. Quelle ame assez endurcie refusera son attention, à laquelle il est excité par l'organe d'un si grand apôtre, qui est honoré dans les saintes Lettres de la qualité glorieuse de frère de notre Seigneur? Mais entendons ce qu'il veut dire ; voici ses propres paroles: « N'est-il pas vrai que Dieu a choisi » les pauvres, afin qu'ils fussent riches dans la foi, » et les héritiers du royaume qu'il a promis à ceux

qui l'aiment ? Et après cela, poursuit-il, vous osez » mépriser les pauvres »! Cet apôtre, comme vous voyez, nous veut faire considérer en ce lieu l'éminente dignité des pauvres, et cette prérogative de

(1) Jac. 11. 5.

leur vocation que j'ai tâché de vous expliquer. Dieu, dit-il, les a choisis spécialement pour être riches selon la foi, et les héritiers de son royaume: n'est-ce pas, mes Frères, ce que j'ai prêché, qu'ils sont appelés à l'Eglise avec l'honneur et la préférence d'un choix particulier? Et de là que conclurons-nous, sinon ce qu'a conclu le même saint Jacques, que c'est un aveuglement déplorable que de ne pas honorer les pauvres, auxquels Dieu même a fait tant d'honneur par cette grâce de prééminence qu'il leur donne dans son Eglise? Chrétiens, rendez-leur respect, honorez leur condition.

Saint Paul nous en donne l'exemple. Ecrivant aux Romains d'une aumône qu'il alloit porter aux fidèles de Jérusalem, il leur parle en ces termes : « Je vous conjure, mes Frères, par notre Seigneur » Jésus-Christ et par la charité du Saint-Esprit, » que vous m'aidiez par vos prières auprès de Dieu; » afin que les saints qui sont en Jérusalem agréent » le présent que j'ai à leur faire » : Obsecro vos, Fratres, per Dominum nostrum Jesum Christum et per charitatem sancti Spiritús, ut adjuvetis me in orationibus vestris pro me ad Deum, ut.... obsequii mei oblatio accepta fiat in Jerusalem sanctis (1). Qui n'admireroit, chrétiens, comme il traite les pauvres honorablement! Il ne dit pas l'aumône que j'ai à leur faire, ni l'assistance que j'ai à leur donner; mais le service que j'ai à leur rendre. Il fait quelque chose de plus, et je vous prie de méditer ce qu'il ajoute: « Priez Dieu, dit-il, mes chers Frères, que » mon service leur soit agréable ». Que veut dire le (1) Rom. xv. 30, 31.

saint apôtre, et faut-il tant de précautions pour faire agréer une aumône ? Ce qui le fait parler de la sorte, c'est la haute dignité des pauvres. On peut donner pour deux motifs; ou pour gagner l'affection, ou pour soulager la nécessité; ou par un effet d'estime, ou par un sentiment de pitié : l'un est un présent, et l'autre une aumône. Dans l'aumône, on croit ordinairement que c'est assez de donner: on apporte plus de soin dans le présent, et il y a un certain art innocent de relever le prix de ce que l'on donne, par la manière et les circonstances de l'offrir. C'est en cette dernière façon que saint Paul assiste les pauvres. Il ne les regarde pas seulement comme des malheureux qu'il faut assister; mais il regarde que dans leur misère ils sont les principaux membres de Jésus-Christ et les premiers-nés de l'Eglise. En cette qualité glorieuse il les considère comme des personnes auxquelles il fait la cour, si je puis parler de la sorte. C'est pourquoi il n'estime pas que ce soit assez que son présent les soulage, mais il souhaite que son service leur agrée; et pour obtenir cette grâce, il met toute l'Eglise en prières. Tant les pauvres sont considérables dans l'Eglise de JésusChrist, que saint Paul semble établir sa félicité dans l'honneur de les servir et dans le bonheur de leur plaire: ut obsequii mei oblatio accepta fiat in Jerusalem sanctis.

Mesdames, revêtez-vous de ces sentimens apostoliques; et dans les soins que vous prenez de cette maison, regardez avec respect les pauvres qui la composent. Méditez sérieusement, en la charité de notre Seigneur, que si les honneurs du siècle vous

mettent au-dessus d'eux, le caractère de JésusChrist, qu'ils ont l'honneur de porter, les élève audessus de vous. Honorez, en les servant, la mystérieuse conduite de la Providence divine, qui leur donne les premiers rangs dans l'Eglise avec une telle prérogative, que les riches n'y sont reçus que pour les servir.

SECOND POINT.

C'EST la seconde vérité que je me suis obligé de vous expliquer, et qui suit si évidemment de celle que j'ai déjà établie, qu'il ne sera pas nécessaire de m'étendre beaucoup sur la preuve. Et certainement, chrétiens, comme il a déjà été dit, Jésus, qui ne promet dans son Evangile que des afflictions et des croix, n'a pas besoin de riches dans sa sainte Eglise; et leur faste n'ayant rien de commun avec la profonde humiliation de ce Dieu anéanti jusques à la croix, il est bien aisé de juger, Messieurs, qu'il ne les recherche pas pour eux-mêmes. Car à quoi lui sont-ils bons dans son royaume? Quoi? pour lui ériger des temples superbes, ou pour orner ses autels d'or et de pierreries? Ne vous persuadez pas qu'il se plaise dans ces ornemens : il les reçoit de la main des hommes comme des marques de leur piété, comme des hommages de leur religion. Mais bien loin d'exiger ces grandes dépenses, ne voyezvous pas au contraire qu'il n'est rien de plus commun ni de plus bas prix que ce qui est nécessaire à son culte? Il demande seulement de l'eau la plus simple pour régénérer ses enfans: il ne faut qu'un peu de pain et de vin pour consacrer ses mystères, où réside la source de toutes ses grâces. Jamais il

ne s'est tenu mieux servi que lorsqu'on lui sacrifioit dans des cachots, et que l'humilité et la foi faisoient tout l'ornement de ses temples. Autrefois dans l'ancienne loi il vouloit de la pompe dans son service : mais cette simplicité qu'il affecte, si je puis parler de la sorte, dans le culte de la nouvelle alliance, c'est pour faire voir aux riches du monde qu'il n'a plus besoin d'eux ni de leurs trésors, si ce n'est pour le service de ses pauvres.

Mais pour les pauvres, Messieurs, il confesse qu'il en a besoin, et il implore leur secours. Ecce mysterium vobis dico (1) : « Voici un mystère admi» rable ». Jésus n'a besoin de rien, et Jésus a besoin de tout: Jésus n'a besoin de rien selon sa puissance; mais Jésus a besoin de tout selon sa compassion. Ecce mysterium vobis dico : « Voici un grand mys» tère que j'ai à vous dire »; c'est le mystère du nouveau Testament. Cette même miséricorde, qui a obligé Jésus innocent à se charger de tous les crimes, oblige encore Jésus, tout heureux qu'il est, à se charger de toutes les misères. Car comme le plus innocent est celui qui a porté le plus de péchés, aussi le plus abondant est celui qui porte le plus de besoins. Ici il a faim, et là il a soif: là il gémit sous des chaînes, ici il est travaillé par des maladies: il souffre en même temps le froid et le chaud, et les extrémités opposées. Pauvre véritablement, et le plus pauvre de tous les pauvres : parce que tous les autres pauvres ne souffrent que pour eux-mêmes; et qu'«< il n'y il n'y a que Jésus-Christ qui pâtisse dans >> toute l'universalité des misérables » : Unus tantum(I. Cor. xv. 51.

« PreviousContinue »