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>> est-ce là ce temple, l'honneur et la joie de toute » la terre »? Et moi je dis: Est-ce là cet homme fait à l'image de Dieu, le miracle de sa sagesse, et le chef-d'œuvre de ses mains?

C'est lui-même, n'en doutez pas. D'où vient donc cette discordance? et pourquoi vois-je ces parties si mal rapportées? C'est que l'homme a voulu bâtir à sa mode sur l'ouvrage de son Créateur, et il s'est éloigné du plan : ainsi, contre la régularité du premier dessein, l'immortel et le corruptible, le spirituel et le charnel, l'ange et la bête, en un mot, se sont trouvés tout à coup unis. Voilà le mot de l'énigme, voilà le dégagement de tout l'embarras : la foi nous a rendus à nous-mêmes, et nos foiblesses honteuses ne peuvent plus nous cacher notre dignité naturelle.

Mais, hélas! que nous profite cette dignité? Quoique nos ruines respirent encore quelque air de grandeur, nous n'en sommes pas moins accablés dessous; notre ancienne immortalité ne sert qu'à nous rendre plus insupportable la tyrannie de la mort; et quoique nos ames lui échappent, si cependant le péché les rend misérables, elles n'ont pas de quoi se vanter d'une éternité si onéreuse. Que dirons-nous, chrétiens? que répondrons-nous à une plainte si pressante? Jésus-Christ y répondra dans notre Evangile. Il vient voir le Lazare décédé, il vient visiter la nature humaine qui gémit sous l'empire de la mort : ah! cette visite n'est pas sans cause : c'est l'ouvrier même qui vient en personne pour reconnoître ce qui manque à son édifice ; c'est qu'il a dessein de le réformer suivant son premier modèle: secundùm

imaginem ejus qui creavit illum (1): « selon l'image » de celui qui l'a créé ».

O ame remplie de crimes, tu crains avec raison l'immortalité qui rendroit ta mort éternelle. Mais voici en la personne de Jésus-Christ la résurrection et la vie (2): qui croit en lui, ne meurt pas; qui croit en lui, est déjà vivant d'une vie spirituelle et intérieure, vivant par la vie de la grâce qui attire après elle la vie de la gloire : mais le corps est cependant toujours sujet à la mort. O ame, console-toi : si ce divin Architecte, qui a entrepris de te réparer, laisse tomber pièce à pièce ce vieux bâtiment de ton corps, c'est qu'il veut te le rendre en meilleur état, c'est qu'il veut le rebâtir dans un meilleur ordre, il entrera pour un peu de temps dans l'empire de la mort, mais il ne laissera rien entre ses mains si ce n'est la mortalité.

Ne vous persuadez pas que nous devions regarder la corruption selon les raisonnemens de la médecine, comme une suite naturelle de la composition et du mélange. Il faut élever plus haut nos esprits, et croire, selon les principes du christianisme, que ce qui engage la chair à la nécessité d'être corrompue, c'est qu'elle est un attrait au mal, une source de mauvais désirs, enfin une «< chair de péché (3) » comme parle le saint apôtre. Une telle chair doit être détruite, je dis même dans les élus; parce qu'en cet état de chair de péché, elle ne mérite pas d'être réunie à une ame bienheureuse, ni d'entrer dans le royaume de Dieu : « La chair et le sang ne peuvent

(1) Coloss. 111. 10.- -(2) Joan. x1. 25, 26.-(3) Rom. vi. 3.

» posséder le royaume de Dieu » : Caro et sanguis regnum Dei possidere non possunt (1). Il faut donc qu'elle change sa première forme afin d'être renouvelée, et qu'elle perde tout son premier être pour en recevoir un second de la main de Dieu. Comme un vieux bâtiment irrégulier qu'on néglige de réparer, afin de le dresser de nouveau dans un plus bel ordre d'architecture; ainsi cette chair toute déréglée par le péché et la convoitise, Dieu la laisse tomber en ruine, afin de la refaire à sa mode, et selon le premier plan de sa création : elle doit être réduite en poudre, parce qu'elle a servi au péché.

Ne vois-tu pas le divin Jésus qui fait ouvrir le tombeau? c'est le prince qui fait ouvrir la prison aux misérables captifs. Les corps morts qui sont enfermés dedans, entendront un jour sa parole, et ils ressusciteront comme le Lazare: ils ressusciteront mieux que le Lazare, parce qu'ils ressusciteront pour ne mourir plus, et que la mort, dit le Saint-Esprit, sera noyée dans l'abîme pour ne paroître jamais Et mors ultrà non erit (2).

Que crains-tu donc, ame chrétienne, dans les approches de la mort? peut-être qu'en voyant tomber ta maison tu appréhendes d'être sans retraite ? mais écoute le divin apôtre. « Nous savons », nous savons, dit-il, nous ne sommes pas induits à le croire par des conjectures douteuses, mais nous le savons très-assurément et avec une entière certitude, « que >> si cette maison de terre et de boue, dans laquelle »> nous habitons, est détruite, nous avons une autre >> maison qui nous est préparée au ciel (3) ». O con

(1) I. Cor. xv. 5o. — (2) Apoc. xxi. 4.—(3) II. Cor. v. 1.

duite miséricordieuse de celui qui pourvoit à nos besoins! Il a dessein, dit excellemment saint JeanChrysostôme (1), de réparer la maison qu'il nous a donnée pendant qu'il la détruit et qu'il la renverse pour la refaire toute neuve, il est nécessaire que nous délogions; car que ferions - nous dans cette poudre, dans ce tumulte, dans cet embarras ? Et lui-même nous offre son palais; il nous donne un appartement, pour nous faire attendre en repos l'entière réparation de notre ancien édifice.

(1) Hom. in dict. Apost. De dormientibus, etc. tom. 1, p. 764.

FRAGMENT

SUR LA BRIÉVETÉ DE LA VIE

ET LE NÉANT DE L'HOMME.

C'EST bien peu de chose que l'homme, et tout ce qui a fin est bien peu de chose. Le temps viendra où cet homme qui vous sembloit si grand ne sera plus, où il sera comme l'enfant qui est encore à naître, où il ne sera rien. Si long-temps qu'on soit au monde, y seroit - on mille ans, il en faut venir là. Il n'y a que le temps de ma vie qui me fait différent de ce qui ne fut jamais cette différence est bien petite, puisqu'à la fin je serai encore confondu avec ce qui n'est point; ce qui arrivera le jour où il ne paroîtra pas seulement que j'aie été, et où peu m'importera combien de temps j'ai été, puisque je ne serai plus. J'entre dans la vie avec la loi d'en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres; après il faudra disparoître. J'en vois passer devant moi, d'autres me verront passer; ceux-là même donneront à leurs successeurs le même spectacle; tous enfin viendront se confondre dans le néant. Ma vie est de quatre-vingts ans tout au plus, prenons-en cent : qu'il y a eu de temps où je n'étois pas! qu'il y en a où je ne serai point! et que

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