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FRAGMENT

SUR LE MÊME SUJET.

Moyens de sanctifier la grandeur par le bon usage. Quels sont les devoirs des grands du monde à l'égard de la justice et des misérables. Fausse idée que les hommes se forment de la puissance. Combien l'esprit de grandeur est opposé à l'esprit du christianisme.

MAIS je n'aurois fait, chrétiens, que la moitié de mon ouvrage, si après vous avoir montré par l'Ecriture divine les périls extrêmes des grandes fortunes, je ne tâchois aussi de vous expliquer les moyens que nous donne la même Ecriture pour sanctifier la grandeur par un bon usage; et c'est pourquoi je ramasserai en peu de paroles les instructions les plus importantes que le Saint-Esprit a données aux grands de la terre pour bien user de leur puissance.

La première et la capitale d'où dérivent toutes les autres, c'est de faire servir la puissance à la loi de Dieu. « Afin, dit saint Grégoire, que les grands >> rendent leur puissance salutaire, il faut qu'ils sa» chent ce qu'ils peuvent; mais afin qu'ils ne s'élè» vent pas, il faut qu'ils ignorent ce qu'ils peuvent »>: Ut prodesse debeat posse se sciat, et ut extolli non debeat posse se nesciat (1). Toute puissance vient

(1) S. Gregor. Mag, lib. v. Moral. in Job. cap. vi, tom. 1,

col.

de Dieu (1); donc [elle doit être] ordonnée. L'ordre; que ce soit pour le bien, autrement nul ordre, de faire tant de différence entre de la boue et de la boue. Toute la nature image de la libéralité divine. Tout ce qui porte le caractère de la puissance divine, le porte de sa munificence; et il n'y auroit point dans le monde de puissance malfaisante, si le péché n'avoit perverti l'ordre et l'institution du Créateur.

Nous lisons dans le second livre des Chroniques une belle cérémonie qui se pratiquoit dans le sacre des rois de Juda. Au jour qu'on les oignoit de l'huile sacrée, ainsi que Dieu l'avoit commandé, on leur mettoit en même temps le diadême sur la tête, et la loi de Dieu dans la main: Imposuerunt ei diadema, et dederunt in manu ejus tenendam legem, et constituerunt eum regem (2): afin de leur faire entendre que leur puissance est établie pour affermir le règne de Dieu parmi les hommes, que l'exécution de ses saintes lois ne leur doit être ni moins chère ni moins précieuse que leur couronne.

De tous les rois de Juda aucun n'a mieux pratiqué cette divine leçon que Josaphat, prince incomparable, non moins vaillant que religieux, et père de ses peuples autant que victorieux de ses ennemis. L'Ecriture nous fait souvent remarquer que les prospérités corrompent les hommes, enflent leur cœur par la vanité, et leur font oublier la loi de Dieu. Mais au contraire, la prospérité, qui donnoit de l'orgueil aux autres, n'inspira que du courage à celui-ci pour marcher vigoureusement dans les voies de Dieu et établir son service: Factæque sunt ei in(1) Rom. xi. 1. — (3) II. Par. xx. 11.

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finitæ divitiæ et multa gloria, sumpsitque cor ejus audaciam propter vias Domini (1). « Il se trouva

» comblé d'une infinité de richesses et d'une très

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grande gloire; et son cœur fut rempli de force et » de zèle, pour l'observation des préceptes du Sei» gneur ».

Ce prince, considérant que tout bien lui venoit de Dieu, et touché d'une juste reconnoissance, entreprit de le faire régner dans tout son empire. Et l'Ecriture remarque que, pour accomplir un si beau dessein, il avoit un soin particulier de choisir entre les lévites et les ministres de Dieu ceux qui étoient les mieux versés dans sa sainte loi, qu'il envoyoit dans les villes afin que le peuple fût instruit : Circuibant cunctas urbes Juda, et erudiebant populum (2). Et ce n'est pas sans raison que les anciens conciles de l'Eglise Gallicane (3) ont souvent proposé à nos rois l'exemple de ce grand monarque, dont la conduite fut suivie d'une bénédiction de Dieu toute manifeste. Car écoutez ce que dit l'Ecriture sainte Josaphat marchant ainsi dans les voies de Dieu, il le rendit redoutable à tous ses voisins: Itaque factus est pavor Domini super omnia regna terrarum, quæ erant per gyrum Juda (4). Et . ce prince s'agrandissoit tous les jours, parce que Dieu étoit avec lui: tant il est vrai que Dieu prend plaisir à protéger la puissance qui lui rend hommage, et qu'il est le rempart de ceux qui le servent. Le second soin du roi Josaphat et le second moyen

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dont il se servoit pour sanctifier la grandeur, fut de pourvoir avec vigilance à l'administration de la justice. « Il établit des juges, dit l'Ecriture, dans les » villes de Judée », et les appelant à lui, il leur prescrivoit lui-même en ces termes de quelle manière ils devoient agir. « Prenez garde, leur disoit» il, à votre conduite; car ce n'est pas la justice des >> hommes, mais la justice de Dieu que vous exer» cez, et tout ce que vous jugerez vous en serez res»ponsables. Ayez toujours devant les yeux la crainte » de Dieu; faites tout avec diligence: songez que le » Seigneur notre Dieu déteste l'iniquité, qu'il ne » regarde point les personnes, et ne se laisse point » corrompre par les présens (1) ». Vous donc qui jugerez en son nom par la puissance que je vous en donne, comme vous exercez son autorité imitez aussi sa justice. Puis descendant au détail, il règle en cette manière les devoirs particuliers. « Amarias, votre prêtre et votre pontife, présidera dans les choses qui regardent Dieu et son service;"et Zabadias, >> qui est un des chefs de la maison de Juda, aura » la conduite de celles qui regardent le ministère » royal (2) ». C'est ainsi que ce sage prince retenoit chacun dans ses bornes; et empêchant la confusion et les entreprises, faisoit que tout concouroit et au service de Dieu, et à l'utilité des peuples.

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Et certainement, chrétiens, si ceux que Dieu a mis dans les grands emplois n'appliquent toute leur puissance à soutenir hautement le bon droit et la justice, la terre sera désolée et les fraudes seront infinies. Les hommes en général sont intéressés, et (1) II. Par. xvx. 5, 6, 7. — (2) Ibid. 11.

ainsi

ainsi ordinairement ils sont injustes. C'est pourquoi il faut avouer que la justice est obligée de marcher dans des voies bien difficiles, et que c'est une espèce de martyre que de se tenir régulièrement dans les termes du droit et de l'équité. Que sert de dissimuder? il est aisé de comprendre que les injustes pour l'ordinaire sont les plus forts, parce qu'ils ne se donnent aucunes bornes, parce qu'ils mettent tout en usage, et combattent, pour ainsi dire, dans un champ libre où ils s'étendent à leur aise. L'homme de bien se resserre dans tant de limites qu'à peine se peut-il aider; il se renferme dans ce qui est droit : l'injuste veut généralement ce qui l'accommode. Ce n'est pas assez à l'homme de bien de ne vouloir que ce qui est juste; il craint de corrompre la pureté de ses desseins innocens, il ne veut que de bons moyens pour y parvenir, et il a toujours devant les yeux ce précepte de la loi : « Tu poursuivras justement ce » qui est juste »; Justè quod justum est persequeris (1). Au contraire, l'homme injuste et intéressé passe, dit l'Ecriture, de mal en mal; et c'est pourquoi il se fortifie sur la terre: Confortati sunt in terra, quia de malo ad malum egressi sunt (2). Il soutient une médisance par une nouvelle calomnie, et une première injustice par une corruption. Il enveloppe la vérité dans des embarras infinis; il a l'art de faire taire et parler les hommes, parce qu'il sait les flatter, les intimider, les intéresser par toutes sortes de voies. Qui pourra donc s'étonner si l'injuste qui tente tout réussit mieux, et si l'homme de bien au contraire demeure court ordinairement dans ses en(1) Deut. XVI. 20.—(2) Jer. 1x. 3.

BOSSUET. XII.

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