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vous soyez, qui croyez vous affermir sur la terre, servez-vous de cette pensée pour chercher le solide et la consistance. Oui, l'homme doit s'affermir, il ne doit pas borner ses desseins dans des limites si resserrées que celles de cette vie; qu'il pense hardiment à l'éternité. En effet il tâche autant qu'il peut que le fruit de son travail n'ait point de fin : il ne peut pas toujours vivre, mais il souhaite que son ouvrage subsiste toujours: son ouvrage, c'est sa fortune qu'il tâche, autant qu'il lui est possible, de faire voir aux siècles futurs telle qu'il l'a faite. Il y a dans l'esprit de l'homme un désir avide de l'éternité; si on le sait appliquer, c'est notre salut. Mais voici l'erreur, c'est que l'homme l'attache à ce qu'il aime s'il aime les biens périssables, il y médite quelque chose d'éternel; c'est pourquoi il cherche de tous côtés des soutiens à cet édifice caduc, soutiens aussi caducs que l'édifice même qui lui paroît chancelant. O homme, désabuse-toi : si tu aimes l'éternité, cherche-la donc en elle-même, et ne crois pas pouvoir appliquer sa consistance inébranlable à cette eau qui passe et à ce sable mouvant. O éternité, tu n'es qu'en Dieu, mais plutôt ô éternité, tu es Dieu même; c'est là que je veux chercher mon appui, mon établissement, ma fortune, mon repos assuré en cette vie et en l'autre. Amen.

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AUTRE CONCLUSION

DU MÊME SERMON,

PRÊCHÉ DEVANT LE ROI.

O FOLIE! ô illusion! étrange aveuglement des enfans des hommes! chrétiens, méditons ces choses; pensons aux inconstances, aux légèretés, aux trahisons de la fortune. Mais ceux dont la puissance suprême semble être au-dessus de son empire, sontils au-dessus des changemens? Dans leur jeunesse la plus vigoureuse, ils doivent penser à la dernière heure qui ensevelira toute leur grandeur. « Je l'ai >> dit: Vous êtes des dieux, et vous êtes tous enfans » du Très-haut (1) »; ce sont les paroles de David, paroles grandes et magnifiques toutefois écoutez la suite Mais ô dieux de chair et de sang, ô dieux de terre et de poussière, « vous mourrez comme des » hommes », et toute votre grandeur tombera par terre Verumtamen sicut homines moriemini (2). Songez donc, ô grands de la terre, non à l'éclat de votre puissance, mais au compte qu'il en faut rendre, et ayez toujours devant les yeux la majesté de Dieu présente.

De tous les hommes vivans, aucuns ne doivent avoir dans l'esprit la majesté de Dieu plus présente ni plus avant imprimée que les rois; car comment pourroient-ils oublier celui dont ils portent toujours (1) Ps. LXXXI. 6. — (2) Ibid. 7.

en eux-mêmes une image si présente et si expresse? Le prince sent en lui-même cette vigueur, cette fermeté, cette noble confiance du commandement : il voit qu'il ne fait que remuer les yeux, et qu'aussitôt tout se remue d'une extrémité du royaume à l'autre : et combien donc doit-il penser que la puissance de Dieu est active? Il perce les intrigues les plus cachées; les oiseaux du ciel lui rapportent tout (4)5 il a même reçu de Dieu, par l'usage des affaires, une certaine pénétration qui fait penser qu'il devine; Divinatio in labiis Regis (2); et quand il a pénétré les trames les plus secrètes, avec ses mains longues et étendues il va prendre ses ennemis aux extrémités du monde, et les déterre, pour ainsi dire, du fond des abîmes, où ils cherchoient un vain asile. Combien donc lui est-il facile de s'imaginer que la vue et les mains de Dieu sont inévitables?

Mais quand il voit les peuples soumis obligés à lui obéir non-seulement « pour la crainte, mais >> encore pour la conscience comme dit l'apôtre (3); quand il voit qu'on doit immoler et sa fortune et sa vie pour sa gloire et pour son service, peut-il jamais oublier ce qui est dû au Dieu vivant et éternel? C'est là qu'il doit reconnoître que tout ce que feint la flatterie, tout ce qu'inspire le devoir, tout ce qu'exécute la fidélité, tout ce qu'il exige lui-même de l'amour, de l'obéissance, de la gratitude de ses sujets; c'est une leçon perpétuelle de ce qu'il doit à son Dieu, à son souverain. C'est pourquoi saint Grégoire de Nazianze prêchant à Constantinople en présence des empereurs, leur - (2) Prov. XVI. 10.- -(3) Rom. x111. 5.

(1) Eccle. x. 20. —

adresse ces belles paroles : « O princes, respectez » votre pourpre; révérez votre propre puissance, » et ne l'employez jamais contre Dieu qui vous l'a » donnée. Connoissez le grand mystère de Dieu en >> vos personnes : les choses hautes sont à lui seul; » il partage avec vous les inférieures: soyez donc » les sujets de Dieu, et soyez les dieux de vos peuples (1) ».

>>

Ce sont les paroles de ce grand saint que j'adresse encore aujourd'hui au plus grand Monarque du monde. Sire, soyez le dieu de vos peuples; c'està-dire faites-nous voir Dieu en votre personne sacrée ; faites-nous voir sa puissance, faites-nous voir sa justice, faites-nous voir sa miséricorde. Ce grand Dieu est au-dessus de tous les maux, et néanmoins il y compatit et il les soulage : ce grand Dieu n'a besoin de personne; et néanmoins il veut gagner tout le monde, et il ménage ses créatures avec une condescendance infinie. Ce grand Dieu sait tout, il voit tout; et néanmoins il veut que tout le monde lui parle il écoute tout, et il a toujours l'oreille attentive aux plaintes qu'on lui présente, toujours prêt à faire justice. Voilà le modèle des Rois; tous les autres sont défectueux, et on y voit toujours quelque tache. Dieu seul doit être imité en tout, autant que le porte la foiblesse humaine. Nous bénissons ce grand Dieu de ce que Votre Majesté porte déjà sur elle-même une si noble empreinte de lui-même, et nous le prions humblement d'accroître ses dons sans mesure dans le temps et dans l'éternité. Amen.

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(1) Orat. XXVII. tom. 1, p. 471.

AUTRE EXORDE

POUR

LE IV. DIMANCHE DE CARÊME.

Jesus ergo cùm cognovisset, quia venturi essent ut raperent eum et facerent eum regem, fugit iterum in montem ipse solus.

Jésus ayant connu que le peuple viendroit pour l'enlever et le faire roi, s'enfuit encore à la montagne tout seul. Joan. vi. 15.

TOUJOURS le silence et la solitude auront de grands charmes pour notre Sauveur; toujours la montagne et le désert donneront à cet homme-Dieu une retraite agréable. Il ne peut oublier l'obscurité sainte de ses trente premières années; et durant le cours des dernières, que le soin de notre salut l'oblige de rendre publiques, il dérobe tout le temps qu'il peut pour se retirer avec son Père, et apprendre par son exemple à ses serviteurs, qu'il n'est rien de plus désirable à un chrétien que le repos de la vie privée. Mais quoiqu'il aime toujours la retraite, jamais il ne la cherche avec tant d'ardeur que lorsqu'on lui veut donner une gloire humaine. En effet, c'est une chose digne de remarque que les saints évan

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