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"pourquoi j'ai choisi ce verset du psaume cent dixhuitième, où ce grand roi et ce grand prophète, après avoir considéré ce qu'il a à faire en ce monde, nous déclare tout ouvertement qu'il n'a point trouvé de meilleures voies que celles de la loi de Dieu : « J'ai étudié mes voies ». Fidèles, rendez-vous attentifs à une délibération de cette importance. Cet excellent serviteur de Dieu, qui nous a laissé les paroles que je vous ai rapportées, dès sa tendre jeunesse a eu à se défendre de puissantes inimitiés; il s'est trouvé souvent impliqué dans les dangereux intérêts des princes et des potentats; il a eu à gouverner un puissant Etat, où il avoit à s'établir contre les restes de la famille de Saül son prédécesseur : enfin durant un règne fort long, jusques à ses dernières années il lui a fallu soutenir l'embarras, nonseulement d'une cour factieuse et de sa propre maison toujours agitée de cabales, mais encore de cruelles guerres et civiles et étrangères. Toutefois si vous lui demandez sa pensée touchant ce qu'il nous propose dans ce sage et admirable verset que je vous ai allégué pour mon texte, il ne craindra pas de vous dire que jamais il n'a eu une affaire plus importante. Puis donc qu'étant impuissans de nousmêmes, d'autant plus que les choses sont de conséquence, d'autant plus nous avons besoin de l'assistance divine: adressons-nous, mes Frères, avec une ferveur extraordinaire au Père de toute lumière, afin qu'il lui plaise par sa bonté nous remplir de son Esprit saint aux prières de la sainte Vierge. Ave.

DANS cette importante délibération, où il s'agit

de déterminer du point capital de la vie, et de se résoudre pour jamais sur les devoirs essentiels de l'homme, chrétiens, je me représente que venu tout nouvellement d'une terre inconnue et déserte, séparée de bien loin du commerce et de la société des hommes, ignorant des choses humaines, je suis élevé tout à coup au sommet d'une haute montagne, d'où par un effet de la puissance divine je découvre d'une même vue la terre et les mers, tous les emplois, tous les exercices, toutes les occupations différentes qui partagent en tant de soins les enfans d'Adam durant ce laborieux pélerinage. C'est avec un pareil artifice que le bienheureux martyr Cyprien fait considérer les vanités du siècle à son fidèle ami Donatus (1). Elevé donc sur cette montagne, je vois du premier aspect cette multitude infinie de peuples et de nations avec leurs mœurs différentes et leurs humeurs

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incompatibles, les unes barbares et sauvages, les autres polies et civilisées. Et comment pourrois-je vous rapporter une telle variété de coutumes et d'inclinations? certes, c'est une chose impossible. Après, descendant plus exactement au détail de la vie humaine, je contemple les divers emplois dans lesquels les hommes s'occupent. O Dieu éternel quel tracas! quelle mélange de choses! quelle étrange confusion! Je jette les yeux sur les villes, et je ne sais où arrêter la vue, tant j'y vois de diversité. La guerre, le cabinet, le gouvernement, la judicature et les lettres, le trafic et l'agriculture; en combien d'ouvrages divers ont-ils divisé les esprits ? lui-ci s'échauffe dans un barreau ; cet autre songe

Donat. Ep. 1, pag. 3.

aux affaires publiques; les autres dans leurs boutiques débitent plus de mensonges que de marchandises. Je ne puis considérer sans étonnement tant d'arts et tant de métiers avec leurs ouvrages divers, et cette quantité innombrable de machines et d'instrumens que l'on emploie en tant de manières. Cette diversité confond mon esprit : si l'expérience ne me la faisoit voir, il me seroit impossible de m'imaginer que l'invention humaine fût si abondante.

D'autre part je regarde que la campagne n'est pas moins occupée : personne n'y est de loisir, chacun y est en action et en exercice; qui à bâtir, qui à faire remuer la terre, qui à l'agriculture, qui dans les jardins celui-ci travaille pour y l'ornement et pour les délices, celui-là pour la nécessité ou pour te ménage. Et qu'est-il nécessaire que je vous fasse une longue énumération de toutes les occupations de la vie rustique? La mer même, que la nature sembloit n'avoir destinée que pour être l'empire des vents et la demeure des poissons, la mer est habitée par les hommes: la terre lui envoie dans des villes flottantes comme des colonies de peuples errans, qui sans autre rempart que d'un bois fragile, osent se commettre à la fureur des tempêtes sur le plus perfide des élémens. Et là que ne vois-je pas? que de divers spectacles! que de durs exercices? que de différentes observations! Il n'y a point de lieu où paroisse davantage l'audace tout ensemble et l'industrie de l'esprit humain.

Vous raconterai-je, Fidèles, les diverses inclinations des hommes? Si je regarde de près les secrets ressorts qui les font mouvoir, c'est là qu'il se pré

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sente à mes yeux une variété bien plus étonnante. Les uns d'une nature plus remuante ou plus généreuse se plaisent dans les emplois violens : tout leur contentement est dans le tumulte des armes; et si quelque considération les oblige à demeurer dans quelque repos, ils prendront leur divertissement à la chasse, qui est une image de la guerre. D'autres d'un naturel plus paisible, aiment mieux la douceur de la vie; ils s'attachent plus volontiers à cette commune conversation, ou à l'étude des bonnes lettres, ou à diverses sortes de curiosités, chacun selon son humeur. J'en vois qui sont sans cesse à étudier de bons mots pour avoir l'applaudissement du beau monde. Tel aura tout son plaisir dans le jeu ce qui ne devroit être qu'un relâchement de l'esprit, ce lui est une affaire de conséquence, à laquelle il occupe dans un grand sérieux la meilleure partie de son temps: il donne tous les jours de nouveaux rendez-vous, il se passionne, il s'impatiente. Et d'autres qui passent toute leur vie dans une intrigue continuelle ; ils veulent être de tous les secrets, ils s'empressent, ils se mêlent partout, ils ne songent qu'à faire toujours de nouvelles connoissances et de nouvelles amitiés. Celui-là est possédé de folles amours, celui-ci de haines cruelles et d'inimitiés implacables, et cet autre de jalousies furieuses. L'un amasse, et l'autre dépense. Quelques-uns sont ambitieux et recherchent avec ardeur les emplois publics, et les autres plus retenus se plaisent dans le repos et la douce oisiveté d'une vie privée; l'un aime les exercices durs et violens, l'autre les secrètes intrigues. Et quand aurois-je fini ce discours,

si j'entreprenois de vous raconter toutes ces mœurs différentes ét ces humeurs incompatibles? Chacun veut être fou à sa fantaisie; les inclinations sont plus dissemblables que les visages; et la mer n'a pas plus de vagues, quand elle est agitée par les vents, qu'il ne naît de pensées différentes de cet abîme sans fond et de ce secret impénétrable du cœur de l'homme. C'est à peu près ce qui se présente à mes yeux, quand je considère attentivement les affaires et les actions qui exercent la vie humaine.

Dans cette infinie multiplicité de désirs et d'occupations, je reste interdit et confus; je me regarde, je me considère! que ferai-je? où me tournerai-je? Cogitavi vias meas : « J'étudie mes voies ». Certes, dis-je incontinent en moi-même, les autres animaux semblent ou se conduire ou être conduits d'une manière plus réglée et plus uniforme : d'où vient dans les choses humaines une telle inégalité, ou plutôt une telle bizarrerie? Est-ce là ce divin animal dont on dit de si grandes choses? cette ame d'une vigueur immortelle n'est-elle pas capable de quelque opération plus sublime, et qui ressente mieux le lieu d'où elle est sortie? Toutes les occupations que je vois me semblent ou serviles, ou vaines, ou folles, ou criminelles; j'y vois du mouvement et de l'action pour agiter l'ame, je n'y vois ni règle, ni véritable conduite pour la composer. « Tout y est vanité et affliction

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d'esprit », disoit le plus sage des hommes (1). Ne paroîtra -t-il rien à ma vue qui soit digne d'une créature faite à l'image de Dieu ? Cogitavi vias meas: Je cherche, je médite, j'étudie mes voies; et pen

(1) Eccle. 1. 14.

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