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si les parties se choquent entre elles, c'est sans préjudice du tout; elles s'accordent avec le tout, dont elles font l'assemblage par leur discordance et leur contrariété. Il seroit long, chrétiens, de démêler ce raisonnement. Mais pour en faire l'application, quiconque a des desseins particuliers, quiconque s'attache aux causes particulières, disons encore plus clairement, qui veut obtenir ce bienfait du prince, ou qui veut faire sa fortune par la voie détournée, il trouve d'autres prétendans qui le contrarient, des rencontres inopinées qui le traversent : un ressort ne joue pas à temps, et la machine s'arrête; l'intrigue n'a pas son effet, ses espérances s'en vont en fumée. Mais celui qui s'attache immuablement au tout et non aux parties, non aux causes prochaines, aux puissances, à la faveur, à l'intrigue, mais à la cause première et fondamentale, à Dieu, à sa volonté, à sa providence, il ne trouve rien qui s'oppose à lui ni qui trouble ses desseins: au contraire tout concourt et tout coopère à l'exécution de ses desseins; parce que tout concourt et tout coopère dit le saint apôtre, à l'accomplissement de son salut; et son salut est sa grande affaire; c'est là que se réduisent toutes ses pensées : Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum (2).

S'appliquant de cette sorte à la Providence si vaste, si étendue, qui enferme dans ses desseins toutes les causes et tous les effets, il s'étend et se dilate lui-même, et il apprend à s'appliquer en bien toutes choses. Si Dieu lui envoie des prospérités, il reçoit le présent du ciel avec soumission, et il honore la (1) Luc. XII. 32.—(2) Rom. viii. 28.

miséricorde qui lui fait du bien, en le répandant sur les misérables. S'il est dans l'adversité, il songe que l'épreuve produit l'espérance (1) », que la guerre se fait pour la paix, et que si sa vertu combat, elle sera un jour couronnée. Jamais il ne désespère, parce qu'il n'est jamais sans ressource. Il croit toujours entendre le sauveur Jésus qui lui grave dans le fond du cœur ces belles paroles : « Ne craignez point, petit troupeau, parce qu'il a plu à votre » Père de vous donner un royaume (2) ». Ainsi à quelque extrémité qu'il soit réduit, jamais on n'entendra de sa bouche ces paroles infidèles, qu'il a perdu tout son bien; car peut-il désespérer de sa fortune, lui à qui il reste encore un royaume entier, et un royaume qui n'est autre que celui de Dieu ? Quelle force le peut abattre, étant toujours soutenu par une si belle espérance?

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Voilà quel il est en lui-même. Il ne sait pas moins profiter de ce qui se passe dans les autres. Tout le confond et tout l'édifie; tout l'étonne et tout l'encourage. Tout le fait rentrer en lui-même, autant les coups de grâce que les coups de rigueur et de justice; autant la chute des uns que la persévérance des autres; autant les exemples de foiblesse que les exemples de force; autant la patience de Dieu que sa justice exemplaire. Car s'il lance son tonnerre sur les criminels; le juste, dit saint Augustin (3), vient laver ses mains dans leur sang; c'est-à-dire, qu'il se purifie par la crainte d'un pareil supplice. S'ils prospèrent visiblement, et que leur bonne fortune semble faire rou

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· (2) Luc. x11. 32. — (3) In Ps. LVII, n. 21, tom. IV,

gir sur la terre l'espérance d'un homme de bien, i regarde le revers de la main de Dieu, et il entend avec foi, comme une voix céleste qui dit aux méchans fortunés qui méprisent le juste opprimé : 0 herbe terrestre, ô herbe rampante, oses-tu bien te comparer à l'arbre fruitier pendant la rigueur de l'hiver, sous prétexte qu'il a perdu sa verdure et que tu conserves la tienne durant cette froide saison? Viendra le temps de l'été, viendra l'ardeur du grand jugement, qui te desséchera jusqu'à la racine, et fera germer les fruits immortels des arbres que la patience aura cultivés. Telles sont les saintes pensées qu'inspire la foi de la Providence.

Chrétiens, méditons ces choses, et certes elles méritent d'être méditées. Ne nous arrêtons pas à la fortune ni à ses pompes trompeuses. Cet état que nous voyons aura son retour, tout cet ordre que nous admirons sera renversé. Que servira, chrétiens, d'avoir vécu dans l'autorité, dans les délices, dans l'abondance, si cependant Abraham nous dit: Mon fils, tu as reçu du bien en ta vie, maintenant les choses vont être changées. Nulles marques de cette grandeur, nul reste de cette puissance. Je me trompe, j'en vois de grands restes et des vestiges sensibles; et quels? C'est le Saint-Esprit qui le dit; « les puis» sans, dit l'oracle de la sagesse, seront tourmentés

puissamment » Potentes potenter tormenta patientur (1). C'est-à-dire qu'ils conserveront, s'ils n'y prennent garde, une malheureuse primauté de peine à laquelle ils seront précipités par la primauté de leur gloire. Ah! encore que je parle ainsi, « j'es(1) Sap. VI. 7.

» père de vous de meilleures choses » : Confidimus autem de vobis meliora (1). Il y a des puissances saintes: Abraham qui condamne le mauvais riche, a lui-même été riche et puissant; mais il a sanctifié sa puissance en la rendant humble, modérée, soumise à Dieu, secourable aux pauvres : si vous profitez de cet exemple, vous éviterez le supplice du riche cruel, dont nous parle [l'Evangile], et vous irez avec le pauvre Lazare vous reposer dans le sein du riche Abraham, et posséder avec lui les richesses éternelles.

(1) Heb. vi. 9.

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Différens degrés de la servitude des pécheurs : grandeur de la difficulté qu'ils éprouvent au dernier moment, pour briser les liens de leurs attaches. Causes de la négligence des hommes dans la grande affaire du salut. Peinture naturelle de la vie des gens du monde : dans quel état ils se trouvent à l'heure de la mort. Insensibilité que l'attachement aux plaisirs produit dans les riches à l'égard des pauvres énormité de ce crime: terrible abandonnement où se trouveront ceux qui les auront délaissés.

Mortuus est autem et dives.

Le riche mourut aussi. Luc. XVI. 22.

Je laisse Jésus-Christ sur le Thabor dans les splendeurs de sa gloire, pour arrêter ma vue sur un autre objet moins agréable, à la vérité, mais qui nous presse plus fortement à la pénitence. C'est le mauvais riche mourant, et mourant comme il a vécu, dans l'attache à ses passions, dans l'engagement au péché, dans l'obligation à la peine.

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