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leurs mains. Vérités certainement importantes, et qui vous doivent apprendre, ô riches du siècle, ce que vous devez faire à l'égard des pauvres; c'est-àdire honorer leur condition, soulager leurs nécessités, prendre part à leurs priviléges. C'est ce que je me propose de vous faire entendre avec le secours de la grâce.

PREMIER POINT.

Le docte et éloquent saint Jean - Chrysostôme, nous propose une belle idée pour connoître les avantages de la pauvreté sur les richesses. Il nous représente deux villes, dont l'une ne soit composée que de riches, l'autre n'ait que des pauvres dans son enceinte ; et il examine ensuite laquelle des deux est la plus puissante. Si nous consultions la plupart des hommes sur cette proposition, je ne doute pas, chrétiens, que les riches ne l'emportassent: mais le grand saint Chrysostôme conclut pour les pauvres (1); et il se fonde sur cette raison, que cette ville de riches auroit beaucoup d'éclat et de pompe, mais qu'elle seroit sans force et sans fondement assuré. L'abondance ennemie du travail, incapable de se contraindre, et par conséquent toujours emportée dans la recherche des voluptés, corromproit tous les esprits, et amolliroit tous les courages par le luxe, par l'orgueil, par l'oisiveté. Ainsi les arts seroient négligés, la terre peu cultivée, les ouvrages laborieux, par lesquels le genre humain se conserve, entièrement délaissés ; et cette ville pompeuse, sans avoir besoin d'autres ennemis, tomberoit enfin par

(1) De div. et paup. Hom. x1, tom. x, pag. 505, 506.

elle-même, ruinée par son opulence. Au contraire, dans l'autre ville où il n'y auroit que des pauvres, la nécessité industrieuse, féconde en inventions, et mère des arts profitables, appliqueroit les esprits par le besoin, les aiguiseroit par l'étude, leur inspireroit une vigueur mâle par l'exercice de la patience; et n'épargnant pas les sueurs, elle acheveroit les grands ouvrages, qui exigent nécessairement un grand travail. C'est à peu près ce que nous dit saint Jean-Chrysostôme au sujet de ces deux villes différentes. Il se sert de cette pensée pour adjuger la préférence à la pauvreté.

Mais à parler des choses véritablement, nous savons que la distinction de ces deux villes n'est qu'une fiction agréable. Les villes, qui sont des corps politiques, demandent, aussi bien que les naturels, le tempérament et le mélange: tellement que, selon la police humaine, cette ville de pauvres de saint Chrysostôme ne peut subsister qu'en idée. Il n'appartenoit qu'au Sauveur et à la politique du ciel de nous bâtir une ville, qui fût véritablement la ville des pauvres. Cette ville c'est la sainte Eglise : et si vous me demandez, chrétiens, pourquoi je l'appelle la ville des pauvres, je vous en dirai la raison par cette proposition que j'avance que l'Eglise dans son premier plan n'a été bâtie que pour les pauvres, et qu'ils sont les véritables citoyens de cette bienheureuse cité, que l'Ecriture a nommée la cité de Dieu. Encore que cette doctrine vous paroisse peut-être extraordinaire, elle ne laisse pas d'être véritable : et afin de vous en convaincre, remarquez, s'il vous plaît, Messieurs, qu'il

y a cette différence entre la Synagogue et l'Eglise ; que Dieu a promis à la Synagogue des bénédictions temporelles, au lieu que, comme dit le divin Psalmiste, «< toute la gloire de la sainte Eglise est cachée » et intérieure » : Omnis gloria ejus filiæ regis ab intus (1). « Dieu te donne, disoit Isaac à son fils Ja» cob (2), la rosée du ciel et la graisse de la terre ». C'est la bénédiction de la Synagogue. Et qui ne sait

dans les Ecritures anciennes, Dieu ne promet à ses serviteurs que de prolonger leurs jours, que d'enrichir leurs familles, que de multiplier leurs troupeaux, que de bénir leurs terres et leurs héritages? Selon ces promesses, Messieurs, il est bien aisé de comprendre que les richesses et l'abondance étant le partage de la Synagogue, dans sa propre institution elle devoit avoir des hommes puissans et des maisons opulentes. Mais il n'en est pas ainsi de l'Eglise. Dans les promesses de l'Evangile, il ne se parle plus des biens temporels, par lesquels l'on attiroit ces grossiers, ou l'on amusoit ces enfans. Jésus-Christ a substitué en leur place les afflictions et les croix; et par ce merveilleux changement les derniers sont devenus les premiers, et les premiers sont devenus les derniers; parce que les riches, qui étoient les premiers dans la synagogue, n'ont plus aucun rang dans l'Eglise, et que les pauvres et les indigens sont ses véritables citoyens.

Quoique ces différentes conduites de Dieu dans l'ancienne et dans la nouvelle alliance soient fondées sur de grandes raisons, qu'il seroit trop long de rapporter, nous en pouvons dire ce mot en passant: (1) Ps. XLIV. 15. — (2) Genes. xxvII. 39.

que dans le vieux Testament Dieu se plaisant à se faire voir avec un appareil majestueux, il étoit convenable que la Synagogue son épouse eût des marques de grandeur extérieure et au contraire que dans le nouveau, dans lequel Dieu a caché toute sa puissance sous une forme servile, l'Eglise, son corps mystique, devoit être une image de sa bassesse, et porter sur elle la marque de son anéantissement volontaire. Et n'est-ce pas pour cela, mes Frères, que ce même Dieu humilié, « voulant, dit-il, rem>> plir sa maison », ut impleatur domus mea (1), ordonne à ses serviteurs de lui aller chercher tous les misérables? Voyez comme il en fait lui-même le dénombrement : « Allez-vous-en, dit-il, dans les >> coins des rues, Exi citò, et amenez-moi promp»tement, qui? les pauvres et les infirmes qui en>> core? les aveugles et les impotens » : Pauperes ac debiles, cæcos et claudos introduc huc (2). C'est de quoi il prétend remplir sa maison: il n'y veut rien voir qui ne soit foible, parce qu'il n'y veut rien voir qui n'y porte son caractère, c'est-à-dire la croix et I'mfirmité. Donc l'Eglise de Jésus-Christ est véritablement la ville des pauvres. Les riches, je ne crains point de le dire, en cette qualité de riches, car il faut parler correctement, étant de la suite du monde, étant, pour ainsi dire, marqués à son coin, n'y sont soufferts que par tolérance; et c'est aux pauvres et aux indigens, qui portent la marque du Fils de Dieu, qu'il appartient proprement d'y être reçus. C'est pourquoi le divin Psalmiste les appelle « les pau››› vres de Dieu » : Pauperes tuos (3). Pourquoi les (1) Luc. XIV. 23. - (2) Ibid. 21. - (3) Ps. LXXI. 2.

pauvres de Dieu ? il les nomme ainsi en esprit, parce que dans la nouvelle alliance il lui a plu de les adopter avec une prérogative particulière.

En effet, n'est-ce pas à eux qu'a été envoyé le Sauveur ? « Dieu m'a envoyé, nous dit-il, pour an>> noncer l'Evangile aux pauvres » : Evangelizare pauperibus misit me (1). Ensuite n'est-ce pas aux pauvres qu'il adresse la parole, lorsque faisant son premier sermon sur cette montagne mystérieuse, où ne daignant parler aux riches sinon pour foudroyer leur orgueil, il porte la parole aux pauvres comme à ceux qu'il devoit évangéliser? « O pauvres, que » vous êtes heureux, parce qu'à vous appartient le » royaume de Dieu (2) »! Si donc c'est à eux qu'appartient le ciel, qui est le royaume de Dieu dans l'éternité, c'est à eux aussi qu'appartient l'Eglise, qui est le royaume de Dieu dans le temps. Aussi comme c'est à eux qu'elle appartenoit, ce sont eux qui y sont entrés les premiers. « Voyez, disoit le >> divin apôtre, qu'il n'y a pas dans l'Eglise plusieurs »sages selon le monde, il n'y a pas plusieurs puis» sans, il n'y a pas plusieurs nobles; mais Dieu a >> voulu choisir ce qu'il y avoit de plus méprisa» ble (3) » : d'où il est aisé de conclure que l'Eglise de Jésus-Christ étoit une assemblée de pauvres. Et dans sa première fondation, si les riches y étoient reçus, dès l'entrée ils se dépouilloient de leurs biens et les jetoient aux pieds des apôtres, afin de venir à l'Eglise, qui étoit la ville des pauvres, avec le caractère de la pauvreté : tant le Saint-Esprit avoit résolu d'établir dans l'origine du christianisme la

(1) Luc. IV. 18. ·(2) Ibid. v1. 20.- (3) I. Cor. 1. 26, 28.

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