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notre vie ne devroit être exempt de l'exercice de la pénitence. Mais puisque la sainte Eglise a choisi particulièrement ce temps pour nous recueillir en nousmêmes, faisons pénitence sans murmurer. Ne nous plaignons pas des incommodités du carême. C'est par la mortification et la patience, et non pas par les voluptés et par les délices que nous désarmerons et le diable et ses satellites. Et que ne dirai-je donc point de ces délicats, à qui la moindre peine fait tomber incontinent le courage, qui par des excuses frivoles méprisent l'observation d'un jeûne si universel, ou bien qui vivent de sorte que s'ils jeûnent de corps, ils abhorrent le jeûne en esprit?

:

O ignorance! ô brutalité! Dieu par sa miséricorde, mes Frères, nous donne de meilleurs sentimens. Jeûnons et d'esprit et de corps. Comme nous ôtons pour un temps à notre corps sa nourriture ordinaire, ôtons aussi à notre ame les vanités dont nous la repaissons tous les jours: retirons-nous un peu des conversations et des divertissemens mondains modérons et nos ris et nos jeux. C'est là le vrai jeûne de l'ame, qui lui fait trouver une nourriture solide dans la méditation des choses célestes. Sanctifions le jeûne par l'oraison, purifions l'oraison par le jeûne. L'oraison est plus pure qui vient d'un corps exténué et d'une ame dégoûtée des plaisirs sensibles. Ainsi nous serons terribles aux diables. Voyez les petits enfans; quand il leur paroît quelque chose qui leur semble hideux et terrible, aussitôt ils se cachent au sein de leur mère. Ainsi considérons, chrétiens, cette bête farouche qui nous BOSSUET. XII.

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menace; jetons-nous par l'oraison entre les bras de notre bon Père: nous serons à couvert et en assurance; nous verrons notre ancien ennemi consumer sa rage par de vains efforts; et soulevés sur ces deux ailes du jeûne et de l'oraison, que nous soutiendrons par l'aumône, au lieu de succomber aux attaques des esprits rebelles et dévoyés, nous irons remplir les places qu'ils ont laissées vacantes au ciel par leur infâme désertion. Dieu nous en fasse la grâce. Amen.

E

II. SERMON

POUR

LE I.ER DIMANCHE DE CARÊME.

SUR LES DÉMONS.

Quelle est leur puissance et leur force, leur malice et leurs ruses: moyens qu'ils emploient pour nous séduire. Avec quelle facilité nous pouvons les vaincre (*),

Ductas est Jesus à Spiritu in desertum, ut tentaretur à diabolo.

Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert, pour étre tenté du diable. Matt. IV. I.

ON vit dans le ciel un grand changement, lorsque les anges, maintenant ennemis, autrefois enfans et domestiques, ayant quitté le bien commun de toutes les natures intelligentes pour s'arrêter à eux-mêmes et à leur propre excellence, perdirent tout à coup

(*) Ce sermon est au fond le même que le précédent. D. Déforis a tenté, mais sans succès, de les fondre ensemble. Quoiqu'ils se ressemblent beaucoup, chacun néanmoins a son caractère propre, des tours souvent très-différens; l'un développe ce qui n'est qu'ébauché dans l'autre ; et d'ailleurs celui-ci contient des morceaux considérables qui ne se trouvent point dans le premier. Nous les donnons donc tous deux tels que Bossuet les a composés. ( Edition de Versailles.)

la justice dans laquelle Dieu les avoit créés; et n'ayant plus que du faste au lieu de leur grandeur naturelle, des finesses malicieuses au lieu d'une sagesse céleste, l'esprit de division au lieu d'une charité très-ardente, ils devinrent superbes, trompeurs et jaloux, et réduits justement par leur péché à une telle extrémité de misère, que nonobstant l'excellence de leur nature, de pauvres mortels comme nous ne laissent pas de leur faire envie. Changement vraiment épouvantable, lequel si nous méditons sérieusement, il en réussira cette utilité, que ces esprits malfaisans, malgré la haine qu'ils ont contre nous, profiteront néanmoins à notre salut, en nous apprenant à craindre Dieu par l'exemple de leur ruine, et à veiller sur nous-mêmes par l'appréhension de leurs ruses. C'est le fruit que je me propose de ce discours, qui étant de telle importance, je ne puis douter du secours d'en-haut dans une entreprise si salutaire. Oui, mes Frères, le SaintEsprit descendra sur nous, Marie nous assistera par ses prières; et s'agissant de combattre les démons, un ange nous prêtera volontiers ses paroles pour implorer son secours. Ave.

C'EST le dessein du Fils de Dieu de tenir ses fidèles toujours en action, toujours occupés, et vigilans, et animés, jamais relâchés ni oisifs: et parce que comme de tous les emplois celui de la guerre est le plus actif et qui tient l'esprit le plus occupé, de là vient qu'il nous enseigne, dans son Ecriture, que «< notre vie est une milice (1) », et que comme (1) Job. VII. I.

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nous sommes toujours dans le combat, aussi ne devons-nous jamais cesser d'être sur nos gardes; Sobrii estote et vigilate (1): « Soyez sobres, et veillez ». L'évangile de ce jour nous fait bien connoître cette vérité. Nous y voyons Jésus conduit au désert, pour y être tenté du diable; c'est-à-dire notre capitaine qui descend au champ de bataille, pour venir aux mains avec nos ennemis invisibles : Ductus est Jesus à Spiritu in desertum, ut tentaretur à diabolo.

Ne croyez pas, mes Frères, que nous devions être spectateurs oisifs de ce combat admirable nous sommes engagés bien avant dans cette querelle ; et le Fils de Dieu ne permet aux démons d'entreprendre aujourd'hui sur sa personne, qu'afin de nous faire entendre par son exemple ce qu'ils machinent tous les jours contre nous-mêmes. Que s'il est ainsi, chrétiens, que nous soyons obligés à combattre, faisons ce que l'on fait dans la guerre ; et avant que d'entrer dans la mêlée, avançons-nous avec le Sauveur pour reconnoître ces ennemis qui marchent contre nous si résolument. Si nous sommes soigneux de les observer, dans l'évangile de cette journée, nous remarquerons aisément leur puissance, qui les rend superbes et audacieux. Ils entreprennent, Messieurs, contre le Fils de Dieu même; ils tentent de le mettre à leurs pieds: peut-on voir une audace plus emportée? Ils l'enlèvent en un moment du désert sur le pinacle du temple, JésusChrist le permettant de la sorte pour l'instruction de ses fidèles est-ce pas une force terrible? S'ils (1) I, Petr. v. 8.

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