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modo Christus est qui in omnium pauperum universitate mendicet (1). Ce sont donc les besoins pressans de ses pauvres membres qui l'obligent de se relâcher en faveur des riches.

Il ne voudroit voir dans son Eglise que ceux qui portent sa marque, que des pauvres, que des indigens, que des affligés, que des misérables. Mais s'il n'y a que des malheureux, qui soulagera les malheureux? que deviendront les pauvres dans lesquels il souffre, et dont il ressent tous les besoins? Il pourroit leur envoyer ses saints anges; mais il est plus juste qu'ils soient assistés par des hommes qui sont leurs semblables. Venez donc, ô riches, dans son Eglise; la porte enfin vous en est ouverte : mais elle vous est ouverte en faveur des pauvres, et à condition de les servir. C'est pour l'amour de ses enfans qu'il permet l'entrée à ces étrangers. Voyez le miracle de la pauvreté ! oui, les riches étoient étrangers; mais le service des pauvres les naturalise, et leur sert à expier la contagion qu'ils contractent parmi leurs richesses. Par conséquent, ô riches du siècle, prenez tant qu'il vous plaira des titres superbes; vous les pouvez porter dans le monde : dans l'Eglise de Jésus-Christ, vous êtes seulement serviteurs des pauvres. Ne vous offensez pas de ce titre : le patriarche Abraham l'a tenu à gloire; lui qui avoit tant de serviteurs, et une si nombreuse famille, prenoit néanmoins pour son partage le soin et l'obligation de servir les nécessiteux. Aussitôt qu'ils approchent de sa maison, lui-même s'avance pour les recevoir; lui-même va choisir dans son troupeau ce (1) Salvian. adv. Avar, lib. xv, n. 4, pag. 304.

qu'il y a de plus délicat et de plus tendre; lui-même se donne la peine de servir leur table (1). Ainsi, dit l'éloquent Pierre Chrysologue, « Abraham sentant » arriver les pauvres, ne se souvient plus qu'il est » maître », et il fait toutes les fonctions d'un serviteur : Abraham, viso peregrino, dominum se esse nescivit (2). Mais d'où lui vient cet empressement à servir les pauvres ? C'est que ce père des croyans voyoit déjà en esprit le rang qu'ils devoient tenir dans l'Eglise il considère déjà Jésus-Christ en eux: il oublie sa dignité dans la vue de celle des pauvres; et il montre aux riches par son exemple l'obligation qu'ils ont de les servir.

Mais quel service leur devons-nous rendre? en quoi sommes-nous tenus de les assister? Vous le voyez déjà, chrétiens, dans l'exemple du patriarche Abraham. Mais l'admirable saint Augustin vous va donner encore sur ce sujet-là une instruction plus particulière. « Le service que vous devez aux nécessi» teux, c'est de porter avec eux une partie du far» deau qui les accable (3) ». L'apôtre saint Paul ordonne aux fidèles de « porter les fardeaux les uns » des autres » : Alter alterius onera portate (4). Les pauvres ont leur fardeau, et les riches aussi ont le leur. Les pauvres ont leur fardeau; qui ne le sait pas? Quand nous les voyons suer et gémir, pouvons¬ nous ne pas reconnoître que tant de misères pressantes sont un fardeau très-pesant, dont leurs épaules sont accablées? Mais encore que les riches marchent à leur aise, et semblent n'avoir rien qui leur pèse,

(1) Genes. XVIII. 2. — - (2) Serm. cxx1. de divit. et Lazar.-(3) Serm. CLXIV, n. 9, tom. v, col. 794.— (4) Gal. v1. 2.

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sachez qu'ils ont aussi leur fardeau. Et quel est ce fardeau des riches? chrétiens, le pourrez-vous croire? ce sont leurs propres richesses. Quel est le fardeau des pauvres? c'est le besoin : quel est le fardeau des riches? c'est l'abondance. « Le fardeau des pauvres, » dit saint Augustin, c'est de n'avoir pas ce qu'il >> faut; et le fardeau des riches, c'est d'avoir plus qu'il ne faut » : Onus paupertatis non habere, divitiarum onus plus quàm opus est habere (1). Quoi donc? est-ce un fardeau incommode que d'avoir trop de biens? Ah! que j'entends de mondains qui désirent un tel fardeau dans le secret de leuis cœurs! Mais qu'ils arrêtent ces désirs inconsidérés. Si les injustes préjugés du siècle les empêchent de concevoir en ce monde combien l'abondance pèse, quand ils viendront en ce pays, où il nuira d'être trop riches, quand ils comparoîtront à ce tribunal, où il faudra rendre compte non-seulement des talens dispensés, mais encore des talens enfouis, et répondre à ce juge inexorable non-seulement de la dépense, mais encore de l'épargne et du ménage; alors, Messieurs, ils reconnoîtront qué les richesses sont un grand poids, et ils se repentiront vainement de ne s'en être pas déchargés.

Mais n'attendons pas cette heure fatale, et pendant que le temps le permet, pratiquons ce conseil de saint Paul: Alter alterius onera portate : « Por» tez vos fardeaux les uns les autres ». Riche, portez le fardeau du pauvre, soulagez sa nécessité, aidezle à soutenir les afflictions sous le poids desquelles il gémit: mais sachez qu'en le déchargeant vous tra(1) Ubi suprà.

vaillez à votre décharge: lorsque vous lui donnez, vous diminuez son fardeau, et il diminue le vôtre : vous portez le besoin qui le presse; il porte l'abondance qui vous surcharge. Communiquez entre vous mutuellement vos fardeaux, « afin que les charges » deviennent égales » : ut fiat æqualitas, dit saint Paul (1). Car quelle injustice, mes Frères, que les pauvres portent tout le fardeau, et que tout le poids des misères aille fondre sur leurs épaules! S'ils s'en plaignent, et s'ils en murmurent contre la Providence divine, Seigneur, permettez-moi de le dire, c'est avec quelque couleur de justice: car étant tous pétris d'une même masse, et ne pouvant pas y avoir grande différence entre de la boue et de la boue, pourquoi verrons-nous d'un côté la joie, la faveur, l'affluence; et de l'autre la tristesse, et le désespoir, et l'extrême nécessité; et encore le mépris et la servitude? pourquoi cet homme si fortuné vivroit-il dans une telle abondance, et pourroit-il contenter jusqu'aux désirs les plus inutiles d'une curiosité étudiée; pendant que ce misérable, homme toutefois aussi bien que lui, ne pourra soutenir sa pauvre famille, ni soulager la faim qui le presse? Dans cette étrange inégalité, pourroit-on justifier la Providence de mal ménager les trésors que Dieu met entre des égaux, si par un autre moyen elle n'avoit pourvu au besoin des pauvres, et remis quelque égalité entre les hommes? C'est pour cela, chrétiens, qu'il a établi son Eglise, où il reçoit les riches, mais à condition de servir les pauvres; où il ordonne que l'abondance supplée au défaut, et donne des assigna(1) II. Cor. VIII. 14.

tions

tions aux nécessiteux sur le superflu des opulens. Entrez, mes Frères, dans cette pensée : si vous ne portez le fardeau des pauvres, le vôtre vous accablera; le poids de vos richesses mal dispensées vous fera tomber dans l'abîme: au lieu que si vous partagez avec les pauvres le poids de leur pauvreté, 'en prenant part à leur misère, vous mériterez tout ensemble de participer à leurs priviléges.

TROISIÈME POINT.

SANS cette participation des priviléges des pauvres, il n'y a aucun salut pour les riches; et il me sera aisé de vous en convaincre, en insistant toujours aux mêmes principes. Car s'il est vrai, comme je l'ai dit, que l'Eglise est la ville des pauvres, s'ils y tiennent les premiers rangs, si c'est pour eux principalement que cette cité bienheureuse a été bâtie, il est bien aisé de conclure que les priviléges leur appartiennent. Dans tous les royaumes, dans tous les empires, il y a des privilégiés, c'est-à-dire des personnes éminentes qui ont des droits extraordinaires : et la source de ces priviléges, c'est qu'ils touchent de plus près, ou par leur naissance ou par leurs emplois, à la personne du prince. Cela est de la majesté, de l'état et de la grandeur du souverain, que l'éclat qui rejaillit de sa couronne se répande en quelque sorte sur ceux qui l'approchent. Puisque nous apprenons par les saintes Lettres que l'Eglise est un royaume si bien ordonné, ne doutez pas, mes Frères, qu'elle n'ait aussi ses privilégiés. Et d'où se prendront ces priviléges, sinon de la société avec son prince, c'est-à-dire avec Jésus-Christ? Que BOSSUET. XII.

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