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LES MACHINES A ÉCRIRE

Parmi nos lecteurs il en est sûrement qui entretiennent une correspondance plus ou moins suivie avec les EtatsUnis. Ils auront sans doute été plus d'une fois surpris de l'aspect tout particulier qu'ont beaucoup des lettres venant d'outre-mer. C'est qu'elles ne sont point écrites à l'aide de plumes et d'encre, ainsi que cela s'est pratiqué dès la plus haute antiquité et se pratique encore de nos jours en Europe: elles rappellent, parfois à s'y méprendre, un livre imprimé, et sont en conséquence beaucoup plus lisibles que les pattes de mouche usuelles. Peut-être ces lecteurs n'ont-ils pu s'empêcher, en lisant ces missives transatlantiques, de regretter qu'on en reçoive si rarement de semblables des pays de l'ancien monde, et que l'invention, en somme américaine, de la machine à écrire, dont elles procèdent, n'ait point pris racine aussi rapidement en deçà de l'Atlantique que les inventions, plus ou moins américaines aussi, du télégraphe Morse, du téléphone et de la lampe à incandes

cence.

Ces regrets, nous les partageons. C'est ce qui nous a engagé à nous occuper des machines à écrire, afin d'en examiner les avantages et de rechercher quelles conditions elles auraient encore à remplir pour passer dans la pratique chez nous comme en Amérique.

Quel est, tout d'abord, le véritable inventeur de la machine à écrire et que faut-il entendre par ce terme, beaucoup moins exact du reste que l'appellation anglaise de type-writer?

La première de ces questions n'est point aisée à résoudre. Généralement, ce n'est pas le premier inventeur qui empoche les bénéfices de son idée. Sa machine, son appareil, son procédé sont encore rudimentaires, et, pour les faire accepter, il faut presque toujours l'intervention d'hommes moins géniaux peut-être, mais plus pratiques. Il faut aussi que l'invention arrive à point, c'est-à-dire pas trop tôt, et qu'elle réponde à un besoin réel. C'est ce que prouvent, pour ne citer que deux exemples entre mille, le téléphone de Reis et le télégraphe électrique de Weber. Entre les mains de leurs inventeurs, ces appareils sont demeurés lettre morte, et il a fallu que d'autres les reprissent pour leur faire faire la conquête du monde.

Tel fut aussi le sort de l'invention d'un Anglais, nommé H. Mill, qui en 1714 prit un brevet pour une machine à écrire. A cette époque reculée on ne correspondait guère, et son invention tomba bientôt dans l'oubli. Tel enfin celui de la « pelote » du Danois MallingHansen. Ce nom lui vient de la forme que Malling avait donnée au support des touches. Destiné avant tout aux aveugles, cet appareil n'eut guère qu'un succès de curiosité.

Survint un Américain, L. Sholes, et les choses prirent

une autre face. Après s'être associé pour l'exploitation industrielle de son idée avec la célèbre usine Remington, il réussit à construire un appareil écriveur remplissant à peu près toutes les conditions désirables et qui, pour cette raison, s'est promptement répandu dans son pays d'origine. Tous les autres type-writers, basés sur le même principe, ne sont que des dérivés plus ou moins perfectionnés de la machine Sholes-Remington.

soit impropre,

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Extérieurement, et en partie aussi intérieurement, ces machines ont une ressemblance frappante avec le piano. L'écrivain, conservons ce terme, bien qu'il presse également des touches, qui rappellent, il est vrai, plutôt celles de l'harmonica. Mais au lieu de produire, de ce fait, des sons plus ou moins harmonieux, il actionne un marteau qui porte à son extrémité l'image en relief d'une lettre ou d'un chiffre. Ce marteau est projeté avec une certaine force, de bas en haut, contre une bande d'étoffe imprégnée d'encre d'imprimerie ou de toute autre matière colorante. Cette bande est elle-même surmontée d'un cylindre en caoutchouc autour duquel s'enroule le papier à écrire. Pressée contre le cylindre par le relief de la lettre, la bande laisse sur le papier l'image qu'il s'agit de reproduire. C'est donc, à peu de chose près, le système dont usent les reporters pour obtenir à la fois plusieurs exemplaires de leurs articles; seulement, le crayon est remplacé par un marteau et l'écriture courante par la lettre moulée.

A côté de la machine Sholes-Remington, la plus ancienne et la plus répandue, nous trouvons l'appareil typographique de Hammond et le Caligraph de l'American writing Machine Company. Tous deux reposent

au fond sur la même idée et ne diffèrent de leur modèle que par les détails. Ils ont donc aussi un clavier, disposition qui présente un avantage capital. On peut en effet utiliser les deux mains pour écrire, de sorte que la droite n'est pas exclusivement mise à contribution, comme cela a lieu dans l'écriture courante.

Les autres machines à écrire venues d'Amérique sont basées sur des principes mécaniques un peu différents. Nous nous garderons bien de fatiguer nos lecteurs en les leur décrivant, d'autant que, pour nous faire comprendre, il faudrait des dessins. Arrêtons-nous plutôt à ce qui peut les intéresser, c'est-à-dire à l'apparence extérieure de ces machines, à la façon dont on les met en œuvre. Voici tout d'abord le type-writer de Hall, qui est assez répandu, en suite de son bon marché relatif, mais qui est loin d'atteindre à la perfection des machines à clavier. Il se présente sous la forme d'une plaque métallique d'environ vingt centimètres de large et quinze centimètres de hauteur, percée de 72 orifices au fond desquels on aperçoit les lettres des deux alphabets, les chiffres et les signes de ponctuation. Au-dessous de cette plaque est adaptée, à une articulation mobile, une pointe qu'on enfonce dans celui des orifices qui laisse voir la lettre voulue. Ce mouvement correspond à l'abaissement des touches dans les machines à clavier, et il a le même effet. Le Boston type-writer, de son côté, rappelle les anciens télégraphes à cadran. Les signes sont disposés sur un disque semi-circulaire, au-dessus duquel on promène un levier mobile. En abaissant vivement ce levier sur la lettre qu'on veut imprimer, on arrive au résultat voulu. C'est dire que cet appareil a les plus grands rapports avec la machine Hall.

Avec ni l'un ni l'autre, cependant, on n'atteindra jamais la même vitesse qu'avec les machines à clavier, et, pour les mettre en œuvre, on ne peut user que d'une main. En revanche, ils sont très légers et prennent peu de place. Rien n'est plus facile par exemple, que de les emporter en voyage. Ils permettent d'écrire en wagon, en dépit des trépidations causées par les inégalités de la voie, et même, avec quelque exercice, on peut s'en servir de nuit. Les machines à clavier présentent, il est vrai, le même avantage, mais elles sont passablement lourdes, et l'on ne pourrait guère les installer sur ses genoux.

Il est enfin une troisième espèce de machines à écrire que nous devons à un Allemand, M. Brackelsberg. La Westphalia, tel est son nom, est beaucoup plus lourde encore, et ne s'adapte qu'à des usages particuliers sur lesquels nous reviendrons. Quand on veut écrire, on saisit une barre de fer mobile qu'on enfonce dans les crans d'une autre barre de fer horizontale. Chacun de ces crans correspond à l'un des signes de l'alphabet.

Nos lecteurs n'ignorent pas que certaines lettres reviennent beaucoup plus souvent que d'autres. En conséquence, dans les machines à écrire, les lettres ne sont pas rangées par ordre alphabétique, mais à peu près dans l'ordre qui a prévalu pour les casses des compositeurs d'imprimerie. Les signes les plus fréquents sont à portée de la main ou des mains, c'est-à-dire vers le milieu du clavier. Pour l'arrangement des lettres, les fabricants tiennent du reste compte des pays auxquels leurs machines sont destinées, et ils modifient l'ordonnance des claviers suivant les langues. Les Anglais, par exemple, n'ont que faire des lettres accentuées de la

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