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décision prise, puisqu'on a différé jusqu'à présent de lui envoyer la réponse.

» Voilà les femmes, mon cher.

» Si jamais on me reprend à me mêler de marier mes amis, je consens à ce qu'on me mène tout droit à Cha

renton.

» Crois que je suis au désespoir, etc. »

A peine eut-il lu, il courut, cette lettre à la main, auprès de Gabrielle, qu'il trouva tout en larmes dans sa chambre.

Libre cria-t-il d'une voix rauque, libre! Incapable de proférer une parole de plus, il lui tendit le papier libérateur.

Elle le prit d'une main avide et le parcourut rapidement. Le rouge de la colère lui monta au visage; ses yeux, instantanément devenus secs, lancèrent un éclair. Et vous, dit-elle à Lucien qui la considérait avec un étonnement mêlé de quelque inquiétude, pensez-vous aussi que les femmes sont toutes comme cela?

Elle voulait écrire à son amie tout de suite, pour lui dire son opinion sur cette façon d'agir; il eut beaucoup de peine à lui faire entendre raison, si même il y parvint, ce qui paraît douteux.

Quoi qu'il en soit, la lettre ne fut pas écrite, non plus que celle qui devait contremander la cabine retenue à bord du Saïd pour le 27.

PAUL GERVAIS.

LA CUISINE

TELLE QU'ELLE DEVRAIT ÊTRE

Entre la cuisine à la mode1 et la cuisine telle qu'elle devrait être, il y a plus de distance encore qu'entre la cuisine chez nos pères 2 et notre cuisine moderne. L'idée si rationnelle de simplification des apprêts culinaires et d'harmonie entre les éléments rassemblés dans la composition des mets, idée qui était apparue, il y a plus d'un siècle, à l'esprit lucide et sensé de Samuel Johnson, doit nécessairement faire place un jour à celle, plus complète, d'alimentation scientifique. Les notions générales de chimie et de physiologie qui, du laboratoire des savants, sont tombées dans le domaine public, doivent se résoudre en notions pratiques d'hygiène. Tant de travaux, tant de connaissances acquises ne peuvent demeurer stériles précisément dans le domaine où leur application intéresse le plus visiblement l'individu, la famille et la société. On ne peut continuer à se nourrir empiriquement, quand on a, en toute autre matière,

1 Voir la livraison de mai 1889.

2 Voir la livraison de mars 1887.

rejeté l'empirisme, et lorsqu'on repousse, comme su rannées ou comme insuffisantes, les prescriptions que presque tous les cultes ont jointes à la discipline religieuse dans l'intérêt de l'hygiène publique, ne leur rien substituer du tout.

C'est pourtant là que nous en sommes. On n'observe plus guère « Quatre-Temps ou Vigiles; » mais on n'observe pas davantage les préceptes de la prudence humaine. Si les pauvres sont quelquefois médiocrement nourris, on peut dire que les riches le sont beaucoup plus mal encore. Et la preuve, c'est qu'il est une foule de maladies, la plupart héréditaires, que les premiers connaissent peu et qui déciment les derniers.

Et, cependant, comme le dit judicieusement sir Henry Thompson, dans un sage petit livre qui en est déjà à sa troisième édition et auquel nous emprunterons, au cours de cette rapide étude, plus d'un renseignement utile 1, << le rapport entre l'état du corps et l'état d'esprit, entre la manière dont la digestion se fait et celle dont le caractère se développe, est un rapport indéniable. » On ne conteste pas que l'humeur d'un homme, par conséquent que ses actions, presque sa vertu, ne dépendent d'une façon étroite de sa santé, autrement dit de l'équilibre de toutes ses facultés physiques. On ne conteste pas davantage, en théorie, que le genre d'alimentation n'ait sur cette santé une influence considérable; mais on agit comme si ces vérités étaient méconnues; et, dans tous les cas, il est peu de personnes, même parmi les gens instruits, qui sauraient en tirer des applications pratiques. En matière d'hygiène, on n'a généralement que des idées vagues; si l'on se renseigne à ce sujet auprès

1 Food and Feeding, by sir Henry Thompson, F. R. C. S. Londres, Frederick Warne et Co, 1885.

1 vol. in-12.

d'un médecin, c'est toujours quand on est déjà malade, jamais quand on est ou se croit bien portant; et, outre qu'à ce moment il est souvent trop tard, l'hygiène, en pareil cas, cesse ordinairement d'être de l'hygiène pour devenir de la thérapeutique. Sir Henry Thompson s'étonne que la sagesse antique n'ait point, par un enseignement large et généreux, par des institutions scolaires spéciales, répandu parmi les hommes les connaissances propres à les diriger dans le choix de leurs aliments. Il nous semble, au contraire, que, par les préceptes religieux dont nous parlions tout à l'heure, elle y a pourvu dans toute la mesure où il était autrefois possible de le faire. Il ne faut pas oublier que, par le progrès de l'agriculture, de la science, de l'industrie et de la navigation, les ressources alimentaires dont nous disposons aujourd'hui sont, sinon plus abondantes (ce qui, relativement, n'est pas), du moins plus variées et plus nombreuses qu'autrefois; que l'on a éliminé de la liste des comestibles beaucoup de végétaux, de viandes et de poissons grossiers, que nos pères étaient souvent obligés de manger; que, faute de moyens de circulation pour les denrées de première nécessité, tous les pays étaient jadis exposés à des disettes périodiques; et que, de même que les sauvages, nos ancêtres mangeaient malgré eux trop aujourd'hui, trop peu demain. Il eût donc été difficile, presque dérisoire, d'enseigner l'hygiène à des gens qui, par la misère des temps, se trouvaient souvent dans l'impossibilité matérielle d'en observer les règles. Tout au plus pouvait-on leur donner les prescriptions générales du Ramadan et du carême. Les choses sont aujourd'hui changées. Nous mangeons moins que nos pères, mais nous mangeons mieux. Nous possédons, jusque dans les classes pauvres, le choix entre un grand nombre

d'aliments divers. Par une dispensation gracieuse de la Providence, ce sont ordinairement les choses les plus saines qui se trouvent, en raison de leur prix, à la portée du plus grand nombre. Sauf dans les cas de misère extrême, cas exceptionnels, il dépend donc maintenant de tout le monde de se nourrir d'une façon saine, et la science est en droit de proposer des règles d'hygiène, puisqu'il est devenu possible de les mettre en pratique.

C'est d'ailleurs aux classes aisées, ou riches, que la connaissance ou l'observation de ces règles est devenue le plus nécessaire. Les pauvres, particulièrement les habitants de la campagne, se nourrissent d'une façon assez rationnelle très peu de viande, généralement bouillie ; beaucoup de végétaux; du vin ou du cidre (en certains pays, de la bière); quelques fruits dans la saison, composent une alimentation qui, prise sous un gros volume, répond à tous les besoins de gens travaillant rudement et en plein air. Le gros volume d'aliments n'est pas chose indifférente ou nuisible, comme on l'a prétendu, et le travail de la digestion, bien qu'il implique en ce cas une dépense de chaleur et de force plus grande, n'est pas un travail perdu. Un bol alimentaire volumineux entretient et régularise les fonctions de l'intestin, régularité d'où dépend tout le jeu de la machine animale. Sans doute, il est plus facile de digérer une once de viande qu'une livre de légumes, et il y a autant de substance nutritive dans l'une que dans l'autre ; mais il ne suffit pas à notre corps de s'assimiler de l'azote, du carbone, etc., il faut encore que l'assimilation se fasse par les voies et moyens que souhaite la nature. L'homme est omnivore; toutefois, s'il lui fallait choisir entre une alimentation purement animale et une autre purement végétale, c'est à cette dernière qu'il devrait donner la préférence.

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