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trouver et avions fait nombre d'essais sans aboutir. Nous désespérions d'arriver à le trouver jamais, lorsqu'un ami nous conseilla de faire une tentative avec M. Breitinger. Dès le début, ce fut un vrai succès. Notre nouveau chroniqueur possédait un avantage peu commun, une culture littéraire très étendue et nullement superficielle. Il connaissait bien et goûtait les chefsd'œuvre de la littérature anglaise; dans ses dernières années, il s'était pris de passion pour la littérature italienne; surtout il avait étudié et compris la littérature française comme peu d'hommes l'ont fait, même en France, et, naturellement, il n'était pas en retard pour la littérature allemande, où il se tenait au courant de tout ce qui se passait d'important. En France, il ne pourrait être question d'avoir un chroniqueur autre part qu'à Paris, en Angleterre qu'à Londres, en Russie qu'à Pétersbourg. Pour l'Allemagne, il en est autrement. La décentralisation littéraire y est complète. Dans toute ville universitaire, on est au courant du mouvement intellectuel de l'ensemble du pays, et dans les petits centres, plus calmes, moins entraînés, peut-être mieux encore que dans les grands. Zurich, quoique en Suisse, n'est pas un des moins bien placés à cet égard. Il est la ville natale et la résidence des deux romanciers les plus appéciés aujourd'hui en Allemagne, Gottfried Keller et Conrad-Ferdinand Meyer. Un assez grand nombre de professeurs de l'université et de l'école polytechnique sont allemands, et beaucoup ont commencé là de grandes réputations, qui leur ont valu l'appel à de brillantes positions dans leur pays. Le milieu était donc particulièrement favorable. M. Breitinger sut en tirer un excellent parti. Il parlait et écrivait le français correctement, et c'est dans notre langue qu'il rédigeait sa chronique ; mais il lui manquait cette forme littéraire, à laquelle si peu d'étrangers savent atteindre lorsqu'ils écrivent en français. Il fallait donc la refondre au point de vue de la forme, mais elle était toujours pleine de ces mots trouvés qui font le style et qui étaient conservés soigneusement. Puis, la chronique était une de ses joies; il s'y était mis de tout son cœur, ce qui est toujours le vrai moyen de faire bien. Il s'en est préoccupé jusqu'à ses derniers moments. Déjà très malade, bien peu de jours seulement avant sa fin, il a voulu dicter sa dernière chronique dont il avait rassemblé les matériaux. On ne se

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serait guère douté qu'elle émanait d'un moribond. Il sentait cependant la mort s'approcher et avait pris toutes ses dispositions. C'est dans cette dernière maladie qu'il a manifesté plus que jamais toutes ses qualités aimables. « C'était une joie de le soigner, nous écrivait sa fidèle compagne, une Vaudoise qui n'est pas restée étrangère à ses travaux. Aussi laissera-t-il un très doux souvenir à ceux qui l'ont connu, et on ne pouvait le connaître sans l'aimer. Rappelons enfin qu'il était le descendant de ce Breitinger qui, avec Bodmer, fut immédiatement avant Goethe un des initiateurs de la rénovation littéraire en Allemagne.

Lausanne, 27 avril 1889.

BULLETIN LITTÉRAIRE

ET BIBLIOGRAPHIQUE

ESSAIS ET FANTAISIES, par Arvède Barine.
Paris, Hachette, 1888.

1 vol. in-12.

S'il suffisait pour faire la critique d'un livre de dire le plaisir qu'il vous a procuré, rien ne serait plus facile que de parler des Essais et fantaisies, publiés sous le pseudonyme aimable d'Arvède Barine. Ce sont, dirais-je, des pages charmantes, instructives, pleines de suc et de saveur. Lisez, et quand vous aurez lu, vous me remercierez de vous les avoir signalées.

Mais je craindrais que cela n'eût trop l'air d'un boniment d'ami. Ami, je ne demanderais pas mieux. Malheureusement pour moi, mes éloges ne sauraient être taxés de complaisance, et je ne connais l'auteur que par quelques articles que j'en ai lus dans des revues.

Le seul reproche que j'adresserai à son livre, c'est que le titre ne correspond pas exactement au contenu. Les neuf articles qui le composent sont des articles de critique, auxquels convient parfaitement la dénomination d'essais, mais non celui de fantaisies. Il n'y a de fantaisie que dans l'esprit de l'auteur, dans l'allure légère de son style et de sa pensée : c'est une de ses plus agréables qualités.

Ce qui fait la matière de ces essais, ce sont des publications parues la plupart en Angleterre et embrassant les sujets les plus divers. Cela commence par une histoire de la danse et finit par les travaux les plus récents sur les fourmis. Vous y trouverez l'analyse d'un roman japonais, et les idées de Napoléon Ier sur le mariage (qui sont fort originales, je vous le jure).

Vous y verrez comme quoi Philippe II fut un père modèle et plia sous la tyrannie d'une vieille bonne, ni plus ni moins qu'un bon bourgeois d'aujourd'hui. Vous assisterez à la vie aventureuse d'Hobart-Pacha et vous apprendrez comment on doit pleurer ses parents en Chine. Après avoir suivi un homme médiocre dans les menus incidents de la vie réelle, vous vous plongerez dans les contes de fées. Et de tout vous aurez la fleur, ou plutôt l'auteur aura accompli pour vous un travail semblable à celui de l'abeille qui, des plantes les plus communes comme des plus rares, sait tirer de précieuses essences. Les livres qu'il a lus ne présentaient sans doute ni tous ni partout le même intérêt. Le docteur allemand qui a écrit un gros volume sur la danse n'était pas folâtre. Il nous présente sa Terpsichore germanique, nous dit-on, dans un langage très savant, mais qui n'a rien d'ailé. » C'est justement ce quelque chose d'ailé qui fait le charme de son interprète. Il nous ap prend beaucoup de choses comme en se jouant. Il a l'air d'effleurer seulement les questions et paraîtra superficiel à ceux qui croient qu'un langage n'est profond qu'autant qu'il est difficile. Tous les goûts sont dans la nature. Je n'estime rien plus pour ma part que la causerie sans prétention d'un esprit aimable et cultivé. H. W.

LADY GIORGIANA FULLERTON, SA VIE ET SES ŒUVRES, par Mme Augustus Craven.-1 vol. in-8°. Paris, Perrin, 1888.

C'est une belle vie que raconte Mme Augustus Craven dans son nouveau volume, une longue existence consacrée tout entière au bien et aux hautes pensées, avec des heures de lutte, des jours de souffrance intérieure qui donnent par moments au simple récit un intérêt presque poignant. Lady Giorgiana Fullerton, on le sait, se décida, après bien des tourments de conscience, à embrasser le catholicisme. Mme Craven, elle-même catholique fervente, a trouvé des accents qui vont jusqu'au pathétique pour décrire cette crise; et cette crise ne fut pas seulement une lutte de sentiments telle qu'on peut la supposer, elle fut compliquée encore par les attaches de famille de lady Giorgiana et par les supplications d'une mère passionnément attachée à l'église anglicane. Sa mère et sa sœur ne se rési

gnaient pas si facilement à ce qui leur apparaissait sous l'aspect d'une séparation cruelle, et quant à son père, dont la santé était alors très altérée, on n'aurait pu aborder avec lui ce sujet sans lui faire éprouver une douleur qui n'eût pas été pour lui sans péril. C'était là surtout l'obstacle redoutable qui s'élevait devant elle, et qu'elle retardait l'heure d'affronter... » Il y a toujours une haute leçon dans l'histoire de ces combats de conscience, quelle qu'en soit l'issue.

Lady Fullerton fut à la fois philanthrope et écrivain: on connaît le rôle de dévouement et de charité qu'elle joua pendant et après la guerre envers les Français souvent dénués de toutes ressources qui s'étaient réfugiés à Londres, elle et quelques autres femmes généreuses, parmi lesquelles, au premier rang, lady Lothian. Ses livres, dont on ne parle plus guère, eurent pourtant leur heure de célébrité: Ellen Middleton, qu'elle publia à vingt-cinq ans, fut un grand succès. La comtesse de Bonneval, histoire de la femme délaissée du fameux pacha de Bonneval, — et un gracieux conte villageois, intitulé Rose Leblanc, furent même écrits en français, et en excellent français, et remarqués. En sorte que le livre de Mme Craven présente par son sujet même un très vif intérêt. La conviction, l'élan, la sincérité de l'auteur rehaussent encore cet intérêt. Mme Craven professait une véritable admiration pour lady Fullerton. Cette admiration perce à chaque page, et donne au volume un caractère vivant et entraînant que n'ont pas toujours les romans, pourtant si lus, de l'auteur. Çà et là, quelques passages empruntés à un journal intime demeuré inédit achèvent de nous attacher à cette belle âme. Ce sont des pensées dont le tour est un peu mystique, qui touchent parfois à l'exaltation, mais qui le plus souvent sont simplement hautes et nobles. Mme Craven, exprime, dans son avant-propos, quelque crainte de ne pouvoir, étant française, rendre justice à un écrivain étranger. Sa profonde connaissance de son sujet lui a permis d'éviter l'obstacle dont elle s'était elle-même rendu compte. En revanche, elle n'a pas toujours été si heureuse en parlant d'écrivains qui ont approché ou influencé lady Giorgiana Fullerton : les lettrés auront peine à lui pardonner, par exemple, d'avoir fait de Shelley, un imitateur de Byron.

ED. R.

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