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c'est quelquefois la vraie manière de témoigner sa bienveillance aux gens, quand bien même ceux-ci ne l'apprécient guère. Un gentleman qui croyait avoir trouvé la solution de la question monétaire demanda un jour à Wellington de lui accorder une entrevue. Le duc lui fit répondre qu'il n'avait nulle envie de s'occuper de cette question, et qu'il le priait de l'en dispenser. Un autre politicien accueillit avec plus de faveur la demande du postulant et lui fixa un grand nombre de rendez-vous, mais les manqua tous sous prétexte d'affaires imprévues. Le pauvre homme avait perdu, en attendant, beaucoup de temps et d'argent, mais il paraît qu'il préféra les promesses polies et peu sincères au refus loyal du duc.

Ce devait être un spectacle charmant que de voir le vieux guerrier prendre part aux ébats de la jeunesse ou se donner la peine d'écrire chaque matin un billet à quelques-uns des petits visiteurs de son château, qui avaient exprimé un jour leur envie en voyant les piles de lettres qu'il recevait. Sa bonté s'étendait jusqu'à ses ennemis. Pendant la guerre d'Espagne, des courriers français étaient souvent arrêtés. Leurs lettres traitaient la plupart de choses importantes, mais elles contenaient souvent des détails sur la santé, un peu délicate, des filles du roi Joseph Bonaparte. Lorsque c'était le cas, le duc gardait les lettres, qu'il ne pouvait renvoyer, mais il ne manquait jamais d'envoyer un parlementaire aux avant-postes français pour y porter des nouvelles des jeunes princesses. Les Espagnols qui se trouvaient dans le camp anglais ne pouvaient comprendre quel était le but de tous ces pourparlers, et ils devinrent même très soupçonneux à cet égard. Bien des années plus tard, le roi déchu fit dire à Wellington qu'il n'oublierait jamais la bonté dont il avait fait preuve dans cette circonstance. On se souvient que Napoléon ne regardait pas le duc avec la même faveur, et qu'il fit même un legs, dans son testament, à l'individu qui avait essayé de l'assassiner à Paris.

Wellington n'était célèbre ni comme homme d'esprit ni comme orateur, mais il avait à l'occasion des mots frappants, moins brillants peut-être que ceux de Talleyrand, mais qui n'en contenaient pas moins des vérités excellentes, dignes en tout point d'être écoutées. Lors d'une insurrection, dont les chefs avaient déjà été grâciés précédemment, il disait : « On peut

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parler de punitions cruelles, mais il n'y a rien d'aussi inhumain que l'impunité. Et à propos de l'éducation qui n'est pas basée sur la religion : « Vous ne faites qu'autant d'habiles diables. Sur les attaques dans les journaux : Toutes les fois qu'il y a dans un journal un paragraphe dirigé contre une personne quelconque, celle-ci est aussitôt persuadée que le public ne lit rien d'autre. Quelqu'un lui faisait remarquer un jour combien il est difficile pour un parti politique d'acheter l'appui des journaux : « Oui, repartit le duc, et si vous pouviez acheter les journaux, il vous faudrait encore acheter leurs lecteurs. ›

Passons dans un autre domaine, et voyons quelle était l'opinion du duc sur ses campagnes, sur ses armées, sur Napoléon et les autres généraux ou hommes d'état avec lesquels il fut en contact. De son armée à Waterloo il disait: En somme, ce jour-là, notre armée était infâmement mauvaise, et l'ennemi le savait. Et pourtant elle l'a battu!» Il faut ajouter que la conversation avait commencé à propos des troupes de Nassau, qui s'étaient enfuies au premier coup de fusil, et qui avaient même, en fuyant, tiré sur les troupes anglaises. C'étaient ces. mêmes troupes de Nassau qui s'étaient bien battues pour les Français en Espagne, mais avaient plus tard, nominalement au moins, changé de drapeau. Plus loin, cependant, il appelle ces mêmes troupes anglaises la simple écume de la terre, des gaillards qui ne s'enrôlent que pour boire,» tandis que le système de la conscription lui semblait faire des armées françaises une image assez exacte de toutes les classes de la population. Les Espagnols, ajoutait-il, sont de beaux gars, mais sans valeur, parce qu'ils n'ont aucune confiance dans leurs officiers, et que ceux-ci n'ont eux-mêmes ni connaissances ni discipline.

Se comparant lui-même avec Napoléon, Wellington disait : Tout son art était de livrer de grandes batailles; le mien, au contraire, était de les éviter. Il estimait que Napoléon avait manqué de patience et que si, en 1814, il avait continué son habile système de défense un peu plus longtemps, il aurait sauvé Paris; mais il se jeta imprudemment sur les derrières des alliés, qui purent alors marcher sur la ville. « Je ne puis guère me représenter, disait-il, quelque chose de plus grand

que Napoléon à la tête d'une armée et surtout d'une armée française. Il avait alors un avantage prodigieux; n'ayant aucune responsabilité, il pouvait faire tout ce qui lui plaisait. Aussi, aucun homme n'a jamais perdu plus d'armées que lui. Moi, je ne pouvais me permettre cela. Je savais que, si jamais je perdais cinq cents hommes sans une nécessité évidente, je serais obligé de me mettre à genoux à la barre de la chambre des communes. Je regrette de ne pouvoir vous citer un parallèle assez développé entre Napoléon, Marlborough et lui, qu'il écrivit lui-même à la requête de lord Stanhope. Il est malheureusement trop long. Je ne puis pas davantage empiéter sur l'espace qui m'est accordé pour vous donner des extraits des jugements de Wellington sur Masséna, qu'il considérait comme le plus habile des généraux français après Napoléon, sur Soult, ou sur Marmont, qu'il blanchit de l'accusation de trahison. Lorsque, dit-il, tous les généraux français commencèrent à traiter après la prise de Paris, ce ne fut que parce qu'il était le plus rapproché que Marmont capitula le premier. » Quant à Talleyrand, Wellington le tenait pour meilleur mais moins habile que sa réputation, tandis que Talleyrand disait un jour du duc avec des larmes aux yeux : « C'est le seul homme qui ait jamais dit du bien de moi.

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Il est difficile de s'arrêter lorsqu'on commence à puiser dans cette mine d'extraits sur tant de personnages et d'événements intéressants. Il faut pourtant que je m'arrête, mais je veux vous citer en terminant l'opinion de Wellington sur Mme de Staël : C'était une femme extrêmement agréable, dit-il, lorsque vous pouviez la maintenir dans sa sphère et l'empêcher de tomber dans la politique. Mais ce n'était pas facile; elle y revenait toujours. Je lui ai dit plus d'une fois : « Je déteste parler politique, mais elle me répondait : « Par»ler politique, pour moi c'est vivre. Nous étions grands amis et, sur son lit de mort, elle m'envoya chercher, mais je n'étais pas à Paris à ce moment-là.»

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CHRONIQUE RUSSE

Le carnaval et le carême.

théâtre. savantes.

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Nous sortons du carnaval. Il y a deux ou trois jours encore, tout était mouvement, agitation; les rues étaient parcourues dans tous les sens par de joyeux véhicules, les uns silencieux, les russes, les autres glissant à ras de terre avec accompagnement de grelots, les finnois, admis pendant huit jours seulement à se mêler à la fête. Les théâtres aristocratiques jouaient deux fois par jour, les théâtres populaires jouaient sans interruption dans leurs baraques éparses sur le Champ de Mars. Paris a ses Lapons, Pétersbourg a eu aussi les siens, installés sur la glace, sous des tentes rudimentaires où vous et moi gèlerions, et offrant aux enfants des courses sur la Néva dans leurs chariots légers traînés par des rennes. On festinait, on dansait dans les maisons et dans les palais, on mangeait des blini, sortes de crêpes épaisses recouvertes de caviar, de beurre ou de crème. Tout cela a disparu, tout a repris ses allures calmes et silencieuses. L'odeur nauséabonde du carême envahit les rues. C'est l'odeur de l'huile chauffée dont on assaisonne les mets, l'huile de tournesol, de pavot, de chanvre, l'huile de bois même. Celle-ci ne se mange pas, mais les images saintes la préfèrent et c'est la seule qu'on brûle devant elles.

Les théâtres sont fermés, les travaux ont repris partout. En voilà pour sept semaines, car notre grand carême est, non de quarante jours, mais de quarante-huit, parce qu'on défalque les dimanches. Nous n'avions qu'une maison de glace l'année dernière; il y en a deux cette année, et l'une d'elles représente une forteresse avec ses tours et dépendances. L'exposition médicale, où l'on voyait côte à côte des tentes pour les blessés militaires, des appareils de chirurgie et des microbes de tout genre,

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bienfaisants et malfaisants, avec conférences explicatives, est maintenant fermée; nous avons en revanche une exposition de poissons, morts et vivants, mais nous n'avons pas eu l'exposition de fleurs d'hiver qu'on nous avait promise. Ce n'est pas cependant que nous manquions de jardiniers ou de marchands de fleurs. Cette industrie, qui existait à peine à Pétersbourg il y a une dixaine d'années, en est devenue une des plus florissantes, c'est le mot. Il n'est pas de grande rue où vous ne voyiez apparaître au moment où vous y pensez le moins un splendide étalage de fleurs variées qui vous sourient au passage. A l'intérieur des appartements, on voit partout en cette saison des jacinthes, des crocus, des tulipes, des narcisses, des muguets, de superbes amaryllis rouges. Il nous arrive chaque jour de Nice des quantités de fleurs fraîches et parfumées, lilas, roses, violettes, et malgré tout cela, il s'en fait une telle consommation dans les fêtes, que la société d'horticulture n'a pu trouver les éléments d'une de ces expositions de fleurs du premier printemps dont elle avait l'habitude de réjouir nos yeux et notre odorat en cette saison.

Les grandes expositions annuelles de peinture, de sculpture, d'aquarelles, ne s'ouvriront guère que la semaine prochaine. En attendant, on nous montre les panneaux décoratifs de M. Constantin Makovskii, des chefs-d'œuvre de couleur, de grâce et d'incorrection; les aquarelles de MM. Premazzi et Benoît; d'exquis petits tableaux de M. Rizzoni, représentant des cardinaux délibérant, des Italiens s'amusant et des chats s'ébaudissant, le tout d'une finesse merveilleuse et d'un fini à défier la loupe.

L'auteur de deux toiles que la gravure a popularisées par toute l'Europe: la Pécheresse s'avançant une coupe à la main, sûre de charmer Jésus, et laissant tomber sa coupe, charmée tout à coup par lui, et les Torches de Néron, une promenade de l'empereur histrion dans ses jardins illuminés par des corps de chrétiens attachés vivants à des pieux garnis de matières combustibles auxquelles on a mis le feu, M. Siémiradzki, nous a envoyé une grande toile et quatre petites, qui sont exposées en ce moment à l'Académie des arts. Je doute fort que ces nouvelles œuvres fassent le tour du monde comme leurs aînées.

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