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RÉCITS AMÉRICAINS

JEUNE ET VIEUX

Je veux bien vous dire ce que j'en pense, mis's Sparks, fit le diacre notre garçon aura un nom tiré de l'Ecriture. Ce n'est pas pour rien que je suis né et que j'ai été élevé à Hanover, que mon père, et mon grand-père avant lui, ont été diacres avant moi impossible de donner à l'enfant un nom de jographie comme celui de Wallis... Et maintenant, n'en parlons plus.

Mrs Sparks se mit à rire; elle riait toujours; le bruit courait même qu'une fois elle avait ri à l'église, mais c'était une calomnie. Elle était mariée depuis onze ans déjà, et c'était la première fois que le vieux berceau monumental avait été descendu du grenier pour recevoir un bébé. Rien d'étonnant à ce que Mrs Sparks rît en ce moment. Et quel bébé !

Représentez-vous le diacre Ebenhézer Sparks en personne, revêtu d'une longue robe blanche, emmaillotté dans un lange bordé de rouge, et regardé par le petit bout de la lunette, vous aurez son garçon exactement les mêmes cheveux jaunes se dressant sur sa tête, la même peau tachetée de rouge, le nez tout aussi indéfinissable, une bouche à laquelle il ne manquait que quelques crocs jaunes de mauvais augure pour être la reproduction de la bouche paternelle, et de gros yeux étonnés, d'un bleu vague, qui inspiraient une crainte respectueuse aux petits polissons, quand le diacre, chaque dimanche, toujours à

sa place, les regardait fixement du haut de son col de chemise énorme. Mais la ressemblance s'arrêtait là, car cet enfant, comme sa mère, riait toujours il passa successivement du large sourire aux éclats de rire, lentement mais sûrement, jusqu'au jour de son baptême. «Un enfant de six mois! s'écria Mrs Little à la société de couture, et on ne l'a pas encore présenté au baptême! » Ceci était une des lubies de M. Sparks. C'était un brave homme et, quelque part, bien enfoncé derrière ses côtes, il y avait un bon cœur, mais cet organe était embarrassé de tant de besogne, de prudence, de roideur et de préjugés, qu'il battait faiblement, presque imperceptiblement, même pour les anges qui sont supposés veiller sur le cœur de tout homme et particulièrement sur celui des diacres.

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Si M. Sparks avait une horreur en ce monde, c'était pour les bébés, surtout à l'église, et plus particulièrement encore, quand ils criaient et causaient du désarroi pendant le baptême, chose qu'il attribuait à l'intervention directe de Satan ; — et, depuis l'instant où son enfant était né, il avait considéré cette crise inévitable avec une crainte extrême: aussi avait-il décidé que son enfant, avant d'être exposé devant un public d'église, serait d'âge à se montrer sage, d'autant plus que son nom serait un nom biblique, contrairement au désir de Mrs Sparks qui aurait aimé que son fils fût baptisé de son nom de famille à elle. Mais, malgré le ton résolu du diacre, Mrs Sparks, comme de coutume, se contenta de rire.

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Je ne me soucie ni ne m'inquiète comment tu l'appelleras, Betsy, pourvu que ce soit un nom de la Bible, concéda le diacre. Je pense qu'il vaut tout autant ne pas le nommer Caïn, car il est probable que, plus tard, cela ne lui ferait pas plaisir. Mais, à part ça, appelle-le comme tu voudras.

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Eh bien, mon homme, je ne sais pas trop, répondit Betsy Sparks. Je n'ai pas grand faible pour Timothée, Nahum ou Réhuël, et pourtant c'étaient là tous des noms de nos gens. Ouvrons la Bible au petit bonheur, et donnons-lui le premier nom qui se présentera.

Ainsi fut décidé le tirage au sort, et le nom fatal se trouva être Haceldama!

Mrs Sparks et son épouse furent plutôt satisfaits que déconcertés par ce nom qui était, pour ainsi dire un lot nou réclamé,

et dont leur fils serait le premier titulaire; d'ailleurs, il était d'un incomparable avantage pour les surnoms, grâce au nombre des syllabes; puis les diminutifs venaient tout naturellement; enfin ce nom sonnait bien à l'oreille.

Le jour du baptême arriva enfin, un jour brillant et chaud d'actions de grâces, et maître Sparks fut revêtu pour la circonstance d'une toilette somptueuse : une longue robe étonnamment brodée et ajourée de petits trous et de grands trous, de petits pois et de gros pois, de nervures et de vrilles qui s'enroulaient à contre-sens, en l'honneur de la circonstance, le tout entouré de festons fantastiques qui se recroquevillaient à l'infini. Sur tout cela s'étalait un ample manteau jaune, noué de rubans roses, tandis qu'au-dessus de la ruche de dentelles empesée qui encadrait le visage rouge et rayonnant de « ce tendre rejeton» s'élevait une construction en soie bleue dans le style pagode, que chacun était prié de considérer comme une capote d'enfant.

Qui pourrait décrire l'allure raide et majestueuse, et l'expression moutonnière d'Ebenhézer Sparks s'avançant dans l'église, ses pas retentissant sur les dalles, tandis qu'il précédait ce bébé si merveilleusement attifé? Cela ne ressemblait à personne d'autre qu'à lui, et c'était le produit d'un excès de cols amidonnés, de cravate empesée, d'orgueil paternel et de conservatisme extrême, car c'était la passion du diacre Sparks de conserver toutes choses en l'état pristin.

Même en cette occurrence solennelle, son âme était troublée par cette chose absolument nouvelle d'avoir un enfant à baptiser. Ses cheveux se dressaient sur sa tête plus droits que jamais, au-dessus d'une figure plus rouge qu'à l'ordinaire, et le bleu terne de son regard fit trembler et frissonner, dans le coin de son banc, Timothée Little, le fils du pasteur, petit pécheur de neuf ans, qui avait sur la conscience plus d'une pomme volée sur les meilleurs arbres du diacre, la semaine d'auparavant.

Pauvre Timothée! Ce n'était là qu'un effet de sa conscience troublée, car ce dignitaire de l'église ne pensait qu'à son enfant. Vêtu d'un habit de drap bleu à boutons de cuivre, suivi de Mrs Sparks, parée d'une robe que nous n'osons nous aventurer à décrire, le diacre et son fils se placèrent devant M. Little, un

homme doux, sentimental, florissant, avec une grosse tête et une voix faible, appartenant à la confession la plus rigide, à « la vieille école.» Ne me demande pas imprudemment, cher lecteur, ce qu'un homme de la vieille école veut dire ; ne plonge pas la tête la première dans cet océan de mots et de dogmes que ces Yankees à tête dure appellent du nom de théologie; laisse ces noms savants, grecs ou latins, donnés aux arbres et aux arbustes, à ceux qui les ont trouvés et qui les emploient; regarde, et vois quels fruits sont suspendus à leurs branches, lequel offre l'abri le plus sûr à la race boiteuse, faible et pécheresse des hommes, vers lequel les oiseaux du ciel prennent leur vol avec le plus joyeux instinct et leurs chants les plus purs, où les fleurs sont plus parfumées, et les fruits plus exquis; cet arbre, quelque nom qu'il porte, est un de ceux du paradis ; c'est notre devoir d'en remercier Dieu et de faire pousser le nôtre sur son modèle... Cependant, tandis que nous nous attardons ainsi, le diacre Sparks est là, son garçon sur les bras.

La cérémonie commença. Le diacre tenait Haceldama d'une ferme étreinte, mais, la déveine s'en mêlant, le château branlant perché sur la tête de l'enfant tomba sur sa figure, et le diacre Sparks, dans son essai malheureux pour le remettre en place, fourra son gros doigt dans l'œil de son fils.

Pauvre cher Haceldama! Quels hurlements percèrent l'oreille de son père, éveillant les échos de la vieille salle du meeting. Tous les efforts furent inutiles pour calmer les cris de guerre d'un bébé à demi étranglé, et la cérémonie continua au milieu d'un tumulte affreux qui n'avait plus rien d'ecclésiastique, à moins qu'il ne se fût agi d'exorciser le malin esprit.

Le diacre Sparks était furieux. Il serrait l'enfant avec une vigueur telle que ses doigts laissèrent leur marque dans sa chair, et quand M. Litle, d'une voix qu'il forçait d'une manière inquiétante, ce qui le rendait plus rouge encore que jamais, arriva péniblement à la fin du baptême en octroyant le nom étrange d'Haceldama à un respectable enfant yankee, le diacre Sparks, sans attendre la prière, jeta son fils sur son bras et sortit de la salle à pas redoublés, suivi de sa femme qui trottait précipitamment derrière lui. Arrivé sous le porche, il s'assit carrément, étendit le gamin sur ses genoux, lui administra une correction exemplaire, tandis que Mrs Sparks, qui

reprenait souffle, riait doucement, sachant combien l'épaisse cuirasse de toile et de flanelle rendait son fils inaccessible aux claques paternelles.

Dès ce moment il parut qu'un esprit d'indiscipline était entré, avec son nom, dans Haceldama. Au lieu de se tenir tranquille dans le vieux berceau comme un bébé bien appris, il faisait mille efforts pour s'asseoir et culbuter par-dessus bord. Il se comportait comme un méchant petit diable, réservant ses cris les plus perçants pour le moment du culte de famille, et faisant de si laides grimaces à M. Little, qu'il ôtait au pauvre ministre toute velléité de lui faire la moindre caresse.

Quand l'enfant commença à se traîner, de terribles conflits s'élevèrent dans la paisible cuisine de Mrs Sparks : il paraissait avoir une prédilection particulière pour les baquets d'eau bouillante, les fers à repasser brûlants, la bouilloire et les chats. Une fois il s'assit dans une marmite qu'on venait d'enlever du feu, et n'échappa à une fin prématurée que grâce à la poigne solide de la main maternelle et à un triple jupon de flanelle de ménage. Deux fois il se livra à des combats singuliers avec la vieille minette, au sujet de ses petits (qu'il aimait à porter par la queue), et deux fois il en sortit avec d'honorables égratignures sur le visage. Un jour il renversa la baratte et se couvrit, lui et le plancher immaculé, d'une épaisse couche de crême, sans compter qu'il se frappa assez violemment pour saigner longtemps du nez. Il lui arriva de voir la mort de près pour avoir mangé de la potasse; et plus d'une fois sa robe de flanelle rouge fut criblée de trous, suite de relations trop étroites avec la grosse bûche du foyer.

Les choses ne furent pas beaucoup plus avancées quand maître Sparks, ayant survécu à sa première enfance, grâce à un heureux sortilège qui le faisait toujours sortir du bon côté de tous les dangers, fit son entrée dans le monde revêtu d'un complet de drap noisette à boutons de laiton.

Il savait amadouer le poulain le plus sauvage pâturant dans les prés du diacre, en le tentant avec une poignée d'avoine ou une pomme. Un jour, s'élançant sur l'animal, ses mollets rebondis presque horizontaux sur sa monture, et cramponné à la crinière comme un singe, notre Haceldama fournit une pleine carrière autour de la pelouse jusqu'au moment où il fut lancé sans

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