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amenèrent la rupture : ce sont à peine des prétextes. La décision fut prise en 1337 :

« Adonc le jeune roi d'Angleterre, qui voyait la bonne volonté de ses hommes, par le bon conseil qu'il eut, fit une grande assemblée à Londres pour avoir un parlement, au palais de Westmoustier, des prélats, des nobles et des consauls des bonnes villes d'Angleterre, et pour avoir conseil sur ce à savoir qu'il en pourrait et devrait faire... » (Froissart.)

Le résultat fut qu'Édouard reprit ses prétentions à la couronne de France. Un nouveau Parlement, en septembre 1337, avisa aux moyens de les faire valoir :

<< Encore fut-il dit et arrêté que pour aider le roi à avoir finance et ses guerres à permaintenir, chaque sac de laine paierait double imposition...

Encore fut-il conseillé et arrêté qu'on défendît, et sur la tête, parmi le royaume d'Angleterre, que nul ne jouât ni s'esbaniât fors que de l'arc à la main et des saiettes (flèches), et que tout ouvrier ouvrant arcs et saiettes fût franc et quitte de toutes dettes...

Encore fut-il ordonné et arrêté que tout chevalier et écuyer et compagnon servant le roi en sa guerre, aurait les soudées [soldes] du roi ; et que tout prisonnier et conquêt qu'ils pourraient faire ni prendre, ce leur demeurât à leur profit...

Encore fut-il ordonné et arrêté que tout seigneur, baron, chevalier, et honnête homme de bonnes villes missent cure et diligence d'instruire et apprendre à leurs enfants la langue française, par quoi ils en fussent plus habiles et coutumiers en leurs guerres... » (Froissart.)

Le roi d'Angleterre attaqua d'abord par la Flandre. Anglais et Flamands étaient en relations intimes : nous avons dit que les laines d'Angleterre alimentaient les métiers flamands, et que par là le roi anglais avait un moyen de pression sur les gens de Gand ou de Bruges. Il l'employa en interdisant l'exportation de laines anglaises: aussitôt les Flamands se mirent de nouveau en révolte contre leur comte. Un certain Artevelde leur montra que « sans le roi d'Angleterre ils ne pouvaient vivre, car toute Flandre est fondée sur draperie, et sans laine on ne peut draper » (Grandes Chroniques de

Saint-Denis). Les premiers coups furent donc portés dans ce pays, à la bataille navale de l'Ecluse (1340) bataille de vaisseaux petits, mais nombreux, puisque les Français en avaient 400. Les Anglais y affirmèrent déjà leur supériorité sur mer.

Un autre champ d'opérations s'ouvrit en Bretagne par la mort du duc Jean III (1341): Charles de Blois et Jean de Montfort revendiquèrent le duché, et les deux rois intervinrent, chacun pour soutenir un droit de succession précisément contraire de celui qu'ils représentaient en se disputant le trône de France. Philippe VI aida Charles de Blois, héritier par les femmes, et Édouard aida Montfort, représentant de la lignée masculine. Ce fut une guerre de «belles bacheleries et expertises d'armes », dont le paysan des marches bretonnes fit les frais elle a trempé Duguesclin.

Le roi de France avait pris des mesures défensives dès le début de la guerre : il avait envoyé des gens d'armes, nous apprend Froissart, dans les places frontières. Plusieurs fois, les deux rois se trouvèrent en présence. Mais ce n'était pas une mince affaire que d'assembler de tous les points du royaume l'armée féodale et communale. En 1346, le roi d'Angleterre débarqua en Normandie, ravagea cette province, fit apercevoir des habitants de Paris les feux de ses incendies, et enfin passa la Somme, avant que Philippe VI eût son monde sous la main : le 24 août, «encore attendait le roi le comte de Savoie et Monseigneur Louis de Savoie, son frère, qui devaient venir à bien 1.000 lances..., car ainsi étaient-ils mandés et retenus et payés de leurs gages pour trois mois tous pleins » (Froissart). Philippe avait pourtant, dit-on, 20.000 armures de fer à cheval, et plus de 100.000 hommes de pied; c'est avec ces forces qu'il attaqua les 25.000 Anglais à Crécy en Ponthieu. Les archers anglais montrèrent là, pour la première fois, leur écrasante

1. Les tonnages étaient de 80 à 220 t. (La Roncière, Hist. de la mar. fr., I, p. 439)

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supériorité elle assura à leur roi une victoire complète. Le résultat durable de la bataille de Crécy fut de permettre à Édouard le siège de Calais. La ville fut prise en 1347, et on se mit à la repeupler avec des Anglais. Jusquelà, le roi d'Angleterre devait aller à Bordeaux pour trouver une base d'opération sûre: désormais, il eut un point de débarquement sous sa main et pour deux cents ans.

Les malheurs avaient déjà commencé pour certaines provinces comme la Normandie. Un fléau naturel vint s'ajouter à la guerre, la peste noire, venue d'Orient par l'Italie :

«En cet an (1347-8) fut une mortalité de gens, en Provence et en Languedoc, venue des parties de Lombardie et d'outre-mer, si très grande qu'il n'y demeurât pas la sixième partie du peuple... La devant dite mortalité au royaume de France dura environ un an et demi, peu plus, peu moins, en telle manière qu'à Paris mourait bien jour par autre 800 personnes...» (Grandes Chroniques.)

La mort de Philippe VI (1350), mit le comble à ces maux, car Jean le Bon, qui lui succéda, était sensiblement moins intelligent que lui, de plus, entêté et brutal. D'ailleurs, il eut affaire dès le début aux intrigues de Charles de Navarre, qui avait des possessions en France (Évreux, etc.), et n'était pas sans prétentions à la couronne Jean le fit arrêter à Rouen en 1355.

Mais l'Anglais était revenu: il fallut réunir des États pour avoir de l'argent, et établir le monopole du sel, la trop célèbre gabelle. Des soulèvements éclatèrent partout, fomentés par le roi de Navarre. Néanmoins, Jean put réunir plus de 50.000 hommes en 1356, lorsque le Prince Noir, fils d'Édouard III, renouvela l'attaque par Bordeaux. Le roi avait réussi à couper les Anglais, qui s'étaient aventurés jusqu'à la Loire, et réussit encore, semble-t-il, à les surprendre près de Poitiers, en plein passage du Miosson. Leur arrière-garde fut détruite,

Devant que pût être tournée
L'avant-garde et repassée,
Car jà fut outre la rivière,

ESQUISSE HIST. DE FRANCE.

chante le héraut Chandos, qui était présent '. Mais le prince Noir fit volte-face, et les archers anglais décidèrent encore la bataille en sa faveur. Le roi même fut pris (18 septembre 1356). C'était le début de la grande misère :

«< Dans ma jeunesse, écrivait le Toscan Pétrarque (qui vint en France en 1360), les Bretons que l'on appelait Angles passaient pour les plus timides des Barbares : maintenant c'est une nation très belliqueuse. Elle a renversé l'antique gloire militaire des Francs par des victoires si nombreuses et si inespérées, que ceux qui naguère étaient inférieurs aux misérables Ecossais... ont tellement écrasé par le fer et par le feu le royaume tout entier que moi, qui le traversais dernièrement pour affaires, j'avais peine à me persuader que c'était là le pays que j'avais vu autrefois » 2.

Le désastre commun avait fait naître une mauvaise humeur générale. Mauvaise humeur contre le « dauphin >> Charles (âgé de 20 ans), qui prenait le pouvoir. Mauvaise humeur contre les nobles, dont la défaillance était certaine à Crécy il y avait eu surtout des morts, à Poitiers il y eut trop de prisonniers. Chez les bourgeois, atteints si directement par les altérations de monnaies et les aides, cette mauvaise humeur fut formulée avec une précision jusqu'alors inconnue, et qui fit la popularité historique d'un des tribuns. Les États généraux, réunis à Paris, prirent une attitude révolutionnaire (1357): la bourgeoisie parisienne, qui les dominait par le prévôt des marchands Étienne Marcel, intrigua avec le roi de Navarre, et installa les bandes de celui-ci aux portes de la capitale. Poussés à bout par ces bandes, les paysans eux-mêmes, les Jacques, se révoltèrent (1358). Le dauphin Charles se montra heureusement capable de surmonter la crise : quand Marcel eut été tué par les royalistes (31 juillet 1358), il sut reconquérir la capitale par sa modération, et faire face à une nouvelle invasion d'Édouard III (1359-60).

La paix de Brétigny délivra le roi, qui la ratifia à Calais,

1. Cf. coll. B. Zeller, Jean le Bon, p. 146.

2. Trad. S. Luce, Duguesclin, p. 124.

LA DÉTRESSE DE LA FRANCE

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mais lourde fut la rançon. Il fallut céder à l'ennemi les provinces limitrophes de la Guyenne et le Ponthieu, et lui promettre trois millions.

Ce n'eût pas été trop cher, si le royaume avait pu être délivré en même temps des Compagnies de mercenaires que la guerre y avait multipliées; mais celles-ci, ne connaissant plus aucun chef, continuèrent à traiter la France comme leur « chambre » :

« Il n'est temps, ébattement, ni gloire en ce monde que de gens d'armes, confiait plus tard un de ces aventuriers à Froissart, de guerroyer par la manière qu'avons fait au temps de notre jeunesse folle... Ah il y avait parfois de durs moments... Mais, lorsque nous arrivait de faire quelque bonne prise, quelque riche capture, comme nous nagions dans l'abondance ! Pour punir les lâches qui se rançonnaient aux brigands de Bentley, nous les obligions à nous apporter à notre tour les blés, la farine, le pain tout cuit... la poulaille et la volaille... Par ma foi, cette vie était bonne et belle.»>

II

Duguesclin.

Le roi Charles V, qui succéda à Jean le Bon en 1364, trouva donc une situation effrayante à liquider. Il s'occupa d'abord du roi de Navarre. Le jour même du sacre, à Reims, on lui apprit que les bandes de celui-ci avaient été battues à Cocherel. Il fallut néanmoins acheter la paix à Charles au prix de Montpellier, que Philippe de Valois avait acquis peu de temps auparavant sur la maison d'Aragon. Mais les étrennes du règne nouveau étaient d'autant plus heureuses que la bataille de Cocherel attira l'attention du roi sur Bertrand Duguesclin, à qui était dû le succès. C'était un cadet de famille bretonne, moitié gentilhomme, moitié paysan, et plus paysan que gentilhomme, assez peu soucieux du point d'honneur chevaleresque (il fut pris plus souvent que blessé), hostile aux « chaperons fourrés» des villes, mais pitoyable aux

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