Page images
PDF
EPUB

TRAITÉS DE PARIS ET DE PERPIGNAN

51

(traité de Corbeil ou de Perpignan): il renonça au Roussillon, au centre important de Montpellier, et en revanche l'Aragonais abandonna tous ses droits sur les fiefs languedociens.

Ce fut donc saint Louis qui mit un terme aux deux grands conflits qui avaient tenu en suspens pendant cent ans l'avenir de l'État français, et il les termina, en somme, à l'avantage de la dynastie capétienne.

Le résultat évident, saillant, de ces deux crises, c'est l'accroissement énorme du domaine royal. Les premiers Capétiens avaient été les premiers propriétaires fonciers de France, mais c'étaient des propriétaires fonciers de tous points comparables avec leurs vassaux directs. Or, Philippe-Auguste fit passer le nombre des prévôtés 1, de 38, à 49 en 1202, à 94 en 1223! Sous saint Louis, on en compta 132. Il n'y avait plus guère de grands fiefs indépendants que la Champagne (pour peu de temps encore), la Bretagne, la Flandre et la Guyenne.

Il est vrai que le domaine était déjà morcelé à nouveau par les apanages constitués aux princes du sang, Alphonse de Poitiers, Charles d'Anjou, Robert d'Artois : mais le droit féodal multipliait les cas où l'apanage revenait à la branche royale, et en fait cette coutume n'a été dangereuse que dans la région de l'Est, et dans les circonstances toutes spéciales qui devaient faire la grandeur de la maison de Bourgogne.

Il va de soi que l'extension du domaine avait fait prendre au pouvoir royal un aspect tout nouveau. Et d'autre part, ce pouvoir fortifié ne contribuait pas peu à donner à la France une place éminente dans la civilisation catholique. C'est sur ces deux points que nous insisterons dans le chapitre suivant.

1. Le domaine capétien était administré par des prévôts (cf. p. 35).

CHAPITRE IV

LA ROYAUTÉ SOUS SAINT LOUIS ET PHILIPPE LE BEL

ET LA FRANCE (1243-1337)

I. SAINT LOUIS. (1248-1254).

[ocr errors]

II. LA ROYAUTÉ.

L'armée.

Blanche de Castille et Louis IX.

La 7e croisade

Louis IX apaiseur. Saint Louis (1226-1270). Le gouvernement royal, baillis et sénéchaux. La justice, le Parlement. Revenus, la monnaie. III. PHILIPPE LE BEL Philippe le Hardi et Charles d'Anjou. - Philippe le Bel (1285-1314) et Edouard Ier, la Flandre. le Bel et Boniface VIII, les Templiers, Dante (1311). IV. LA ROYAUTÉ ET LA NATION.

[blocks in formation]

-

-

Lyon. - Philippe

Les premiers États généraux (1302).

- Les États généraux et la loi salique, France et Angleterre.

Influence du progrès monarchique sur la

situation du pays, Paris. Le luxe, l'aisance dans les campagnes, l'aisance dans les villes, l'argent. Éclat intellectuel, Université de

Paris, Notre-Dame, la langue française.

Nous avons vu la royauté capétienne lutter pour l'existence. Il est temps de voir maintenant quels besoins de force et de justice satisfait l'État ainsi formé, et quelles ont été les conséquences des faits politiques pour la civilisation dans la région française. C'est un moment favorable pour cela que l'intervalle de calme relatif qui s'étend entre 1243 et 1337, entre la première lutte contre les rois d'Angleterre et la guerre de Cent Ans proprement dite.

I

Saint Louis.

La royauté avait passé en 1226 à Louis IX, pour lequel Blanche de Castille, sa mère, gouverna jusqu'en 1236. A

BLANCHE DE CASTILLE ET LOUIS IX

53

cette date, la reine mère céda officiellement le pouvoir à son fils devenu majeur, et son besoin d'autorité ne s'exerça plus guère que sur le ménage royal, au grand détriment de la reine Marguerite de Provence. Mais Blanche de Castille fut toujours consultée par Louis, et reprit même le gouvernement pendant la 7e croisade: la nouvelle de sa mort trouva le roi et sa femme en Orient (1252) :

« Quand je vins là [auprès de la reine Marguerite], dit Joinville, je trouvai qu'elle pleurait, et lui dis que vrai disait celui qui dit que l'on ne doit femme croire : car ce était la femme que vous plus haïssiez et vous en portez tel deuil ! Et elle me dit que ce n'était pas pour elle que elle pleurait, mais pour la mésaise que le roi avait du deuil qu'il menait. »

Nous avons parlé déjà de la guerre contre Henri III (1242): elle n'était que suspendue par une trêve quand Louis partit pour l'Orient. Louis IX s'était déjà montré guerrier intrépide, administrateur vigilant, roi consciencieux; c'est dans cette période que se place le mot bien connu à son fils aîné : « Beau fils, je prie que tu te fasses aimer au peuple de ton royaume; car vraiment j'aimerais mieux qu'un Écot vînt d'Écosse et gouvernât le peuple du royaume bien et loyalement, que tu le gouvernasses mal apertement. » Mais c'est en Orient que s'est fondée la réputation universelle de Louis.

Il s'était croisé au cours d'une maladie dangereuse : « Lorsque la reine, sa mère, ouït dire que la parole lui était revenue, elle s'en fit si grande joie, comme elle put plus. Et quand elle sut qu'il fut croisé, ainsi comme lui-même le contait, elle mena aussi grand deuil comme si elle le voyait mort. » (Joinville.) En effet, l'expédition, dirigée sur l'Égypte, fut, en elle-même, fertile en désastres. Louis s'embarqua à Aigues-Mortes en 1248 battu à Mansourah dès avril 1249, il fut prisonnier des Mameluks. Retiré en Syrie, il n'avait plus que 1.500 chevaliers : il dut se borner à réparer de ses deniers les fortifications des places restées aux chrétiens. Cependant, le royaume ne laissait pas de souffrir de son

absence témoin le soulèvement des paysans (Pastoureaux) qui voulaient aller délivrer le roi, et auxquels il fallut faire la chasse (1251). Louis rentra enfin en 1254. Mais sa conduite en Orient, son courage militaire, sa douceur dans l'adversité, tout cela avait fait une impression profonde en Europe; on savait par exemple comment, à Cypre, son vaisseau avait failli périr, et comment il avait refusé de le quitter pour ne pas abandonner les pèlerins qui l'accompagnaient : «< dont j'aime mieux mon corps et ma femme et mes enfants mettre en la main Dieu, que je fisse tel dommage à si grand peuple comme il y a céans ». (Joinville.) Dès ce moment, Louis avait presque l'auréole d'un saint.

Il joua partout, dans les années qui suivirent, le rôle d'apaiseur que la Papauté laissait échapper au cours de sa lutte inexpiable contre les Hohenstaufen. L'exemple le plus connu est son intervention entre Henri III d'Angleterre et ses barons rebelles (1264). Louis IX se prononça pour le roi, et les barons n'obéirent d'ailleurs pas à sa sentence d'arbitre; mais ils étaient si convaincus de son impartialité qu'ils s'adressèrent de nouveau à lui un peu plus tard. Son abstention dans la lutte des Papes et des Empereurs fut plus méritoire encore, pour un chrétien comme lui, que son désintéressement au cours de la guerre civile anglaise : malgré sa soumission au Saint-Siège, il se refusa constamment à intervenir au risque d'envenimer la querelle. C'est sans son appui, presque sans son aveu, que son frère Charles d'Anjou alla enlever aux héritiers de Frédéric II le royaume de Naples (1266-8).

A voir son autorité dans la chrétienté, on comprend l'obéissance absolue qui lui était rendue en France, et la paix dont jouit le royaume pendant la seconde partie du règne. La croisade nouvelle que le roi entreprit, et qu'il dirigea contre Tunis pour profiter de la coopération de Charles d'Anjou, mit le sceau à sa réputation (1270). Il partit déjà très malade : « La faiblesse de lui était si grande, dit Joinville, qu'il souffrit que je le portasse dès l'hôtel du comte d'Auxerre, là où je pris congé de lui, jusques aux Cordeliers,

SAINT LOUIS ET JOINVILLE

55

entre mes bras. » Il mourut le 25 août. Quand Philippe III le Hardi ramena le cercueil, on parla déjà de miracles: ce mouvement d'opinion, étendu et profond, aboutit à la canonisation de Louis IX, sous Philippe le Bel (1297) et ce, par décision du pape Boniface VIII !

Enfin, saint Louis a trouvé un biographe dans un de ses compagnons d'armes, le sire de Joinville, sénéchal de Champagne. Celui-ci consacra sa longue vieillesse à écrire une « vie de saint » qui est restée le document le plus connu sur le roi les histoires du départ pour la croisade, de la reine et du vieux chevalier, de la discussion sur les péchés mortels, dont le sincère Joinville aurait préféré commettre trente plutôt que d'être lépreux, etc., etc., sont encore dans toutes les mémoires. Mais d'autre part Joinville a fait un peu trop le roi à son image : « prud'homme » certes, mais un peu naïf — j'allais dire un peu enfant. On ne voit pas assez, chez lui, ce qu'il y eut en saint Louis de virilité, d'intelligente fermeté en réalité, on ne saurait exagérer l'action personnelle de ce roi dans la constitution du gouvernement capétien. Non qu'il ait introduit des innovations capitales, sauf (dans une certaine mesure) le Parlement de Paris: il a introduit plutôt de bonnes habitudes que de fortes institutions, ce que les générations suivantes appelaient quelquefois «<les bonnes coutumes du temps de Monseigneur saint Louis >».

II

La Royauté.

Le moment est venu de jeter un coup d'œil sur les institutions capétiennes : encore une fois, les éléments en étaient presque tous antérieurs à Louis IX, mais c'est lui qui les a régularisés, consacrés surtout par l'usage qu'il en a fait. Son fils Philippe le Hardi (1270-1285) n'a guère rédigé d'ordonnances que pour mettre par écrit les traditions pater

« PreviousContinue »