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d'artillerie. Dès septembre 1667, Louvois estimait pouvoir compter sur 80.000 fantassins, 28 ou 30.000 cavaliers, sans compter les corps spéciaux 1. Vingt ans après, le roi disposera de 170.000 hommes. Comme on voit, la masse principale est désormais l'infanterie : naguère elle se divisait également en piquiers et mousquetaires, maintenant le mousquetaire, grâce au perfectionnement de la pierre à feu (fucile, d'où fusil) 2, est devenu le personnage essentiel, en attendant que la baionnette complète son armement (vers 1693).

Cette force militaire formidable semblait être conçue surtout comme défensive. Vauban travaillait à l'appuyer de solides forteresses, répandues sur toutes les frontières, et dans lesquelles l'enceinte à fossés remplaçait les anciens murs: Lille, fortifiée après la conquête (1668), est restée le type le plus achevé de ces travaux de défense.

Mais qui a une pareille armée est tenté d'en abuser. Paris est trop près de la frontière : si l'on reprend la métaphore qui en fait le cœur de la France, on dira que ce cœur bat à fleur de poitrine. Le besoin de mettre la capitale à l'abri se mue déjà en principe des frontières naturelles ». La France est ainsi faite par la nature que la distinction entre guerres défensives et guerres offensives, subtile toujours, est, en ce qui la concerne, presque entièrement chimérique.

Boileau faisait donc bien de se hâter de « dire les exploits de ce règne paisible ». Le soldat, « dans la paix, sage et laborieux, » en réclamait d'autres. Et nos voisins

Frustrés de ces tributs serviles

Que payait à leur art le luxe de nos villes,

n'étaient pas d'humeur à accepter ce changement sans y être contraints par l'ultima ratio regum.

Rien ne serait plus facile que de construire un schéma comme le suivant :

1. Cf. Revue de Paris, 15 sept. 1910, lettres de Saint-Maurice.

2. Perfectionnement qu'on eut de la peine à faire adopter.

3. Epitre I (1668-72). Tout le morceau est à lire.

En 1661, pour la première fois, l'État français était libre absolument de s'engager dans la voie qu'il choisirait : soit dans la voie des annexions continentales, soit dans la voie des entreprises maritimes, commerciales, mondiales. Louis XIV a tout de suite choisi la première. Entre les deux ministres dont chacun représentait une des deux politiques, il a dédaigné l'homme du commerce et écouté le terrien.

L'obligation d'examiner les premiers faits du règne dans l'ordre chronologique et avec quelque détail (et c'est pour cela qu'ils valent la peine d'être examinés) nous met en garde contre ces idées simples. D'abord, ni Louis XIV ni aucun Français d'alors n'aurait conçu semblable alternative: la France leur paraissait assez forte, assez supérieure à tous, pour pouvoir grandir dans toutes les directions que Dieu ou la nature ouvrait devant elle. Il est très vrai que le roi avait une secrète préférence pour la conquête continentale, et en cela d'ailleurs son instinct conspirait avec celui de presque toute la nation. Il n'en est pas moins vrai qu'il a laissé la plus entière latitude au ministre de la mer. Lui et Colbert se sont intéressés sans cesse au Levant, où la situation de la France remontait plus haut qu'ailleurs, où il était plus facile de reprendre le terrain que des circonstances accidentelles avaient laissé gagner aux Hollandais ou aux Anglais 1. Et ce n'est pas un mince mérite de la part du roi, tel qu'il était fait, d'avoir résisté à toutes les tentations de croisade, par raison d'intérêt. Quant aux autres mers, Colbert a fait ce qu'il était humainement possible de faire pour tirer de la France autre chose que des explorateurs, des missionnaires, des corsaires et des flibustiers. Et si, au point de vue de la « peuplade », ses procédés d'interventionnisme à outrance n'ont pas mieux réussi, en général, que le système du laissez-faire qui avait prévalu

1. Par exemple, Louis XIV envoya, en 1670, pour renouveler les capitulations, le marquis de Nointel, qui eut la chance de voir et la bonne idée de faire reproduire les marbres du Parthenon.

LA MER ET LE CONTINENT

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depuis Henri II, sur un point au moins, au Canada, il a obtenu des résultats appréciables... Mais le moment n'est pas encore venu de résumer sur ce point.

D'ailleurs, si exceptionnellement libre que fût alors l'initiative du roi de France, il n'en rencontrait pas moins des obstacles, et sa politique devait dépendre aussi du degré et de la direction de la résistance. Elle a dépendu dans une très large mesure de l'adversaire auquel il se heurta bientôt sur toutes les routes de terre comme de mer: la Hollande.

I. LA HOLLANDE.

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CHAPITRE II

LA HOLLANDE (1672-1685)

Le pays hollandais, la République hollandaise. —La marine hollandaise, le commerce hollandais. La civilisation hollandaise, la presse.

II. GUERRE DE HOLLANDE (1672-8). Louis XIV isole la Hollande et se prépare à l'attaquer. L'invasion (1672). Guillaume d'Orange. L'inondation. La coalition (1673). — La France en défense, Senef - Duquesne et Ruyter (1676).

(1674), Turenne (1674-5). Nimègue (1678).

III. LES RÉUNIONS.

Paix de

Louis XIV et le continent, les réunions, Strasbourg (1681). Les Turcs à Vienne (1683), trêve de Ratisbonne (1684), Luxembourg.

La Hollande se sentait gênée par la politique de Fouquet, puis de Colbert, par le droit de 50 sous par tonneau que le premier, sous l'empire des mêmes idées que les républicains anglais, avait imposé sur tous les navires étrangers, et par le tarif de 1667, si dur, que le second avait fixé aux droits sur les marchandises étrangères. Elle se sentait menacée par la lente poussée de la frontière française aux Pays-Bas. Et elle faisait sentir son irritation de toutes manières. Tout le monde, en France, commençait à s'unir contre elle. L'ambassadeur vénitien pouvait écrire :

« Le roi, animé contre les États de Hollande par la liberté de langage de ce peuple, de ses gazettes et de ses ministres, contre sa personne et sa gloire, a volontiers ouvert l'oreille aux propositions de Colbert et du sieur de Louvois qui ne s'entendent que sur ce point; on a décidé de porter les forces royales contre cette puissance, dans l'espoir de la réduire. Les esprits sont absorbés par la recherche des

LE PAYS ET L'ÉTAT HOLLANDAIS

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moyens de dépouiller le Roi Catholique et les États de Hollande de toutes les provinces des Pays-Bas. >>

Il importe de s'arrêter un instant sur cette nation qui va jouer dans notre histoire un rôle à beaucoup d'égards décisif.

I

La Hollande.

La Hollande est située aux bouches du Rhin et aux alentours du lac Zuydersée, lequel avait été mis en communication avec la mer par des cataclysmes naturels au XIII° siècle : c'est dire que le pays n'existait que par la volonté humaine, qui en avait conquis une grande partie sur l'Océan, et défendait sa conquête à force de digues et de canaux.

Quant à l'État hollandais, il était né d'une réaction contre la puissance de la maison d'Autriche, héritière des Bourguignons. Au xvre siècle, les Hollandais, pour garder leur foi calviniste, s'étaient révoltés, et avaient proclamé leur indépendance. Longtemps attaqués par terre et par mer, ils n'avaient été reconnus indépendants par l'Espagne qu'en 1648.

Dans cette longue lutte, ils avaient eu pour chefs les princes de la maison de Nassau, maîtres d'Orange depuis le xvie siècle : Guillaume le Taciturne, puis son fils Maurice. La dignité de stathouder (gouverneur militaire) des provinces révoltées était restée, en fait, héréditaire dans cette famille. Mais il avait existé de tout temps contre eux une opposition républicaine, qui devint plus forte quand le péril national fut écarté. En 1650, le pouvoir réel avait été transféré à l'avocat pensionnaire de Hollande (Grand Pensionnaire), secrétaire influent des États généraux des provinces confédérées (ce qu'on appelait en style diplomatique les Hautes Puissances): c'était, à l'avènement de Louis XIV, Jean de Witt qui exerçait la charge.

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