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L'avenir, c'est l'Angleterre. Mais elle vient de traverser une terrible crise politico-religieuse (révolution de 1648). Après la dictature de Cromwell, elle rappelle Charles II (1660). Il faudra encore bien du temps avant qu'elle trouve l'assiette intérieure qu'elle cherche. Et, sur mer, elle est tout entière absorbée par sa lutte contre la Hollande, que les Français ne peuvent voir qu'avec satisfaction. On ne peut donc encore prévoir son immense avenir.

On le voit, tout semble se disposer, à ce moment, pour la plus grande commodité de la France. Elle peut se développer presque librement à l'Est, ou, si elle le préfère, se donner à la mer. L'homme qui va disposer d'elle disposera en même temps du sort de l'Europe, et déjà, par conséquent, du monde.

III

Mazarin (1602-1661).

Dans cette œuvre, il est entendu que la part de Richelieu est prépondérante. Mais, en comparant ce qui s'est passé après le 14 mai 1610 et après le 14 mai 1643, on appréciera l'action personnelle de Mazarin. La Rochefoucauld (1613-1680), qui a si bien tiré partide cette merveilleuse école qu'ont été les scènes de la Fronde pour les psychologues du grand siècle, a dit du second cardinal « qu'il avait plus de hardiesse dans le cœur que dans l'esprit, au contraire de Richelieu, qui avait l'esprit hardi et le cœur timide ». Richelieu s'était voué tout entier à une idée : briser l'étreinte de la maison d'Autriche. C'est pour cela qu'il avait écrasé toutes les résistances au dedans, lancé la France dans un duel sans merci au dehors. Il n'est pas sûr qu'il ait voulu réellement la monarchie absolue ni la prépondérance mondiale. Mazarin, avec ses dehors hésitants, les « petites vues qu'il apportait même dans ses plus grands projets », a certainement visé plus haut

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que lui. Au dedans, il a inauguré le despotisme administratif, commencé à organiser, avec son protégé Colbert, l'absolutisme économique. Au dehors, quand il faisait décider le mariage avec Marie-Thérèse, il songeait sans aucun doute à l'héritage espagnol, à la « monarchie universelle »... Quand il mourut (9 mars 1661), il avait ouvert à Louis XIV les voies dangereuses.

Mais il est juste de considérer avant tout, en le quittant, le présent splendide. Personne alors n'avait le droit de protester quand il disait que, « si sa langue n'était française, son cœur l'était ». Il en donna, à la veille de sa mort, une dernière preuve. Probablement, il n'eût tenu qu'à lui de couronner son extraordinaire fortune en faisant de sa nièce, Marie Mancini, une reine de France Louis XIV avait 20 ans, il était roi, et il aimait. Cette fois-là, le chef de famille si attentif, si impérieux, qui avait « placé » si avantageusement ses parents même éloignés, se tut en Mazarin devant le chef d'État; il fit épouser au jeune roi l'héritière d'Espagne. Il ne voulut pas laisser compromettre par une fantaisie l'avenir de la puissance à laquelle il avait attaché tout son amour-propre de virtuose politique.

CHAPITRE VIII

FORMATION DE LA CIVILISATION NATIONALE

(1592-1661) 1

I. RELIGION. Le paganisme du xvre siècle. Mouvement protestant. Mouvement catholique, les jésuites, etc. Port-Royal, la question de la grâce, condamnation de Jansénius et d'Arnauld, les Provinciales (1656), le formulaire (1660).

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Nous avons tenu à mener jusqu'à son terme le mouvement politique qui a porté la France au premier rang des Éats européens. Il faut maintenant marquer l'action exercée par la grande crise intellectuelle et morale du xvr siècle sur l'âme française. Il faut montrer comment celle-ci y a réagi dans son sens propre et vraiment national. Il faut dire enfin où elle en était au moment où la supériorité politique de la France allait imposer au dehors la forme particulière qu'elle avait su donner à la civilisation générale.

I

Religion.

Au milieu du xvIe siècle, l'esprit français était sous l'influence récente et déjà puissante de l'antiquité, retrouvée à

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1. Hallays, Le pèlerinage de Port-Royal. littérature franç.

Brunetière, Histoire de la N. Aymès, La France de Louis XIII.

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RENAISSANCE ET RÉFORME

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travers les Italiens. Cette découverte de l'antiquité n'avait pas été sans un retour accentué au naturalisme païen : l'idée est sensible chez la plupart des grands auteurs du XVIIe siècle, si divers que soient leurs tempéraments. L'état d'esprit de la Renaissance, peut-être parce qu'il avait été retardé en France, s'est trouvé de suite réduit à une petite minorité; mais cette minorité comprenait encore, au xvi siècle, un homme comme Malherbe, auquel il fallut, à son lit de mort, rappeler la nécessité d'une confession qu'il avait complètement oubliée. Qu'on se rappelle les dates où écrivent les principaux écrivains de la Renaissance, Rabelais, Ronsard, Montaigne, Malherbe (1548, 1572, 1588, 1628), on verra que les grandes passions sont alors ailleurs.

Le mouvement protestant avait été dans une large mesure une réaction contre le paganisme, et les invectives de Rabelais contre « les démoniacles Calvins» indiquent que les hommes de la Renaissance, si peu « papelars» qu'ils fussent, le sentaient fort bien. La Réforme fut d'abord un élan vraiment national en France : nous avons vu que le livre de Calvin qui l'inaugure (Institution chrétienne, 1535-1541) avait marqué aussi une date dans notre histoire littéraire. Dans la petite noblesse, la religion nouvelle avait trouvé maint représentant éloquent. Nous avons déjà rencontré le poète d'Aubigné (Tragiques, 1594), qui a trouvé, pour peindre les violences catholiques, des accents aussi frémissants que Ronsard pour peindre les excès des huguenots :

Ce qu'ils n'ont eu horreur de faire,

On a horreur de le faire voir...

Un autre poète qui a eu son heure de réputation, du Bartas, n'est guère connu aujourd'hui que par l'admiration de Goethe, qui nous paraît si bizarre. Ce protestant (tué en 1590) avait eu l'idée de mettre en vers la cosmogonie de l'Ancien Testament (1579). Il était malheureusement doublé d'un Gascon verbeux, qui a appliqué au sujet austère de la création du monde des procédés dignes de Cyrano de Bergerac :

Ce premier monde était une forme sans forme,
Une pile confuse, un mélange difforme
D'abîmes sur abîmes, un corps mal composé,
Un chaos de chaos, un tas mal entassé,
Où tous les éléments se logeaient pêle-mêle,
Où le liquide avait avec le sec querelle.

Bref, durant cette guerre,

La terre était au ciel et le ciel sur la terre.
La terre, l'air, le feu se tenaient dans la mer,
La mer, le feu, la terre étaient logés dans l'air,
L'air, la mer et le feu dans la terre, et la terre
Chez l'air, le feu, la mer...

Le sujet de Milton n'était décidément pas un sujet français.

Après le premier mouvement, la réaction catholique était venue, et à la fin du xvre siècle elle était en somme victorieuse. La France ne pouvait oublier qu'elle avait été le principal foyer de la théologie catholique au moyen âge: elle avait la Sorbonne, les plus éloquents des prédicateurs dominicains, etc. En revanche, l'ordre espagnol des jésuites se heurta à une forte opposition, surtout dans les milieux parlementaires. Peu à peu, cependant, ils s'implantèrent. Un des leurs, Canisius, avait donné en Bavière (1583) le catéchisme qui fut adopté et est encore enseigné dans toutes les paroisses. A dater de leur rentrée en 1603, ils s'emparèrent de l'éducation des hautes classes. Leurs collèges se multiplièrent, et Henri IV se refusa à défendre contre leur concurrence les établissements d'Université : « On leur est ennemi parce qu'ils enseignent mieux et ont plus de disciples que les autres, » déclarait-il, et il confia à des jésuites son établissement de la Flèche, créé pour les fils de soldats.

Les jésuites tendirent à accaparer aussi la direction des consciences, au prix de concessions dont la morale ne laissa pas de souffrir. On avait reproché au catholicisme, au xvre siècle, sa tendance à restreindre la réalisation de l'idéal chrétien à une élite sacerdotale fortement hiérarchisée, en laissant le laïque qui s'en écartait acheter son pardon par sa soumission au sacerdoce, par des pratiques comme la con

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