Page images
PDF
EPUB

de temps en temps un billet du prince de Tal-leyrand revenant de Vienne, quelques lignes des membres du corps diplomatique résidant auprès du duc de Wellington en qualité de commissaires, MM. Pozzo di Borgo, de Vincent, etc., etc. On avait bien autre chose à faire qu'à songer à nous! Un homme étranger à la politique n'aurait jamais cru qu'un impotent caché au bord de la Lys serait rejeté sur le trône par le choc des milliers de soldats prêts à s'égorger: soldats dont il n'était ni le roi ni le géné– ral, qui ne pensaient pas à lui, qui ne connaissaient ni son nom ni son existence. De deux points si rapprochés, Gand et Waterloo, jamais l'un ne parut si obscur, l'autre si éclatant: la légitimité gisait au dépôt comme un vieux fourgon brisé.

Nous savions que les troupes de Bonaparte s'approchaient; nous n'avions pour nous couvrir que nos deux petites compagnies sous les ordres du duc de Berry, prince dont le sang ne pouvait nous servir, car il était déjà demandé

ailleurs. Mille chevaux, détachés de l'armée française, nous auraient enlevés en quelques heures. Les fortifications de Gand étaient démolies; l'enceinte qui reste eût été d'autant plus facilement forcée que la population belge ne nous était pas favorable. La scène dont j'avais été témoin aux Tuileries se renouvela: on préparait secrètement les voitures de S. M.; les chevaux étaient commandés. Nous, fidèles ministres, nous aurions pataugé derrière, à la grâce de Dieu. MONSIEUR partit pour Bruxelles, chargé de surveiller de plus près les mouve

ments.

M. de Blacas était devenu soucieux et triste; moi, pauvre homme, je le solaciais. A Vienne on ne lui était pas favorable; M. de Talleyrand s'en moquait; les royalistes l'accusaient d'être la cause du retour de Napoléon. Ainsi, dans l'une ou l'autre chance, plus d'exil honoré pour lui en Angleterre, plus de premières places possibles en France : j'étais son unique appui. Je le rencontrais assez souvent au Marché aux

chevaux, où il trottait seul; m'attelant à son côté, je me conformais à sa triste pensée. Cet homme que j'ai défendu à Gand et en Angle terre, que je défendis en France après les Cent-Jours, et jusque dans la préface de la Monarchie selon la Charte, cet homme m'a

:

toujours été contraire cela ne serait rien, s'il n'eût été un mal' pour la monarchie. Je ne me repens pas de ma niaiserie passée; mais je dois redresser dans ces Mémoires les surprises faites à mon jugement ou à mon bon cœur.

Bataille de Waterloo.

Le 18 juin 1815, vers midi, je sortis de Gand par la porte de Bruxelles; j'allai seul achever ma promenade sur la grande route. J'avais emporté les Commentaires de César et je cheminais lentement, plongé dans ma lecture. J'étais déjà à plus d'une lieue de la ville, lorsque

je crus ouir un roulement sourd : je m'arrêtai, regardai le ciel assez chargé de nuées, délibérant en moi-même si je continuerais d'aller en avant, ou si je me rapprocherais de Gand dans la crainte d'un orage. Je prêtai l'oreille; je n'entendis plus que le cri d'une poule d'eau dans des joncs et le son d'une horloge de village. Je poursuivis ma route: je n'avais pas fait trente pas que le roulement recommença, tantôt bref, tantôt long et à intervalles inégaux; quelquefois il n'était sensible que par une trépidation de l'air, laquelle se communiquait à la terre sur ces plaines immenses, tant il était éloigné. Ces détonations moins vastes, moins onduleuses, moins liées ensemble que celles de la foudre, firent naître dans mon esprit l'idée d'un combat. Je me trouvais devant un peuplier planté à l'angle d'un champ de houblon. Je traversai le chemin et je m'appuyai debout contre le tronc de l'arbre, le visage tourné du côté de Bruxelles. Un vent du sud s'étant levé m'apporta plus distinctement le bruit de

« PreviousContinue »