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Il est possible que lord Liverpool, enclin aux réformes, et à qui M. Canning a dû son dernier ministère, fût influencé, malgré la rigidité de ses principes religieux, par quelque déplaisance de souvenirs. A l'époque où j'ai connu lord Liverpool, il était presque arrivé à l'illumination puritaine. Habituellement il demeurait seul avec une vieille sœur, à quelques lieues de Londres. Il parlait peu; son visage était mélancolique; il penchait souvent l'oreille et il avait l'air d'écouter quelque chose de triste: on eût dit qu'il entendait tomber ses dernières années, comme les gouttes d'une pluie d'hiver sur le pavé. Du reste, il n'avait aucune passion, et il vivait selon Dieu.

M. Croker, membre de l'Amirauté, célèbre comme orateur et comme écrivain, appartenait à l'école de M. Pitt, ainsi que M. Canning; mais il était plus détrompé que celui-ci. Il occupait à White-Hall un de ces appartements sombres d'où Charles I était sorti par une fenêtre pour aller de plain-pied à l'échafaud. On est étonné quand on entre à Londres dans les habitations

où siégent les directeurs de ces établissements dont le poids se fait sentir au bout de la terre. Quelques hommes en redingote noire devant une table nue, voilà tout ce que vous rencontrez ce sont pourtant là les directeurs de la marine anglaise, ou les membres de cette compagnie de marchands, successeurs des empereurs du Mogol, lesquels comptent aux Indes deux cents millions de sujets.

M. Croker vint, il y a deux ans, me visiter à l'infirmerie de Marie-Thérèse. Il m'a fait remarquer la similitude de nos opinions et de nos destinées. Des évènements nous séparent du monde; la politique fait des solitaires, comme la religion fait des anachorètes. Quand l'homme habite le désert, il trouve en lui quelque lointaine image de l'être infini qui, vivant seul dans l'immensité, voit s'accomplir les révolutions des mondes.

Suite de mes dépêches.

Dans le courant des mois de juin et de juillet, les affaires d'Espagne commencèrent à occuper sérieusement le cabinet de Londres. Lord Londonderry et la plupart des ambassadeurs montraient en parlant de ces affaires une inquiétude et presque une peur risible. Le ministère

craignait qu'en cas de rupture nous ne l'emportassions sur les Espagnols; les ministres des autres puissances tremblaient que nous ne fussions battus; ils voyaient toujours notre armée prenant la cocarde tricolore.

Dans ma dépêche du 28 juin, no 35, les dispositions de l'Angleterre sont fidèlement exprimées :

(No. 35.)

<< Londres, ce 28 juin 1822.

« Monsieur le vicomte,

« Il m'a été plus difficile de vous dire ce que << pense lord Londonderry, relativement à

l'Espagne, qu'il ne me sera aisé de péné« trer le secret des instructions données à « Sir W. A'Court; cependant je ne négligerai « rien pour me procurer les renseignements « que vous demandez par votre dernière dépêche n° 18. Si j'ai bien jugé de la politi« que du cabinet anglais et du caractère de « lord Londonderry, je suis persuadé que Sir

« W. A'Court n'a presque rien emporté d'é« crit. On lui aura recommandé verbalement « d'observer les partis sans se mêler de leurs «<< querelles. Le cabinet de Saint-James n'aime << point les Cortès, mais il méprise Ferdinand. « Il ne fera certainement rien pour les roya<«< listes. D'ailleurs, il suffirait que notre in«fluence s'exerçât sur une opinion pour que « l'influence anglaise appuyât l'opinion con« traire. Notre prospérité renaissante inspire «< une vive jalousie. Il y a bien ici, parmi les « hommes d'État, une certaine crainte vague « des passions révolutionnaires qui travaillent « l'Espagne; mais cette crainte se tait devant « les intérêts particuliers: de telle sorte que si « d'un côté la Grande-Bretagne pouvait exclure << nos marchandises de la Péninsule, et que de « l'autre elle pût reconnaître l'indépendanc « des colonies espagnoles, elle prendrait faci«<lement son parti sur les événements, et so « consolerait des malheurs qui pourraient ac« cabler de nouveau les monarchies continen

VII.

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