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hors de France; en attendant il s'était retiré à la Malmaison.

Les discussions étaient vives à la Chambre des pairs. Longtemps ennemi de Bonaparte, Carnot, qui signait l'ordre des égorgements d'Avignon sans avoir le temps de le lire, avait eu le temps, pendant les Cent-Jours, d'immoler son républicanisme au titre de comte. Le 22 juin, il avait lu au Luxembourg une lettre du ministre de la guerre, contenant un rapport exagéré sur les ressources militaires de la France. Ney, nouvellement arrivé, ne put entendre ce rapport sans colère. Napoléon, dans ses bulletins, avait parlé du maréchal avec un mécontentement mal déguisé, et Gourgaud accusa Ney d'avoir été la principale cause de la perte de la bataille de Waterloo. Ney se leva et dit: « Ce rapport est faux, faux de tous points: « Grouchy ne peut avoir sous ses ordres que « vingt à vingt-cinq mille hommes tout au plus. « Il n'y a plus un seul soldat de la garde à rallier; je la commandais; je l'ai vu massacrer

« tout entière avant de quitter le champ de « bataille. L'ennemi est à Nivelle avec quatre

vingt mille hommes; il peut être à Paris dans « six jours vous n'avez d'autre moyen de sau« ver la patrie que d'ouvrir des négociations.»>

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L'aide de camp Flahaut voulut soutenir le rapport du ministre de la guerre; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : « Je le répète, « vous n'avez d'autre voie de salut que la négociation. Il faut que vous rappeliez les Bour« bons. Quant à moi, je me retirerai aux États« Unis. »

A ces mots, Lavalette et Carnot accablèrent le maréchal de reproches; Ney leur répondit avec dédain: « Je ne suis pas de ces hommes « pour qui leur intérêt est tout: que gagne

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rai-je au retour de Louis XVIII? d'être fusillé « pour crime de désertion; mais je dois la « vérité à mon pays. »

Dans la séance des pairs du 23, le général Drouot, rappelant cette scène, dit : « J'ai vu « avec chagrin ce qui fut dit hier pour dimi

« nuer la gloire de nos armes, exagérer nos « désastres et diminuer nos ressources. Mon «< étonnement a été d'autant plus grand que ces << discours étaient prononcés par un général distingué (Ney), qui, par sa grande valeur et << ses connaissances militaires, a tant de fois « mérité la reconnaissance de la nation. »

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Dans la séance du 22, un second orage avait éclaté à la suite du premier: il s'agissait de l'abdication de Bonaparte; Lucien insistait pour qu'on reconnût son neveu empereur. M. de Pontécoulant interrompit l'orateur, et demanda de quel droit Lucien, étranger et prince romain, se permettait de donner un souverain à la France. « Comment, ajouta-t-il, reconnaître « un enfant qui réside en pays étranger? » A cette question, La Bédoyère s'agitant devant son siége:

« J'ai entendu des voix autour du trône du « souverain heureux; elles s'en éloignent aujourd'hui qu'il est dans le malheur. Il y a des « gens qui ne veulent pas reconnaître Napo

« léon II, parce qu'ils veulent recevoir la loi « de l'étranger, à qui ils donnent le nom « d'alliés.

« L'abdication de Napoléon est indivisi«ble. Si l'on ne veut pas reconnaître son fils, « il doit tenir l'épée, environné de Français qui « ont versé leur sang pour lui, et qui sont en« core tout couverts de blessures.

« Il sera abandonné par de vils généraux « qui l'ont déjà trahi.

Mais si l'on déclare que tout Français qui « quittera son drapeau sera couvert d'infamie, « sa maison rasée, sa famille proscrite, alors

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plus de traîtres, plus de manoeuvres qui ont

⚫ occasionné les dernières catastrophes et dont « peut-être quelques auteurs siégent ici. »

La Chambre se lève en tumulte : « A l'ordre! à l'ordre à l'ordre!» mugit-on blessé du coup: « Jeune homme, vous vous oubliez ! s'é« cria Masséna. - Vous vous croyez encore « au corps de garde?» disait Lameth.

Tous les présages de la seconde restauration

furent menaçants: Bonaparte était revenu à la tête de quatre cents Français, Louis XVIII revenait derrière quatre cent mille étrangers; il passa près de la mare de sang de Waterloo pour aller à Saint-Denis comme à sa sépulture.

C'était pendant que la légitimité s'avançait ainsi que retentissaient les interpellations de la Chambre des pairs; il y avait là je ne sais quoi de ces terribles scènes révolutionnaires aux grands jours de nos malheurs, quand le poignard circulait au tribunal entre les mains des victimes. Quelques militaires dont la funeste fascination avait amené la ruine de la France, en déterminant la seconde invasion de l'étranger, se débattaient sur le seuil du palais; leur désespoir prophétique, leurs gestes, leurs paroles de la tombe, semblaient annoncer une triple mort: mort à eux-mêmes, mort à l'homme qu'ils avaient béni, mort à la race qu'ils avaient proscrite.

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