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capitale de la Prusse, c'est à peine si des octo

génaires ont conservé la mémoire de cette génération passée.

Guillaume de Humboldt.

Adalbert de Chamisso.

La société à Berlin me convenait par ses habitudes entre cinq et six heures on allait en soirée; tout était fini à neuf et je me couchais tout juste comme si je n'eusse pas été ambassadeur. Le sommeil dévore l'existence, c'est ce qu'il y a de bon : « Les heures sont longues

« et la vie est courte, » dit Fénélon. M. Guillaume de Humboldt, frère de mon illustre ami le baron Alexandre, était à Berlin je l'avais connu ministre à Rome; suspect au gouvernement à cause de ses opinions, il menait une vie retirée; pour tuer le temps, il apprenait toutes les langues et même tous les patois de la terre. Il retrouvait les peuples, habitants anciens d'un sol, par les dénominations géographiques

du

pays. Une de ses filles parlait indifféremment le grec ancien ou le grec moderne; si l'on fût tombé dans un bon jour, on aurait pu deviser à table en sanscrit.

Adalbert de Chamisso demeurait au Jardindes-Plantes, à quelque distance de Berlin. Je le visitai dans cette solitude où les plantes gelaient en serre. Il était grand, d'une figure assez agréable. Je me sentais un attrait pour cet exilé voyageur comme moi : il avait vu ces mers du pôle où je m'étais flatté de pénétrer. Émigré comme moi, il avait été élevé à Berlin en qualité de page. Adalbert, parcourant la Suisse,

s'arrêta un moment à Coppet. Il se trouva dans une partie sur le lac, où il pensa périr. Il écrivait ce jour-là même: « Je vois bien qu'il «faut chercher mon salut sur les grandes

"mers. >>

M. de Chamisso avait été nominé par M. de Fontanes professeur à Napoléonville, puis professeur de grec à Strasbourg; il repoussa l'offre par ces nobles paroles: « La première condiK tion pour travailler à l'instruction de la jeu<< nesse est l'indépendance: bien que j'admire « le génie de Bonaparte, il ne peut me conve«nir. Il refusa de même les avantages que lui offrait la Restauration : « Je n'ai rien fait << pour les Bourbons, disait-il, et je ne puis re«< cevoir le prix des services et du sang de mes

"

pères. Dans ce siècle chaque homme doit ⚫ pourvoir à son existence. » On conserve dans la famille de M. de Chamisso ce billet écrit au Temple, de la main de Louis XVI: « Je recom« mande M. de Chamisso, un de mes fidèles « serviteurs, à mes frères. » Le roi martyr avait

caché ce petit billet dans son sein pour le faire remettre à son premier page, Chamisso, oncle d'Adalbert.

L'ouvrage le plus touchant peut-être de cet enfant des muses, caché sous les armes étrangères et adopté des bardes de la Germanie, ce sont ces vers qu'il fit d'abord en allemand et qu'il traduisit en vers français, sur le château de Boncours, sa demeure paternelle :

Je rêve encore à mon jeune âge
Sous le poids de mes cheveux blancs;
Tu me poursuis, fidèle image,

Et renais sous la faux du temps.

Du sein d'une mer de verdure

S'élève ce noble château :

Je reconnais et sa toiture,
Et ses tours avec ses créneaux;
Ces lions de nos armoiries
Ont encor leurs regards d'amour;
Je vous souris, gardes chéries,
Et je m'élance dans la cour.
Voilà le sphinx à la fontaine,
Voilà le figuier verdoyant;
Là s'épanouit l'ombre vaine
Des premiers songes de l'enfant.
De mon aïeul, dans la chapelle,
Je cherche et revois le tombeau ;
Voilà la colonne à laquelle

Pendent ses armes en faisceau.

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