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Arrivée à

Fêtes pour le

mariage du grand-duc Nicolas. Société de Berlin. conte de Humboldi. . M. de Chamisso.

. Le

Je quittai la France, laissant mes amis en possession d'une autorité que je leur avais achetée au prix de mon absence : j'étais un petit Lycurgue. Ce qu'il y avait de bon, c'est que le premier essai que j'avais fait de ma force politique me rendait ma liberté; j'allais jouir au

dehors de cette liberté dans le pouvoir. Au fond de cette position nouvelle à ma personne, j'aperçois je ne sais quels romans confus parmi des réalités n'y avait-il rien dans les cours? N'étaient-elles point des solitudes d'une autre sorte ? C'étaient peut-être des Champs-Élysées avec leurs ombres.

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Je partis de Paris le 1er janvier 1824 : la Seine était gelée, et pour la première fois je courais sur les chemins avec les conforts de l'argent. Je revenais peu à peu de mon mépris des richesses; je commençais à sentir qu'il était assez doux de rouler dans une bonne voiture, d'être bien servi, de n'avoir à se mêler de rien, d'être devancé par un énorme chasseur de Varsovie, toujours affamé, et qui, au défaut des czars, aurait à lui seul dévoré la Pologne. Mais je m'habituai vite à mon bonheur; j'avais le pressentiment qu'il durerait peu, et que je serais bientôt remis à pied comme il était convenable. Avant d'être arrivé à ma destination, il ne me resta du voyage que mon goût primitif pour le

voyage même; goût d'indépendance,

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faction d'avoir rompu les attaches de la société. Vous verrez, lorsque je reviendrai de Prague en 1833, ce que je dis de mes vieux souvenirs du Rhin je fus obligé, à cause des glaces, de remonter ses rives et de le traverser au-dessus de Mayence. Je ne m'occupai guère de Moguntia, de son archevêque, de ses trois ou quatre siéges, et de l'imprimerie par qui cependant je régnais. Francfort, cité de Juifs, ne m'arrêta que pour une de leurs affaires : un change de

monnaie.

La route fut triste le grand chemin était neigeux et le givre appendu aux branches des pins. Iena m'apparut de loin avec les larves de sa double bataille. Je traversai Erfurt et Weimar dans Erfurt, l'empereur manquait; dans Weimar, habitait Goethe que j'avais tant admiré, et que j'admire beaucoup moins. Le chantre de la matière vivait, et sa vieille poussière se modelait encore autour de son génie. J'aurais pu voir Goethe, et je ne l'ai point vu

il laisse un vide dans la procession des personnages célèbres qui ont défilé sous mes yeux.

Le tombeau de Luther à Wittemberg ne me tenta point : le protestantisme n'est en religion qu'une hérésie illogique; eu politique, qu'une révolution avortée. Après avoir mangé, en passant l'Elbe, un petit pain noir pétri à la vapeur du tabac, j'aurais eu besoin de boire dans le grand verre de Luther, conservé comme une relique. De là traversant Potsdam et franchissant la Sprée, rivière d'encre sur laquelle se traînent des barques gardées par un chien blanc, j'arrivai à Berlin. Là demeura, comme je l'ai dit, le faux Julien dans sa fausse Athènes. Je cherchai en vain le soleil du mont Hymette. J'ai écrit à Berlin la partie de ces Mémoires où vous avez trouvé la description de cette ville, ma course à Potsdam, mes souvenirs du grand Frédéric, de son cheval, de ses levrettes et de Voltaire.

Descendu le 11 janvier à l'auberge, j'allai

demeurer ensuite Sous les Tilleuls, dans l'hôtel qu'avait quitté M. le marquis de Bonnay, et qui appartenait à madame la duchesse de Dino: j'y fus reçu par MM. Decaux, de Flavigny et de Cussy, secrétaires de légation.

Le 17 de janvier j'eus l'honneur de présenter au Roi les lettres de récréance de M. le marquis de Bonnay et mes lettres de créance. Le Roi, logé dans une simple maison, avait pour toute distinction deux sentinelles à sa porte entrait qui voulait ; on lui parlait s'il était chez lui. Cette simplicité des princes allemands contribue à rendre moins sensibles aux petits le nom et les prérogatives des grands. Frédéric-Guillaume allait chaque jour, à la même heure, dans une carriole déconverte qu'il conduisait lui-même, casquette en tête, manteau grisâtre sur le dos, fumer son cigare dans le parc. Je le rencontrais souvent et nous continuions nos promenades, chacun de notre côté. Quand il rentrait dans Berlin, la sentinelle de la porte de Brand ebourg criait à tue

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