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Funérailles.

Bonaparte désira d'abord être enseveli dans la cathédrale d'Ajaccio, puis, par un codicille daté du 16 avril 1821, il légua ses os à la France: le ciel l'avait mieux servi; son véritable mausolée est le rocher où il expira: revoyez mon récit de la mort du duc d'Enghien. Napo

léon, prévoyant à ses dernières volontés l'opposition du gouvernement britannique, fit choix éventuellement d'une sépulture à Sainte Hé

lène.

Dans une étroite vallée appelée la vallée de Slane ou du Géranium, maintenant du Tombeau, coule une source; les domestiques chinois de Napoléon, fidèles comme le Javanais de Camoens, avaient accoutumé d'y remplir des amphores: deux saules pleureurs pendent sur la fontaine; une herbe fraîche, parsemée de tchampas, croît autour. « Le tchampas, malgré « son éclat et son parfum, n'est pas une plante «< qu'on recherche parce qu'elle fleurit sur les « tombeaux, » disent les poésies sanscrites. Dans les déclivités des roches déboisées, végètent mal des citronniers amers, des cocotiers porte-noix, des mélèzes et des conises dont on recueille la gomme attachée à la barbe des chèvres.

Napoléon se plaisait aux saules de la fontaine ; il demandait la paix à la vallée de Slane,

comme Dante banni demandait la paix au cloître de Corvo. En reconnaissance du repos passager qu'il y goûta les derniers jours de sa vie, il indiqua cette vallée pour l'abri de son repos éternel. Il disait en parlant de la source: « Si Dieu voulait que je me rétablisse, j'élève<< rais un monument dans le lieu où elle jaillit.» Ce monument fut son tombeau. Du temps de' Plutarque, dans un endroit consacré aux nymphes aux bords du Strymon, on voyait encore un siége de pierre sur lequel s'était assis Alexandre.

Napoléon, botté, éperonné, habillé en uniforme de colonel de la garde, décoré de la Légion-d'Honneur, fut exposé mort dans sa couchette de fer; sur ce visage qui ne s'étonna jamais, l'âme, en se retirant, avait laissé une stupeur sublime. Les planeurs et les menuis iers soudèrent et clouèrent Bonaparte en une quadruple bière d'acajou, de plomb, d'acajou encore et de ferblanc; on semblait craindre qu'il ne fût jamais assez emprisonné. Le manteau

que le vainqueur d'autrefois portait aux vastes funérailles de Marengo servit de drap mortuaire au cercueil.

Les obsèques se firent le 28 mai. Le temps était beau; quatre chevaux, conduits par des palefreniers à pied, tiraient le corbillard; vingtquatre grenadiers anglais, sans armes, l'environnaient; suivait le cheval de Napoléon. La garnison de l'île bordait les précipices du chemin. Trois escadrons de dragons précédaient le cortége; le 20° régiment d'infanterie, les soldats de marine, les volontaires de Sainte-Hélène, l'artillerie royale avec quinze pièces de canon, fermaient la marche. Des groupes de musiciens, placés de distance en distance sur les rochers, se renvoyaient des airs lugubres. A un défilé, le corbillard s'arrêta; les vingt-quatre grenadiers sans armes enlevèrent le corps et eurent l'honneur de le porter sur leurs épaules jusqu'à la sépulture. Trois salves d'artillerie saluèrent les restes de Napoléon au moment où il descendit dans la terre: tout le bruit qu'il

avait fait sur cette terre ne pénétrait pas à deux lignes au-dessous.

Une pierre, qui devait être employée à la construction d'une nouvelle maison pour l'exilé, est abaissée sur son cercueil comme la trappe de son dernier cachot.

On récita les versets du psaume 87 : « J'ai « été pauvre et plein de travail dans ma jeu« nesse ; j'ai été élevé, puis humilié... j'ai été

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percé de vos colères. » De minute en minute

le vaisseau amiral tirait. Cette harmonie de la guerre, perdue dans l'immensité de l'Océan, répondait au requiescat in pace. l'empereur, enterré par ses vainqueurs de Waterloo, avait ouï le dernier coup de canon de cette bataille; il n'entendit point la dernière détonation dont l'Angleterre troublait et honorait son sommeil à Sainte-Hélène. Chacun se retira, tenant en main une branche de saule comme en revenant de la fête des Palmes.

Lord Byron crut que le dictateur des rois avait abdiqué sa renommée avec son glaive,

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