Page images
PDF
EPUB

Les hommes ne se goûtent qu'à peine les uns les autres, n'ont qu'une faible pente à s'approuver réciproquement : action, conduite, pensée, expression, rien ne plaît, rien ne contente. Ils substituent à la place de ce qu'on leur récite, de ce qu'on leur dit, ou de ce qu'on leur lit, ce qu'ils auraient fait eux-mêmes en pareille conjoncture, ce qu'ils penseraient ou ce qu'ils écriraient sur un tel sujet; et ils sont si pleins de leurs idées, qu'il n'y a plus de place pour celles d'autrui.

Le commun des hommes est si enclin au déréglement et à la bagatelle, et le monde est si plein d'exemples ou pernicieux ou ridicules, que je croirais assez que l'esprit de singularité, s'il pouvait avoir ses bornes et ne pas aller trop loin, approcherait fort de la droite raison et d'une conduite régulière.

Il faut faire comme les autres : maxime suspecte, qui signifie presque toujours, Il faut mal faire, dès qu'on l'étend au delà de ces choses purement extérieures qui n'ont point de suite, qui dépendent de l'usage, de la mode ou des bienséances.

res,

Si les hommes sont hommes plutôt qu'ours ou panthès'ils sont équitables, s'ils se font justice à eux-mêmes et qu'ils la rendent aux autres, que deviennent les lois, leur texte, et le prodigieux accablement de leurs commentaires? que devient le pétitoire et le possessoire, et tout ce qu'on appelle jurisprudence? où se réduisent même ceux qui doivent tout leur relief et toute leur enflure à l'autorité où ils sont établis de faire valoir ces mêmes lois? Si ces mêmes hommes ont de la droiture et de la sincérité, s'ils sont guéris de la prévention, où sont évanouies les disputes de l'école, la scolastique et les controverses? S'ils sont tempérants, chastes et modérés, que leur sert le mysté

rieux jargon de la médecine, et qui est une mine d'or pour ceux qui s'avisent de le parler? Légistes, docteurs, méde rins, quelle chute pour vous, si nous pouvions tous nous donner le mot de devenir sages!

De combien de grands hommes dans les différents exercices de la paix et de la guerre aurait-on dû se passer! A quel point de perfection et de raffinement n'a-t-on pas porté de certains arts et de certaines sciences qui ne devaient point être nécessaires, et qui sont dans le monde comme des remèdes à tous les maux dont notre malice est l'unique source!

Que de choses depuis VARRON, que Varron a ignorées! Ne nous suffirait-il pas même de n'être savants que comme PLATON OU Comme SOCRATE?

Tel, à un sermon, à une musique, ou dans une galerie de peintures, a entendu à sa droite et à sa gauche, sur une chose précisément la même, des sentiments précisément opposés. Cela me ferait dire volontiers que l'on peut hasarder, dans tout genre d'ouvrages, d'y mettre le bon et le mauvais : le bon plaît aux uns, et le mauvais aux autres; l'on ne risque guère davantage d'y mettre le pire, il a ses partisans.

Le phénix de la poésie chantante renaît de ses cendres; il a vu mourir et revivre sa réputation en un même jour. Ce juge même si infaillible et si ferme dans ses jugements, le public, a varié sur son sujet; ou il se trompe, ou il s'est trompé: celui qui prononcerait aujourd'hui que Quinault, en un certain genre, est un mauvais poëte, parlerait presque aussi mal que s'il eût dit il y a quelque temps, Il est bon poëte.

C. P.'était riche, et C. N. ne l'était pas la Pucelle 1 Ghapelain.

? Corneille.

et Rodogune méritaient chacune une autre aventure. Ainsi l'on a toujours demandé pourquoi, dans telle ou telle profession, celui-ci avait fait sa fortune, et cet autre l'avait manquée; et en cela les hommes cherchent la raison de leurs propres caprices, qui, dans les conjonctures pressantes de leurs affaires, de leurs plaisirs, de leur santé et de leur vie, leur font souvent laisser les meilleures et prendre les pires.

La condition des comédiens était infâme chez les Romains, et honorable chez les Grecs : qu'est-elle chez nous ? On pense d'eux comme les Romains, on vit avec eux comme les Grecs.

Il suffisait à Bathylle d'être pantomime pour être couru des dames romaines; à Rhoé, de danser au théâtre ; à Roscie et à Nérine, de représenter dans les chœurs, pour s'attirer une foule d'amants. La vanité et l'audace, suites d'une trop grande puissance, avaient ôté aux Romains le goût du secret et du mystère; ils se plaisaient à faire du théâtre public celui de leurs amours : ils n'étaient point jaloux de l'amphithéâtre, et partageaient avec la multitude les charmes de leurs maîtresses. Leur goût n'al lait qu'à laisser voir qu'ils aimaient, non pas une belle personne, ou une excellente comédienne, mais une comédienne.

Rien ne découvre mieux dans quelle disposition sont les hommes à l'égard des sciences et des belles-lettres, et de quelle utilité ils les croient dans la république, que le prix qu'ils y ont mis, et l'idée qu'ils se forment de ceux qui ont pris le parti de les cultiver. Il n'y a point d'art si mécanique, ni de si vile condition, où les avantages ne soient plus sûrs, plus prompts et plus solides. Le comédien couché dans son carrosse jette de la boue au visage de COR

NEILLE, qui est à pied. Chez plusieurs, savant et pédant sont synonymes.

Souvent où le riche parle, et parle de doctrine, c'est aux doctes à se taire, à écouter, à applaudir, s'ils veulent du moins ne passer que pour doctes.

Il y a une sorte de hardiesse à soutenir devant certains esprits la honte de l'érudition : l'on trouve chez eux une prévention tout établie contre les savants, à qui ils ôtent les manières du monde, le savoir-vivre, l'esprit de société, et qu'ils renvoient ainsi dépouillés à leur cabinet et à leurs livres. Comme l'ignorance est un état paisible, et qui ne coûte aucune peine, l'on s'y range en foule, et elle forme à la cour et à la ville un nombreux parti qui l'emporte sur celui des savants. S'ils allèguent en leur faveur les noms d'ESTRÉES, de HARLAY, BOSSUET, SÉGUIER, Montausier, VARDES, CHEVREUSE, NOVION, LAMOIGNON, SCUDÉRY', PELLISSON, et de tant d'autres personnages également doctes et polis; s'ils osent même citer les grands noms de CHARTRES, de CONDÉ, de CONTI, de BOURBON, du MAINE, de VENDÔME, comme de princes qui ont su joindre aux plus belles et aux plus hautes connaissances et l'atticisme des Grecs et l'urbanité des Romains, l'on ne feint point de leur dire que ce sont des exemples singuliers; et s'ils ont recours à de solides raisons, elles sont faibles contre la voix de la multitude. Il semble néanmoins que l'on devrait décider sur cela avec plus de précaution, et se donner seulement la peine de douter si ce même esprit qui fait faire de si grands progrès dans les sciences, qui fait bien penser, bien juger, bien parler, et bien écrire, ne pourrait point encore servir à être poli.

• Mademoiselle de Scudéry. (La.Bruyère.)

Il faut très-peu de fonds pour la politesse dans les manières : il en faut beaucoup pour celle de l'esprit.

[ocr errors]

Il est savant, dit un politique, il est donc incapable d'affaires; je ne lui confierais pas l'état de ma garde-robe; et il a raison. OSSAT, XIMENÈS, RICHELIEU, étaient savants : étaient-ils habiles? ont-ils passé pour de bons ministres ? Il sait le grec, continue l'homme d'État; c'est un grimaud, c'est un philosophe. Et en effet, une fruitière à Athènes selon les apparences, parlait grec, et par cette raison était philosophe. Les BIGNON, les LAMOIGNON, étaient de purs grimauds; qui en peut douter? ils savaient le grec. Quelle vision, quel délire au grand, au sage, au judicieux ANTONIN, de dire qu'alors les peuples seraient heureux, si l'empereur philosophait, ou sile philosophe, ou le grimaud, venait à l'empire!

Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences, et rien davantage : le mépris des unes tombe sur les autres. Il ne s'agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, mortes ou vivantes; mais si elles sont grossières ou polies, si les livres qu'elles ont formés sont d'un bon ou d'un mauvais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le sort de la grecque et de la latine; serait-on pédant, quelques siècles après qu'on ne la parlerait plus, pour lire MOLIÈRE OU LA FONTAINE?

Je nomme Euripile, et vous dites: C'est un bel esprit; vous dites aussi de celui qui travaille une poutre, Il est charpentier; et de celui qui refait un mur, Il est maçon. Je vous demande quel est l'atelier où travaille cet homme de métier, ce bel esprit ? quelle est son enseigne ? à quel habit le reconnaît-on? quels sont ses outils? est-ce le coin? sont-ce le marteau ou l'enclume? où fend-il, où cogne-t-il son ouvrage? où l'expose-t-il en vente? un ouvrier se pi

« PreviousContinue »