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René Descartes naquit à la Haye, petite ville de la Touraine, le 31 mars 1596, d'une famille noble, originaire de Bretagne. Il était d'une constitution très-faible. A l'âge de huit ans, son père, conseiller au parlement de Rennes, l'envoya au collége de La Flèche, que Henri IV venait de donner aux Jésuites. Il s'y distingua de bonne heure par une extrême passion pour l'étude. Il s'y lia d'une tendre et inviolable amitié avec Marin Mersenne, qui, né l'an 1588, dans un bourg du Maine, embrassa l'ordre des Minimes, en 1611, fut un savant de premier ordre, l'ami, le correspondant universel des savants de son époque, en même temps un parfait religieux, et mourut à Paris, en 1648, auteur d'un grand nombre d'ouvrages. Son ami, René Descartes, eut terminé son cours de philosophie à l'âge de seize ans. Il résolut alors de procéder par lui-même à l'examen et au jugement scientifique de toutes ses connaissances.

Nous avons vu, dit le savant abbé Rorhbacher, Aristote rédiger l'inventaire net et précis de tout ce que savait l'antiquité païenne. Nous avons vu quelques moines du treizième siècle, saint Thomas d'Aquin, saint Bonaventure, Albert le Grand, Vincent de Beauvais, Roger Bacon, résumer dans un style clair et net toutes les sciences contemporaines, y ajouter eux-mêmes beaucoup de découvertes, et ouvrir la voie pour en faire d'autres. Ils profitaient du résumé universel d'Aristote; mais, d'après l'esprit d'Aristote même, ils rectifiaient tout ce que la foi chrétienne et l'expérience des siècles y avaient fait apercevoir d'inexact et d'incomplet. Le genre humain apparaît comme un individu collectif, un père de famille, qui, à certaines époques, fait l'inventaire de tout son avoir, la visite de toute sa maison, pour en constater l'ensemble et s'assurer si tout y est solide. Il serait bien à souhaiter, de nos jours, que quelques religieux de Saint-Dominique, de SaintFrançois, de Saint-Ignace, de Saint-Benoît, ou d'autres, fissent un

I. E. F.

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inventaire semblable des sciences actuelles. Le monde même leur pardonnerait volontiers cette ambition.

Dans les commencements du dix-septième siècle, il paraît que certains professeurs de philosophie naturelle, au lieu de faire comme Thomas d'Aquin et Roger Bacon, de profiter des travaux d'Aristote pour aller plus loin, s'y attachaient superstitieusement comme les Juifs à la lettre morte de la sainte Ecriture. René Descartes, comme autrefois Roger Bacon, secoua cette superstitieuse servitude, et soumit à un sévère examen, non pas les premières notions, les premiers principes de la raison naturelle, mais les conclusions scientifiques qu'il en avait tirées jusqu'alors. Il consacra sa vie entière à ce travail.

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Ses parents voulurent le marier à une personne très-convenable. Descartes, qui ne la trouvait point laide, lui dit pour toute galanterie qu'il ne trouvait point de beautés comparables à celle de la vérité : il ne se maria point. Son génie le portait spécialement vers la géométrie, où il fit des découvertes importantes. Pour perfectionner ses idées, il se mit à voyager, en prenant le parti des armes : il servit effectivement comme volontaire dans les troupes de la Hollande et du duc de Bavière. Étant en quartier d'hiver dans ce dernier pays, l'an 1619, il s'occupait fort du genre de vie et d'étude qu'il devait suivre il recourut à Dieu, et le pria de lui faire connaître sa volonté et de le conduire luimême dans la recherche de la vérité. Il implora le secours de la sainte Vierge, et fit vœu de visiter l'église de Lorette en Italie. Son pèlerinage n'eut lieu qu'en 1624 il avait alors vingt-neuf ans. Dès les premiers jours, il promit à Dieu que, dès qu'il serait à Venise, il poursuivrait à pied sa route, et que, si ses forces ne lui permettaient pas de supporter cette fatigue, il y supplérait en prenant au moins l'extérieur le plus dévot et le plus humble. C'est Descartes lui-même qui nous apprend ces particularités. De Lorette il se rendit à Rome, autant pour y profiter de la grâce du jubilé de vingt-cinq ans, qui devait s'ouvrir à la fin de la même année, que pour y contempler en philosophe cette foule immense qui devait y aborder de toute l'Europe catholique, et par conséquent le dispenser de voyager davantage pour connaître les hommes.

Il revint en France en 1625, et résolut définitivement de consacrer tout le cours de sa vie et toutes les forces de son âme à la recherche et à la défense de la vérité. Mais, craignant que, s'il restait en France, il n'y fût ni assez seul ni assez libre, il se retira au fond de la Hollande. Le lieu où il résida le plus longtemps fut Egmont; il le préférait à tous les autres, parce que

DESCARTES.

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les catholiques y formaient le plus grand nombre des habitants, qu'ils étaient en possession d'une église, et qu'ils exerçaient leur religion publiquement et avec une parfaite liberté. Le voisinage de quelques prêtres catholiques très-estimables et la facilité de communiquer avec eux influèrent encore dans le choix de cette résidence. En arrivant en Hollande, il s'était d'abord établi à Francker, parce qu'on disait la messe avec sûreté. Fidèle aux principes et aux devoirs de l'Eglise catholique, il évitait avec soin toute communication avec les protestants dans leurs exercices religieux. Le Père Mersenne lui ayant écrit que le bruit s'était répandu qu'il assistait aux sermons des calvinistes, il voulut se justifier de cette imputation dans le moment même.

Un des ouvrages qui occupèrent d'abord Descartes fut le Traité du Monde. Il était prêt à l'envoyer au Père Mersenne, qui devait le faire imprimer à Paris; mais au moment de l'envoi, il apprit que Galilée venait d'être condamné à Rome pour avoir soutenu que la terre tournait autour du soleil. Or, Descartes soutenait ou supposait la même doctrine. Cette nouvelle l'arrêta tout court. Non-seulement il suspendit l'envoi de son ouvrage au Père Mersenne, mais il lui écrivit qu'il était presque résolu de le brûler, ou du moins de ne le laisser voir à personne. Sa lettre est du 20 novembre 1633; il ajoutait : « Le mouvement de la terre est tellement lié avec toutes les parties de mon traité, que je ne l'en saurais détacher sans rendre le reste entièrement défectueux. Je ne voudrais pas pour rien au monde qu'il sortît de moi un discours où il se trouvât le moindre mot qui fût désapprouvé par l'Église; mais aussi j'aime mieux supprimer mon traité que de le faire paraître estropié. » Deux mois après, il écrivait au même : « Je ne voudrais pas pour rien au monde soutenir mon opinion contre l'autorité de l'Église. Je sais bien qu'on pourrait dire que tout ce que les inquisiteurs ont décidé n'est pas incontinent article de foi pour cela, et qu'il faut, premièrement, que le concile y ait passé; mais je ne suis pas si amoureux de mes pensées que de vouloir me servir de telles exceptions pour les maintenir. » Enfin, au bout de dix ans, l'année 1644, rassuré par les éclaircissements qu'il avait obtenus de Rome, et par l'exemple de tout ce qui existait d'habiles philosophes et mathématiciens catholiques, qui avaient été moins intimidés que lui par le décret de l'inquisition, il publia son livre des Principes de philosophie, quoiqu'il y suppose ouvertement que la terre tourne autour du soleil. Mais ce livre même renferme un témoignage de sa docilité religieuse; et il le termine par protester qu'il soumet toutes ses opinions au jugement de l'Église.

Descartes, en Hollande, n'était pas tellement occupé des sciences mathématiques qu'il négligeât l'étude de la religion. Il lisait saint Thomas; c'était son théologien favori et presque son unique théologien. Il le cite souvent avec complaisance, et sa Somme, ainsi que la Bible, l'accompagnait partout. « Je ne suis pas aussi dépourvu de livres que vous pensez, écrivait-il au Père Mersenne, et j'ai encore une Somme de saint Thomas et une Bible que j'ai apportées de France. »

Dans les biographies de Descartes, on dit qu'il eut une fille, suivant les uns, d'un mariage secret, suivant les autres, d'une union illégitime. Quelques-uns prétendent que c'est un conte inventé à l'occasion d'un automate qu'il avait fait, avec beaucoup d'industrie, pour prouver que les bêtes n'ont point d'âme, et que ce ne sont que des machines fort composées, qui se remuent à l'occasion des corps étrangers qui les frappent et leur communiquent une partie de leur mouvement.

L'an 1641, il fit imprimer ses six méditations sur l'existence de Dieu et sur l'immortalité de l'âme. Lui-même nous assure qu'il ne le fit que pour la gloire de Dieu et la décharge de sa conscience. Il dit à la fin de la troisième méditation: « Il me semble très à propos de m'arrêter quelque temps à la contem-plation de ce Dieu tout parfait, de peser tout à loisir ses merveilleux attributs, de considérer, d'admirer et d'adorer l'incomparable beauté de cette immense lumière, autant que la force de mon esprit, qui en demeure en quelque sorte ébloui, me le pourra permettre. » Il ajoute aussitôt : « Comme la foi nous apprend que la souveraine félicité de l'autre vie ne consiste que dans la contemplation de la majesté divine, ainsi expérimentons-nous, dès à présent, qu'une semblable méditation, quoique incomparablement moins parfaite, nous fait jouir du plus grand contentement que nous soyons capables de ressentir en cette vie. >>

Telle était l'idée qu'il avait conçue de la grandeur de Dieu, de sa puissance, de son indépendance, de sa sagesse, qu'il voulait que le mot infini ne fût jamais appliqué qu'à lui seul, qu'il ne fût employé que pour lui seul, qu'on ne se permît pas même de dire que la matière est divisible à l'infini; et enfin, il ne parlait de l'infini qu'avec une circonspection sans bornes. « Je n'ai jamais traité de l'infini, écrivait-il, que pour me soumettre à lui, et non point pour déterminer ce qu'il est ou ce qu'il n'est pas. » Dans le sentiment profond de la toute-puissance de Dieu, il ne voulait pas qu'on dît d'aucune chose qu'elle est impossible à Dieu; qu'on dit que les essences sont indépendantes de la volonté

de Dieu; enfin s'il était possible de porter jusqu'à un véritable excès la vénération de Dieu, l'idée de sa puissance, Descartes serait coupable de cet excès; et s'il est tombé dans quelque erreur en métaphysique, c'est son extrême respect pour Dieu qui l'y a poussé. Ces réflexions sont du respectable abbé Emery, supérieur de Saint-Sulpice, dans sa Vie religieuse de Descartes.

L'an 1644, Descartes fit le voyage de Paris; il n'y passa que quelques jours. Dans ce court espace de temps, il fut accablé d'affaires, ainsi que de visites; toutefois il vit fréquemment les Théatins, nouvellement établis dans cette capitale, il contracta une amitié particulière avec plusieurs de ces saints religieux, et entendit presque tous les jours la messe dans leur chapelle. Il était également lié d'amitié avec les principaux membres de l'Oratoire le supérieur, le cardinal de Bérulle, était son directeur spirituel à Paris; un oratorien lui rendait le même service en Hollande. Enfin, aux traits précédents qui prouvent la sincère piété de Descartes et sa fidélité à remplir tons les devoirs de la religion chrétienne, ajoutons que, lorsqu'il apprenait que ses amis étaient malades, il sollicitait auprès de Dieu le rétablissement de leur santé; et s'ils mouraient, il priait pour le repos de leurs âmes. C'est lui-même qui nous l'apprend dans la cinquanteunième lettre du second volume.

Descartes quitta bientôt Paris, qu'il ne devait plus revoir, et rentra dans sa chère solitude d'Egmont. Il y était souvent le conseil des personnes qui, dans la révolution religieuse de Hollande, flottaient sur le parti qu'elles avaient à prendre, et il réussissait ordinairement à les affermir dans la foi catholique. Un honnête homme qui ne le connaissait pas, vint un jour le trouver comme un personnage célèbre que l'on consultait volontiers sur ces matières. Descartes l'accueillit avec bonté, et, sans le faire entrer dans la discussion des dogmes, il se contenta de lui demander s'il croyait l'église protestante fort ancienne, s'il en connaissait les commencements, s'il avait entendu parler de la conduite et des motifs des premiers réformateurs, de leur mission, de leur autorité et des moyens qu'il avaient mis en œuvre pour accréditer la réformation. D'après les réponses et les aveux du consultant, il lui fit tirer des conclusions qui aboutirent à faire cesser toutes ses perplexités, et à l'attacher inébranlablement à la foi de ses pères.

Ce fut peut-être ce zèle pour la foi catholique, non moins que ses nouveaux principes de philosophie, qui indisposa contre Descartes les théologiens protestants d'Utrecht et de Leyde. Leur chef était le ministre calviniste Voët, recteur de l'université d'Utrecht: il fit soutenir des thèses, il répandit des libelles atroces,

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