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et vertueuses dames de la cour. Sans réflexion, sans retour sur lui-même; d'une humeur à la fois frivole et soldatesque, d'une forfanterie toute gasconne quand il s'agit de sa naissance et de ses hauts faits, il voit tout et ne juge rien, il répète tout, sans penser à rien, vrai perroquet de cour, et d'autant plus piquant qu'il est moins profond, qu'il ne cherche à rien voiler, et que tous les vices de son siècle viennent se refléter dans l'imprudente ingénuité de son ouvrage. La mobilité de son esprit, plutôt que de son cœur, l'associe aux événements qu'il raconte : on le voit sensible aux malheurs de Marie Stuart, frappé de la sévérité du vieux connétable de Montmorency, étonné de la grandeur romaine du chancelier L'Hopital, charmé de l'héroïsme de Bayard. Quoique son style n'ait ni éclat ni précision, il s'anime dans le récit des combats et dans celui des débauches; reproduit fort bien le caquet des courtisans et des femmes, et rend avec une vérité prolixe ces impressions diverses qui le dominent tour à tour, sans jamais lui inspirer d'estime pour le bien, ni de haine pour le vice.

Le nom de Sully se retrouve aussi parmi ceux des mémorialistes du XVIe siècle. Le grand ministre, le ministre bien-aimé de Henri IV, écrivit, dans sa retraite, après la mort de son prince et de son ami, ce qu'il a intitulé ses Econnomies royales. C'est encore un tableau des règnes de Charles IX, Henri III et Henri IV. Le règne de ce dernier surtout y occupe la plus grande place: la peinture de ses mœurs et de ses habitudes domestiques s'y trouve mêlée aux plus hautes considérations sur les affaires publiques. Les Econnomies sont écrites avec une clarté et une élégance qui ne sont pas exemptes d'une certaine raideur, qu'on appellerait de nos jours aristocratique. La forme adoptée par Sully est bizarre; il suppose que ses secrétaires lui racontent l'histoire de sa propre vie. Sans doute, il eût semblé peu séant au duc de Sully, qui tenait un état de prince, de solliciter directement l'approbation d'un lecteur : en abdiquant ainsi le rôle de narrateur, Sully ne perdait pas un éloge, et sa dignité princière était sauve.

C'est ici le lieu de citer deux autres personnages qui secondèrent Henri IV dans ses améliorations de la fortune publique, et qui nous ont laissé, si l'on peut parler ainsi, des Mémoires d'économie politique et d'agriculture.

L'un est Barthélemy de Laffemas, contrôleur du commerce, auteur de plusieurs ouvrages d'économie politique, remplis de vues excellentes, remarquables par la simplicité du style, et peu connus parce qu'ils ne sont qu'utiles. Le premier, il indiqua clairement les sources de le richesse publique, provoqua l'uniformité du système des poids et mesures, prouva la nécessité des expor

tations, et demanda l'établissement de la manufacture des Gobelins idées supérieures à son siècle, comprises et approuvées par Henri IV, et que Sully, dans son amour exclusif pour le pastourage et le labourage, avait quelquefois combattues.

L'autre est Olivier de Serres, patriarche des écrivains agronomes, celui qui, par l'ordre exprès du roi, introduisit la culture du mûrier en France. De seigneur devenu fermier au milieu des guerres civiles, il s'était constamment occupé de cultiver la terre que ses contemporains arrosaient de sang français. Après avoir pratiqué l'agriculture toute sa vie, il réduisit en système les résultats de son expérience, et publia le Théâtre d'Agriculture, ou le Ménage des Champs. Comme Montaigne, il est l'homme de son livre; sa bonhomie, souvent profonde et précise, devient pittoresque dans la description des lieux qu'il faut choisir, des soins qu'il faut prendre pour favoriser la végétation et la fructification. Son juste respect pour l'agriculture va jusqu'à l'enthousiasme : rien n'est plus piquant, plus éloquent, ni mieux raisonné que les pages où il prouve la nécessité de rédiger et de publier la théorie de cet art, au lieu de se contenter de la pratique. La conclusion animée, par laquelle il lie ensemble et rattache l'un à l'autre les différents lieux ou livres de son ouvrage, et la péroraison du patriarche qui s'adresse à Dieu pour que la culture des champs. fleurisse toujours en France, portent le caractère de la plus haute éloquence. C'était le livre favori de Henri IV, qui, tous les jours après son dîner, s'en faisait lire quelques pages. La manière d'écrire d'Olivier se rapproche beaucoup de celle de Montaigne et de Montluc c'est assez en faire l'éloge.

Marguerite de Valois, fille de Henri II, et première épouse de Henri IV, unit, par une nuance très-marquée, le xvre siècle au XVII. La rapidité, les grâces, l'art de la narration, se trouvent chez elle à un haut degré. C'est le dévoloppement et la perfection de Christine de Pisan. Marguerite en a le savoir, la finesse et de plus une élégance, un goût, une mesure, que Christine n'a pas. Plus de ces phrases embarrassées, de ces tours languissants, de ces éternelles incises qui retardent le récit et cachent la pensée; plus de ces digressions dans lesquelles disparaît le fait principal : tout est net, tout est clair, tout est précis, tout est vif et animé. Nourrie, comme Christine, aux fortes études, comme elle sachant grec et latin, Marguerite de Valois a donné à son style un tour mâle en même temps que souple et facile. Son expression est naïve et pittoresque; les souvenirs de l'étude la soutiennent sans la gêner. Ses idées se revêtent d'images naturelles; ce qu'elle a vu, elle le peint; ce qu'elle a senti, elle le communique à l'âme.

I. E. F.

3

Son trait vif et ingénieux, soudain et léger, son tact heureux et délicat, sa grâce facile, ont le mérite particulier à la langue française, ce don de conter que nulle autre nation ne possède au même degré; c'est presque madame de Sévigné. Dans toutes les ́deux il y a du Bossuet: tant la nature est près du sublime ! tant les inspirations de l'âme sont voisines du génie! ou plutôt le génie, c'est l'âme.

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D'Aubigné, que nous avons considéré comme poëte (*), mérite une mention comme prosateur. On a de lui des Mémoires et le premier essai d'une Histoire universelle.

Les Mémoires de d'Aubigné, remarquables par la fermeté vive de l'expression, furent écrits sous le règne de Louis XIII; l'auteur était très-vieux; son style est jeune. Par les scènes qu'il retrace, par le ton et la manière, cet ouvrage appartient au xvIe siècle. D'Aubigné écrit, comme Saint-Simon écrivait plus tard, avec un abandon, une vivacité guerrière et une grande verve d'ironie. Dès que l'on a commencé la lecture de ses Mémoires, il faut les achever le roman le plus animé n'offre pas plus d'intérêt. Tout ce qu'il y avait d'ardent, d'inipétueux, d'étourdi, de singulier dans cette jeunesse gasconne et calviniste, qui se pressait autour du panache blanc de Henri IV, se trouve chez d'Aubigné. Le commencement de ces piquants Mémoires est noble comme de l'histoire ancienne; et quand l'auteur retrace des combats, vous diriez la touche hardie et véhémente, le feu, la vérité, qui distinguent Salvator Rosa et le Bourguignon dans leurs tableaux d'escarmouches.

Quant à son Histoire universelle, comme le dit fort bien l'auteur des Trois Siècles littéraires, elle porte l'empreinte de son âme, c'est-à-dire qu'elle est écrite avec beaucoup de liberté, d'enthousiasme et de négligence. Elle embrasse une période de cinquante et un ans, depuis 1550 jusqu'à 1601. Dès son apparition, elle excita la colère du parlement, qui la fit brûler par la main du bourreau. On lui reprochait d'outrager la majesté royale et de faire jouer à Henri IV le rôle le plus odieux, Telle qu'eile est, cette histoire n'atteint pas le but qué s'était proposé d'Aubigné. Diffuse et violente, elle n'a ni la hauteur, ni l'unité, qui

(Histoire de la Poésie française au seizième siècle.

doivent être le caractère d'un tel ouvrage; mais elle offre des détails curieux, des particularités intéressantes; c'est un journal piquant et quelquefois instructif; ce n'est point une puissante et vaste généralisation.

Le grand travail historique de ce siècle, la première image d'une histoire universelle, c'est l'ouvrage du président Jacques de Thou.

De Thou.

Jacques-Auguste de Thou naquit à Paris en 1553, et mourut dans cette ville en 1617. Fils de Christophe de Thou, premier président du parlement de Paris, et neveu d'Augustin et Nicolas de Thou, l'un magistrat incorruptible, l'autre prélat éclairé et courageux, qui mérita si bien l'honneur que lui réservait la Providence, de sacrer Henri IV, le jeune de Thou eut le bonheur de trouver dans sa famille l'exemple des vertus publiques et privées qui honorèrent sa vie.

Nommé président à mortier, le devoir l'obligea ensuite de renoncer aux travaux de la magistrature pour voler au secours de la royauté chancelante.

En 1586, après la journée des barricades, il sortit de Paris et se rendit à Chartres auprès de Henri III. Il apportait, jeune encore, aux conseils de son roi la maturité d'un homme d'État vieilli dans la politique. « A peine arrivé près de ce prince, dit M. Patin, il reçoit l'importante mission de parcourir les provinces du royaume pour sonder les dispositions des gouverneurs et des magistrats, pour ranimer les espérances des gens de bien, décourager celles des méchants, ramener les esprits prévenus, pour arrêter enfin, s'il était possible, les progrès contagieux de cet esprit de faction qui menaçait de gagner toute la France. De Thou prodigua, dans ces soins multipliés, sa fortune, sa santé, sa vie, suppléant à la débilité de sa constitution et à l'épuisement de ses forces par l'ardeur de son dévouement, bravant tous les dangers que rencontrait à chaque pas la fidélité sur le sol désolé de notre malheureuse patrie. Ce n'était pas seulement en France qu'il cherchait des amis à la bonne cause; il allait négocier pour elle en Allemagne, en Suisse, en Italie, des emprunts d'argent et des levées d'hommes. »

Le devoir avait lié de Thou à la cause de Henri III; des liens plus doux et plus forts peut-être l'attachèrent à la cause de Henri IV, qui l'employa dans les plus importantes négociations et lui donna, en 1591, la charge de grand-maître de la bibliothèque du roi, après la mort de Jacques Amyot.

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