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dans l'homme, trouve en Dieu sa suprême con

ception.

L'étude de l'idéalité et de la loi n'est que le prodrome de la morale. Son véritable objet est la réalisation du bien; son but essentiel est la perfection des êtres faits pour la réaliser.

La morale est donc pour l'homme la science d'une éducation propre ou d'une transformation volontaire qui doit aboutir à la perfection. Et puisque, pour connaître le bien et ses règles absolues, il faut puiser où se puise toute science souveraine, là où est aussi le vrai pur, où est le beau absolu; puisque l'étude du contingent ou du relatif ne donne pas l'idéal; puisque le parfait ne se trouve ni dans la raison subjective, ni dans la raison impersonnelle, qui ne sont que des reflets; puisqu'enfin le bien suprême ne se prend que dans l'intelligence suprême, on peut définir la morale la science des lois divines appliquées à la nature humaine.

Les définitions de la morale peuvent varier, mais elles n'affectent ni sa nature ni son objet. qui sont d'une grande évidence. Il est des moralistes qui ne s'arrêtent plus à la définir. Il est des définitions qui éblouissent plutôt qu'elles n'éclairent, témoin celle d'un moraliste moderne pour lequel « l'éthique est, dans sa conception générale, la science de l'esprit absolu en tant

qu'il réalise en une réalité infinie sa conscience absolue. >>

La morale est facile à saisir. Si son idéalité et sa loi se trouvent en Dieu, son objet, son point de départ, sa mission et ses moyens se trouvent dans l'homme.

En effet, si la morale prend ses plus hautes conceptions dans la science de Dieu, dans la théologie, elle est essentiellement assise sur la science de l'homme, sur l'anthropologie.

De même qu'elle n'est pas toute la science de Dieu, elle n'est pas toute la science de l'homme. Elle ne s'occupe que de nos mœurs, "н. De là le nom de Éthique, 'Hz, que les écoles grecques ont donné à cette étude; nom que des moralistes modernes donnent encore les uns à la morale spéculative, les autres à la morale pratique, d'autres encore aux deux réunies. Ne cherchant dans nos mœurs que notre moralité, le but ou les fins de notre mission morale, et dirigeant les facultés ou les dispositions naturelles que nous apportons à cette œuvre, embrassant tout ce qui est du domaine du bien, la morale écarte le reste.

Quand on oppose le monde moral au monde matériel, quand on distingue le physique et le moral de l'homme, on donne au mot moral une étendue qui dépasse celle de la philosophie des mœurs. Celle-ci n'embrasse que les habitudes morales.

On fait quelquefois une objection toute scolastique, on dit que l'ensemble des règles de conduite de l'homme ne constitue pas une philosophie, et l'on s'appuie sur Aristote, qui combat la théorie des idées enseignées par Platon, nie l'idée du souverain bien, et conteste à la morale le rang d'une science rigoureuse. Cela est étrange de la part d'un philosophe, et cela ne s'explique pas plus que l'assertion du même moraliste, qu'il ne convient pas d'enseigner la morale aux jeunes gens ni à ceux qui sont encore sous l'empire des passions, quel que soit leur âge. D'autres aussi prennent la morale pour un collier de règles de conduite, telles qu'en donnaient les sept sages, ou pour un assortiment de maximes, comme La Rochefoucauld, ou une galerie de Caractères comme Théophraste et La Bruyère.

Ceux qui la comprennent comme une science sont tentés de la proclamer la science des sciences.

En effet, elle traite des devoirs suprêmes de l'homme au nom des vérités suprêmes; et les conséquences déduites de ses principes forment un ensemble étroitement lié, une vraie science. On y distingue deux parties.

L'une, plus spéculative, constate dans l'univers un ordre moral, et, dans l'homme, des facultés qui y correspondent. L'autre, plus pratique, considère les devoirs de l'homme comme membre de

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l'univers et dans ses rapports avec Dieu; comme membre d'une famille, d'un Etat, de l'humanité,

et dans ses rapports avec ses parents, ses concitoyens, ses frères; comme individu ou personnalité libre ayant à remplir des devoirs généraux qu'on appelle assez singulièrement devoirs envers lui-même. L'une est la conception de l'idéalité, l'autre l'application. Seulement il s'agit, dans celleci-même, non pas de ce qui est pratiqué, mais de ce qui doit l'être; ce qui l'est, la réalité est si défectueuse qu'elle n'est pas, il s'en faut, l'application de l'idéalité. C'est toutefois à elle qu'il faut s'attacher avec la plus énergique persévérance. L'idéalité, si absolue, si souveraine, si universelle qu'elle fût, ne serait qu'une conception illusoire, qu'une abstraction inféconde, n'était l'application. La morale ne prend corps que par la pratique. Et ceci n'est que trop vrai : les époques où la science est la plus belle, la théorie la plus riche, ne sont presque jamais celles où les mœurs sont les plus fortes et les plus pures.

Les définitions, les divisions et les terminologies de la morale varient sans cesse, ainsi que l'importance de chacune de ses parties et les principes mêmes qui leur servent de base. Mais l'ordre moral du monde ne change pas; c'est notre connaissance de cet ordre, c'est notre science seule qui change.

Aux époques de grands développements dans le sein de l'humanité, de grandes révolutions dans la vie des peuples, on voit une grande diversité de théories se succéder rapidement. Et suivant que le développement général est plus religieux, plus philosophique, plus politique ou plus littéraire, les théories qui prévalent portent tel cachet ou tel autre. Cette diversité doit fixer un instant notre attention.

Toute théorie morale, pour être acceptée de la raison, doit être d'une pureté absolue, d'une durée éternelle, d'une application universelle; telle en un mot que son autorité comme règle de conduite soit la même pour tous les êtres moraux, dans tous les temps, dans tous les lieux, quels que soient leur condition, la supériorité ou l'infériorité de leur rang, le degré de leur développement spirituel.

Toute doctrine morale prise à la source suprême a nécessairement ce triple caractère elle est souveraine, universelle et éternelle, comme l'Etre absolu en qui elle vit. Prise ailleurs, elle a ces trois imperfections: elle est secondaire, et point souveraine; elle est temporaire, et point éternelle; elle est particulière, individuelle ou nationale, et point universelle. Née dans la seule intelligence humaine, autorisée ou inspirée par elle seule, la morale est livrée aux ténèbres de

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