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sans lesquelles il ne peut y avoir un pouvoir

commun.

Quant au sacrifice à l'état social d'une partie de nos droits naturels, on a bien raison de dire que ces droits sont sacrés : ils sont inviolables. C'est pour cette raison qu'il faut les donner. Les donner librement pour un but supérieur, c'est les faire valoir tout leur prix.

L'Etat ne peut s'en passer, vu ses nécessités. Mais ne peut-il pas en demander au-delà ?

Sans nul doute. Aussi est-ce à la raison publique qu'appartient le grand droit de révision. Donner, c'est bien se priver, mais les plus belles lois du monde ne sont que les règles de la privation. Quand nous nous privons de nos biens, quand nous renonçons à nos droits par dévoûment et au nom de la raison publique, il n'y a pas dépouillement, nous pratiquons des vertus. Il n'y a de vertus sans sacrifice.

pas

Mais devons-nous renoncer à nos pensées, à nos sentiments, pour ce qui n'est pas nous ? Non; mais l'Etat c'est nous.

D'ailleurs, ce n'est pas réellement à nous, à notre vie intime que l'Etat nous fait renoncer; ce n'est ni à la pensée qui lui convient, ni même à celle qui ne lui convient pas, c'est à la seule manifestation de ce qui, dans notre pensée, est incompatible avec ses intérêts et ses devoirs. Il est

des théories excellentes, qui ne sont que la vérité et qui cependant sont pour l'Etat, pour la situation où il se trouve, pour les institutions qui le dominent, des sujets de trouble et d'inquiétude : celles-là il faut les voiler jusqu'à ce que leur jour vienne. Il en est d'autres qu'il faut dévoiler, qu'il faut mettre en demeure de se faire essayer, pour savoir si elles sont autre chose que des utopies. Il en est d'autres encore qu'il faut rejeter nettement, avec énergie : celles par exemple qui traitent d'abus et de tracas toute espèce de loi sur le culte public, sur la parole écrite, sur la circulation de chacun en tout lieu. Ce sont là évidemment des rêves chimériques. Entre le droit de tout dire, de tout imprimer, de tout adorer ou de tout envahir, et celui de tout penser ou de tout ambitionner, il y a un abîme au point de vue social comme au point de vue moral.

Tous les devoirs sociaux sont des privations. morales ou des sacrifices matériels que l'état social nous impose, cela est vrai; mais puisque cet état est une nécessité et qu'il ne peut subsister sans un ensemble de moyens matériels ou moraux, nous lui devons évidemment aussi toutes celles de nos pensées, de nos affections et de nos œuvres qui lui sont nécessaires. Nous lui devons surtout nos idées les meilleures, et les voiler par peur ou par bouderie, serait un acte de félonie. Nous lui

devons tous les sentiments d'un attachement loyal, et affecter l'indifférence ou cultiver le ressentiment par ton ou par antipathie, serait trahison. Nous lui devons un dévoùment sincère. Le service personnel sans sincérité serait une dégradation morale, celle d'un vil mercenaire; il convertirait en une ignominie ce qui est une des plus grandes gloires de l'homme et du citoyen.

4) Nos rapports avec la justice du pays.

L'ordre d'institutions qui a pour objet l'application précise des lois de l'Etat et le maintien des droits de chacun est d'une telle nécessité que, sans lui, nul pays ne serait habitable, nulle terre ne pourrait se cultiver. Sans une magistrature qui veille au respect de la propriété, et sans une police qui préside au maintien de la paix, nulle société n'est possible. La société grossièrement ébauchée, celle où le revolver joue encore un rôle, non pas dans la rue seulement, mais au sein des assemblées législatives, n'est pas la société. Or, dans les pays les plus civilisés, la majeure partie des cantons ruraux en seraient au revolver, sans un juge tout-puissant, et, en raison même du progrès de la civilisation, qui est toujours celui

des passions aussi, les grands foyers de celle-là, les capitales de l'Europe, seraient moins sûres que les forêts de l'Amérique. Ceux qui repoussent l'action publique dans l'intérêt de la liberté servent beaucoup plus la brutalité des mœurs que l'excellence des lois.

ou

La protection de la justice n'est pas moins nécessaire au maintien des biens supérieurs et des biens généraux qu'à la sécurité des biens maté– riels et à celle des intérêts particuliers. Que le vol et les violences soient réprimés, c'est quelque chose; ce qui est plus, c'est que la morale soit protégée, non pas par des mesures d'un moment on d'une heure, mais par des institutions permanentes, positives, éthiques sans doute, mais point utopiques. Des prisons pour le crime et des maisons de correction pour le vice sont aussi philanthropiques que des hospices pour les pauvres, des infirmeries pour les malades, des asiles pour les aliénés et les orphelins. Les plus beaux discours, les prix les plus honorables, les plus profondes leçons et les meilleurs exemples ne moraliseraient pas les hôtes de ces maisons.

Le bienfait des lois, l'oeuvre de l'administration et la mission de la justice ne s'arrêtent pas là. Il y a dans la loi sociale qu'elles protégent une puissance de discipline qui assujettit les forces et la vie rebelles au jong salutaire de la

loi morale. Tous les vices y trouvent une peine ou une barrière, toutes les vertus un appui et un encouragement. Les lois morales faites pour l'univers entier ne se suffiraient nulle part à elles seules, et nulle part elles ne prévaudraient si les lois politiques ne venaient à leur secours. J'en appelle aux lois contre le meurtre, le vol, les liaisons illicites et l'adultère, lois sans lesquelles la morale ne se maintiendrait dans aucune société humaine. On parle de la puissance de la nature; on a raison, elle est grande en son origine et éternelle comme son auteur; mais les lois naturelles les plus saintes en théorie ne se font respecter en pratique que par les lois sociales. La loi morale n'est pas une autorité assez forte même pour assurer l'affection filiale, témoin tant de pères et de mères tués à nos côtés par leurs enfants. La loi sociale n'est qu'une copie grossière de la loi morale; mais c'est ce qu'il faut aux âmes grossières leur donner précisément le seul guide dont elles comprennent la langue est un bienfait de l'ordre le plus élevé, et qui mérite la reconnaissance la plus sincère du philosophe.

5) Nos rapports avec l'Etat gérant les biens sociaux.

Ces rapports paraissent d'une simplicité extrême et n'imposer d'autres devoirs que des sacrifices

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