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meilleures intelligences, elles se sont rapprochées et quelquefois confondues de telle sorte que, malgré la différence de leurs principes, elles se distinguent souvent plus par la forme et le point de vue qui les domine que par leurs enseignements. Partout où règne le dogme chrétien, la morale philosophique est essentiellement chrétienne. Et en revanche, partout où règne la philosophie, la théologie est elle-même de la philosophie et la morale religieuse une morale philosophique. Ne pose-t-on pas sous nos yeux la question de savoir : «Si la théologie a produit ou peut se flatter de produire une morale religieuse qui réponde >> aux exigences de la science et se maintienne indépendante de la morale philosophique? Et » cette autre, à savoir si la morale chrétienne, » dès quelle cesse de revêtir la forme populaire, » ne tombe pas au pouvoir de la philosophie ? » Or à la manière dont les deux questions sont posées par les théologiens qui les élèvent, chacun pressent le résultat qu'ils établissent, c'est-à-dire la négative sur la première et l'affirmative sur la seconde.

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C'est là, en d'autres termes, proclamer la nécessité d'une absorption complète de la morale religieuse dans la morale philosophique. Or il en est de deux études qui se confondent en une seule comme de deux nations qui se mêlent :

l'effet du mélange est un asservissement de l'une par l'autre. Mais il est juste d'ajouter que l'absorption dans le sens qui vient d'être dit a peu de partisans, et que celle qui marche en sens contraire, avec des torts égaux, en compte un grand nombre. Les bons esprits ne veulent ni de l'une ni de l'autre; ni l'extinction de la morale philosophique, ni celle de la morale religieuse, ne leur sourit.

Des penseurs très-philosophiques et très-religieux discutent très-librement les avantages et les infériorités de l'une ou de l'autre, et maintiennent la distinction de toutes deux. Ces libertés, prises par la raison au nom d'un droit divin et imprescriptible, ne changent rien ni à la nature de la morale religieuse, ni à celle de la morale philosophique. Différentes, ayant chacune ses ca1actères et ses enseignements propres, elles ont chacune sa raison d'être dans la mission providentielle qu'elles ont à remplir. Et dans cette mission, qui se traduit en œuvres communes, est leur accord suprême.

Toutefois, chacun le sent, la morale issue du dogme est, de son essence même, religieuse d'une autre façon que la morale philosophique; elle se fonde sur un ensemble d'enseignements divins. Du moins la morale chrétienne proclame ce caractère sous chacune de ses formes; et, si variées

qu'elles soient, il n'en est pas une qui ne professe des principes étrangers à la philosophie, même la moins chrétienne.

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La morale philosophique est-elle nécessairement ennemie de toute morale religieuse?

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Oui, si elle croit toutes les religions également fausses; non, si elle en connaît une vraie pour elle car il est évident que, dans ce cas, elle voudra être d'accord avec cette religion, et qu'elle sera religieuse dans le sens le plus positif.

Dans un sens plus large encore, on doit qualifier de religieuse toute morale qui se fonde sur un ordre de choses voulu de l'Etre moral par excellence, sur le bien suprême, ou l'idéalité pure et absolue. Si indépendante qu'une philosophie se dise de toute religion positive, du moment où elle fonde sa morale sur Dieu, elle ne saurait, sans une inconséquence extrême, ne pas se subordonner tout entière au point de vue religieux. Or c'est là ce que doit faire la morale la plus jalouse de la pureté de son caractère philosophique, et si elle se rattache à Dieu, elle peut à très-juste titre se dire essentiellement religieuse. Sans doute, si elle est fille de la raison, elle a sa sanction là où est son origine. Toutefois, la raison humaine n'est que la

fille de la raison absolue, que la raison divine manifestée et réfléchie, et à ce titre la morale philosophique est en dernière analyse de même origine et de même nature que la morale essentiellement religieuse.

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On l'a proclamée supérieure. «Seule, a-t-on dit, elle est l'idéalité pure, la perfection absolue. Toute morale religieuse, déduite d'un système positif, est teinte des nuances de ce système; née en un temps donné, issue d'une civilisation nationale, elle ne saurait être autre chose qu'une théorie empreinte de couleurs locales et de tendances particulières. La morale philosophique, au contraire, planant au-dessus de tous les temps, de tous les lieux et de toutes les nationalités, et ne professant que ce qui est éternel, universel et absolu, est éternelle, universelle et absolue. Elle est parfaite, en un mot. »

C'est bien ainsi que nous l'entendons, et nous ne voudrions pas en enseigner une autre. Seule ment nous faisons sur cette conception idéale une double profession. D'abord, c'est réellement une conception toute idéale, car non seulement il se peut que la morale philosophique ne soit pas tou-jours parfaite, mais qu'elle soit souvent peu avancée, erronée et grossière. Nous sommes même obligés de dire que cela est : l'histoire de la morale

le proclame sur chacune de ses pages, et aujour

d'hui encore il surgit des doctrines de mœurs, les unes très-fausses, les autres très-pauvres. Ensuite, il peut y avoir une morale religieuse aussi parfaite et aussi pure que la morale philosophique, puisqu'elle peut être prise à la source suprême. Et comme de fait celle qui gouverne la portion civilisée de notre race s'attribue cette origine, il faudrait, avant de pouvoir la dire inférieure, prouver qu'elle se trompe, et avant de pouvoir dire la morale philosophique supérieure, prouver encore qu'elle ne se trompe pas deux preuves, dont l'une est aussi difficile à fournir que l'autre.

En effet, l'opinion que la morale philosophique est non-seulement supérieure à la morale religieuse, mais parfaite en tant qu'éternelle, universelle et absolue, est, je ne dis pas une illusion, mais une espèce de conception idéale.

La morale rationnelle est éternelle, sans doute, mais elle fait son apparition dans le temps, comme la morale religieuse, et il ne serait pas difficile de prouver que presque partout celle-ci a paru la première. Il n'est donc pas juste de dire qu'elle n'est pas éternelle au même sens que la morale philosophique.

On dit, en second lieu, la morale philosophique plus universelle que la loi religieuse, et celle-ci toujours limitée à une nation ou à un certain

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